A Casablanca, Afreximbank outille les décideurs pour un commerce intra-africain plus puissant

Avec quelque 150 milliards de dollars en 2017, les échanges commerciaux entre pays africains ne représentent que 15% du commerce du Continent. D’où l’évidence d’un potentiel encore sous-exploité, notamment au vu des richesses et de la dynamique de croissance de plusieurs économies. Mais encore faut-il que le financement de ces échanges soit facilité. Après Abuja pour ses assemblées générales annuelles en juillet dernier, Afreximbank fait escale à Casablanca, dans le cadre de son séminaire annuel sur le financement structuré du commerce. Objectif : équiper les acteurs du business régional d’outils qui leur permettront de mieux porter la vision d’un commerce intra-régional solide à même de porter la voix du Continent à l’échelle internationale.
Ristel Tchounand
En 2014, seuls 20% du financement d'activités commerciales par l'intermédiaire des banques étaient consacrés au commerce inter-régional en Afrique.
En 2014, seuls 20% du financement d'activités commerciales par l'intermédiaire des banques étaient consacrés au commerce inter-régional en Afrique. (Crédits : Afreximbank)

Evelyne Lengaina s'occupe du financement du commerce au sein de l'un des groupes bancaires historiques du Kenya, cotée à la Nairobi Stock Exchange (NSE). Son travail au quotidien consiste à gérer le financement des entreprises, particulièrement les PME importatrices -qui introduisent sur le marché local des biens provenant d'Afrique et d'ailleurs- ainsi que les PME exportatrices, notamment celles qui fournissent au reste du Continent et du monde le thé, le café et les fleurs du Kenya. C'est ce qui motive sa présence au Séminaire annuel d'Afreximbank sur le financement structuré du commerce en Afrique dont la 18e édition se tient à Casablanca du 7 au 9 novembre, réunissant dirigeants de banques, de cabinets d'avocats et d'autres institutions financières, de hauts responsables gouvernementaux et des régulateurs financiers d'Afrique, mais aussi d'ailleurs tels que Marc Auboin de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) et Richard Charlton de la Federal Reserve Bank de New York.

Affiner les capacités

Cette année, l'accent est mis sur les fondamentaux et les techniques avancées du financement structuré du commerce avec, en toile de fond, le projet du renforcement du commerce intra-africain. L'objectif est de déterminer les approches d'optimisation des process de façon à faciliter les opérations et ainsi booster les échanges intra-régionaux.

Jusqu'en 2017, 1 750 professionnels d'Afrique et d'ailleurs ont bénéficié de ces séminaires de formation. Selon Amr Kamal, vice-président Business Development & Corporate Banking chez Afreximbank qui s'est exprimé à la cérémonie d'ouverture, «Afreximbank a lancé sa série de séminaires annuels sur le financement du commerce structuré en 1999 conformément à l'objectif de la Banque qui vise à renforcer la capacité de ses partenaires et clients à comprendre les problèmes de financement de projets liés au commerce en Afrique, surtout au regard du fossé grandissant du financement du commerce et le défi d'accroître la part du Continent dans le commerce mondial».

Amr Kamal

En effet, accroître la part de l'Afrique dans le commerce mondial nécessite un préalable fondamental, celui d'un commerce intra-africain puissant, plus intégré. A ce niveau cependant, le Continent a encore beaucoup de chemin à faire et les chiffres parlent d'eux-mêmes : le volume des échanges commerciaux entre pays africains est estimé à quelque 150 milliards de dollars en 2017, soit 15% seulement du commerce du Continent, selon le rapport annuel d'Afreximbank. Or aujourd'hui, comme l'a souligné Faouzia Zaâboul, directrice du Trésor au ministère de l'Économie et des finances et représentante officielle, développer le commerce intra-africain permettrait au Continent de mieux rayonner. De ce fait, «l'accès à un financement compétitif du commerce constitue l'un des facteurs clés du développement des échanges commerciaux entre les économies du Continent», a-t-elle déclaré.

Pour une Trade Finance Officer comme Evelyne Lengaina, ces séances d'outillage tombent à point nommé, d'autant plus que la banque qui l'emploie connait quelques difficultés ces derniers temps, nés notamment de problèmes de «mauvaises» créances et d'une dette importante. «Depuis le début des travaux, nous apprenons énormément. Cela nous permet d'élargir nos connaissances et d'acquérir des techniques pour mieux structurer nos modèles de financements complexes. En tant que Banque investie dans le financement du commerce, cela est très important», explique-t-elle à La Tribune Afrique.

