Les startups africaines touchées par la crise mondiale du capital-risque

L'euphorie de l'année 2021 dans le petit monde du capital-risque a laissé place à une crise majeure, sur fond d'incertitudes géopolitiques. Longtemps épargnées, les startups africaines ont fini par être impactées par ce bouleversement qui a provoqué le retrait massif des fonds américains. L'heure est à l'aggiornamento des acteurs du venture capital.
(Crédits : DR)

Jusqu'au début de l'année 2023, l'Afrique allait à contre-courant de la tendance baissière de l'écosystème mondial du capital-risque qui enregistrait une chute de l'ordre de 35 %. Partech Africa indiquait un doublement de la croissance des fonds de capital-risque sur le continent et le triplement en volume des investissements. L'Afrique affichait sa résilience.

Le montant des venture capital (VC) en Afrique en 2022, avait atteint 5,2 milliards de dollars, « soit toujours moins de 1 % de l'investissement des fonds à l'échelle mondiale », constate néanmoins Farès Belghith, CEO de Kamioun (une marketplace tunisienne destinée aux commerçants de quartier). Récompensé par les groupes Orange et Huawei en 2022, Farès était sur le pied de guerre, dès l'ouverture de Vivatech, le grand raout de la tech parisienne qui s'est tenu du 14 au 17 juin derniers. L'entrepreneur cherche à lever 650.000 euros pour développer ses activités, mais depuis quelques mois, la tendance s'est inversée et les investissements ont brutalement chuté.

« Nous enregistrons une croissance et un chiffre d'affaires trois fois plus importants qu'il y a deux ans, mais c'est bien plus difficile de lever des fonds. De plus, les montants sont beaucoup moins importants », déplore le jeune tunisien.

Sidy Niang qui affiche 20 % de croissance mensuelle avec sa startup MAAD, se retrouve confronté aux mêmes difficultés. « La crise du venture-capital qui a d'abord touché les États-Unis a fini par se répercuter sur le continent et impacte aujourd'hui nos activités », observe l'ingénieur sénégalais, à l'origine d'une marketplace qui génère pourtant un chiffre d'affaires mensuel de 1,3 million de dollars, après deux ans d'existence.

Un vaste mouvement de retrait des fonds américains

Après douze ans de croissance continue, le secteur du capital-investissement a enregistré un «  brusque retournement de situation au deuxième semestre 2022 », indique le cabinet Bain & Company dans son rapport annuel. « Depuis plus d'un an, la crise du capital-risque qui touche les États-Unis, a provoqué un reflux des capitaux, en particulier au niveau des acteurs américains qui représentaient plus de 60 % des fonds investis dans la tech africaine », explique Christophe Viarnaud, CEO de Methys et fondateur d'AfricArena, depuis le Cap (Afrique du Sud).

« Le début de la décélération a commencé à se faire sentir fin 2022. Au 1er trimestre 2023, avec les retraits d'acteurs comme Tiger Global ou Sequoia Capital, les levées de fonds des startups africaines ont chuté d'environ 50 % », ajoute-t-il. «. Parallèlement, Launch Africa Ventures qui est le plus important fonds de venture capital early stage en Afrique (avec plus de 130 transactions en 2021 et 2022, ndlr), est lui-même en train de lever son second fonds et ne peut donc pas investir en ce moment (...) Simultanément, les startups africaines ont enregistré une décote comprise entre 20 % et 40 % », détaille l'expert en capital-risque.

Pour Matina Razafimahefa, CEO et co-fondatrice malgache de la startup EdTech SAYNA, la chute de la Silicon Valley Bank (SVB) consécutive à la crise mondiale du secteur, a réveillé les consciences. « La crise aux États-Unis a provoqué une réaction en chaîne qui touche l'Afrique depuis quelques mois. La faillite de la SVB a été un choc (...) Cela permet de s'interroger et de réajuster les pratiques de cet écosystème », estime-t-elle.

Pour rappel, la SVB, spécialiste du financement des startups et des fonds de VC dans la tech, a fait faillite lorsque la Réserve fédérale américaine (Fed) a décidé de relever les taux directeurs pour lutter contre l'inflation (passant soudainement de 0,25 % pendant la pandémie de Covid-19 à plus de 4,5 %). Cette décision a fait chuter la valeur des bons du Trésor de la SVB qui en tentant une augmentation de capital a provoqué ainsi une panique généralisée chez ses clients (un « Bank Run »). Entre le 9 et le 10 mars, 42 milliards de dollars d'ordres de retraits ont été émis, sonnant le glas de la SVB et provoquant un véritable séisme dans la finance mondiale.