C'est également ce «renforcement des techniques d'analyse et de structuration du business» qui motive le vif intérêt de Pierre Okala Mbene, fondateur et CEO de Lusis & CO, une société basée à Douala au Cameroun, spécialisée dans l'affacturage, l'assurance-crédit, le capital investment, l'intermédiation commerciale et le recouvrement des créances.

Afreximbank

«Il ne suffit pas d'avoir les fonds et la structure, mais il faut être en mesure de s'adapter au quotidien face aux différents risques. Nous avons aujourd'hui les risques pays, risques politiques, risques de fraude avec tout ce qui est blanchiment d'argent entre autres. Il faut régulièrement se remettre en cause, faire une mise à jour de ses techniques. Et le partage d'expérience est important, puisque nous voulons atteindre un certain palier», explique cet entrepreneur qui se sent «hautement» concerné par la question du commerce intra-africain dans la mesure où il développe des partenariats à travers l'Afrique et prépare deux implantations en Afrique de l'Ouest. «L'affacturage est certes local au départ, mais rejoint très vite la finance internationale. Aujourd'hui, si l'on fait l'effort de briser toutes les barrières au commerce intra-africain, il faudrait bien que celui qui a son entreprise dans un pays X, y reste un acteur très important», fait-il remarquer, tout en soulignant que c'est en cela que réside le challenge.

Pousser au changement

Actuellement, le débat est très alimenté autour du commerce intra-africain, notamment suite à la création de la Zone de libre-échange continental (ZLEC) à laquelle 44 pays ont adhéré en mars 2018 et qui attend encore le pas d'une importante économie du Continent comme celle du Nigeria. Le développement du commerce intra-africain étant un de ses principaux chevaux de bataille, Afreximbank en a fait un des quatre piliers stratégiques du «IMPACT 2021 : Africa Transform», un plan quinquennal dans lequel la Banque prévoit le décaissement de 90 milliards de dollars pour soutenir le commerce africain entre 2017 et 2021, dont 25 millions de dollars seront exclusivement dédiés au financement du commerce intra-africain. Une manne financière qui arrive au moment où le financement du commerce intra-africain reste encore en deçà des expectatives.

Selon une étude de la Banque africaine de développement (BAD) publiée en octobre 2017, seuls 20% du financement d'activités commerciales par l'intermédiaire des banques étaient consacrés au commerce inter-régional en 2014. Et les banques d'Afrique du Nord et centrale sont celles qui financent le moins les entreprises qui importent et exportent au sein de l'Afrique, avec des taux respectifs de 4,5% et 3,6% de financements dédiés.

Mais bien que l'Afrique australe soit la deuxième région à financer le commerce intra-régional en 2014 (24%) d'après la même source, un pays comme le Malawi reste encore en marge de la dynamique. Maggie Mchungula représente la Banque centrale du Malawi au Séminaire d'Afreximbank sur le financement structuré du commerce et entend bien faire bon usage de toutes les connaissances acquises pour contribuer à faire bouger les lignes dans son pays.

«Nous avons beaucoup de richesse comme le thé, le sucre, le coton ou le maïs, ... Si nous pouvons davantage les vendre à tous les autres pays africains, ce serait largement bénéfique pour notre économie. Il faut donc que ces entreprises aient un accès plus facilité au financement», argue-t-elle dans un entretien avec La Tribune Afrique. «D'autant plus que le Malawi a besoin de se développer. Actuellement notre niveau de développement est encore très faible. Alors, si les banques peuvent jouer un rôle clé pour l'émergence d'un véritable commerce intra-africain au Malawi, cela nous serait bénéfique», ajoute-t-elle, soulignant toutefois qu'en tant que régulateur, la Banque centrale ne peut avoir que des mesures incitatives.

Si Maggie Mchungula, Pierre Okala Mbene, Evelyne Lengaina et tous ces acteurs du business africain, actuellement en conclave à Casablanca, arrivent à implanter chacun au niveau de sa structure les techniques de facilitation du commerce intra-régional acquises au cours du séminaire annuel d'Afreximbank, ce sera une bataille de gagnée !

Ristel Tchounand

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