« Mécaniquement, la hausse des taux directeurs a généré une augmentation des taux d'intérêt pratiqués par les banques, provoquant une baisse des investissements des entreprises, ce qui a simultanément ralenti la croissance. L'Afrique est touchée par cette crise globale. Nous devons réagir », alerte Mouhammad Sene de Saviu Ventures, un fonds dédié aux startups africaines early-stage. D'avis d'analystes financiers, il s'agit de la plus grave crise bancaire depuis 2008.

Des valorisations qui atteignent des sommets d'incohérence

L'éclatement de la bulle financière induit une inévitable remise en question. Les acteurs du capital-risque recherchant le « home run » (un investissement qui permet de rembourser l'intégralité du fonds) ont multiplié les investissements dans les startups jugées les plus prometteuses, dans l'espoir de dénicher la nouvelle licorne, faisant parfois l'impasse sur la rigueur exigée en matière de due diligence.

« Les fonds sont en compétition et surfent sur des tendances survalorisées. Des bulles se sont créées. La survalorisation de Jumia est un cas d'école. Dès son introduction en bourse, l'activité n'a pas suivi et l'action s'est effondrée », explique Farès Belghith.

« Certaines sociétés ont été valorisées 20 fois au-dessus de leurs revenus, ce n'est pas cohérent ! », considère Grégoire de Padirac, Partner chez Orange Ventures dans la région Afrique et Moyen-Orient. « Les pratiques se sont emballées, les investissements ont atteint des sommets d'exubérance. C'est vraiment devenu n'importe quoi ! Plusieurs millions de dollars ont été investis dans des startups sans aucune due diligence », se souvient Christophe Viarnaud qui, avec plus de 70 fonds et accélérateurs, a justement mis en place l'initiative Digital Collective Africa pour renforcer les usages en matière de contrôle en Afrique, via la Due diligence check-list, tout en apportant simultanément aux startups early stage, des outils d'amélioration de leur gouvernance.

Bientôt la fin de l'hiver africain du capital-risque ?

« La crise du cash n'est pas encore dépassée et les valorisations n'ont pas encore baissé », mais des « signaux positifs apparaissent », estime Benjamin Bonnell du cabinet de conseil Expand in Africa. « Suite à l'effondrement des valeurs, nous traversons un hiver, mais le printemps sera bientôt de retour grâce à un réajustement qui est déjà engagé », estime Grégoire de Padirac.

Yassine Laghzioui, CEO de l'UM6P Ventures (le fonds de capital-risque marocain de l'Université Polytechnique Mohammed VI), affiche lui aussi, un optimisme de rigueur : « la bulle a explosé et nous sommes sur la voie de la normalisation ».

« Nous sommes dans une phase de correction nécessaire », explique Christophe Viarnaud, qui observe des signes de reprise. « Malgré la crise, le mois de mai affiche un rebond des investissements de 30 % par rapport au mois d'avril. Parallèlement, des ventes record comme InstaDeep, développée par des ingénieurs tunisiens et rachetée à 635 millions d'euros par BioNtech en janvier, puis celle de la startup franco-tunisienne Expensya, cédée à Medius il y a quelques jours, devraient rapporter du capital à l'écosystème », analyse-t-il.

Enfin, si l'Afrique a été touchée par la crise mondiale du capital-risque, elle a poursuivi ses recherches en matière d'innovation fondamentale dans des secteurs comme ceux de l'agriculture et du climat, par exemple. « Au niveau de l'UM6P Ventures, nous avons maintenu le cap sur nos priorités de développement et nos investissements sont orientés à 70 % sur des projets de DeepTech (startups offrant des solutions disruptives pour atteindre un maximum d'impact, ndlr) », précise Yassine Laghzioui, CEO de l'UM6P Ventures.

« Les investissements dans la ClimateTech en Afrique ont doublé en un an. Ils représentent près d'un quart des investissements dans la tech sur le continent africain (...) Par ailleurs, le recours à la dette pour le financement des actifs est en progression continue. Tous ces éléments indiquent que nous allons dans le bon sens », conclut Christophe Viarnaud.

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