Travailler avec l'Afrique permet-il de mieux utiliser Internet ? [Tribune]

Au-delà des problèmes de langue, rechercher sur Internet des informations sur un autre pays que celui de sa connexion peut s'avérer rapidement biaisé. Cela nécessite en fait d'utiliser d'autres outils que les moteurs de recherche.
(Crédits : FJB)

Internet peut se révéler un magnifique outil de démocratisation de l'accès à l'information, mais l'Internet des moteurs de recherche, celui utilisé par la grande majorité des internautes, propose un système fondé sur la visibilité des sources (notamment auprès d'un public cible), voire leur géolocalisation, plus que leur pertinence. Ainsi, lorsqu'un internaute effectue une recherche depuis Paris, Bruxelles ou Toulouse, la plupart des outils de recherche vont lui présenter des résultats venant de sources européennes, et ce, même si le sujet de sa recherche concerne l'Afrique par exemple. Il en est de même pour un système de veille qui serait principalement construit sur des requêtes dans les outils de recherche.

Ainsi, des recherches effectuées sur Internet début janvier depuis Paris, au sujet des événements qui se sont déroulés en République démocratique du Congo, auraient mis en premiers résultats les réactions des autorités françaises : la conférence de presse du ministère des Affaires étrangères, mais pas la déclaration de la MONUSCO ou les appels locaux au boycott des intérêts français sur les réseaux sociaux, suite aux rumeurs de blocage de Paris d'une résolution de l'UE.

Cartographier les sources

Il convient alors d'ouvrir ses recherches auprès de sources spécifiques, pertinentes ou légitimes. Mais cela implique de connaître ces sources auparavant ou alors d'effectuer des recherches différemment : chercher des sources et non plus des informations. Nous mettons ici en évidence que la recherche d'informations peut se révéler un métier, celui des cabinets d'intelligence économique, avant de nous consacrer, le cas échéant, à l'exploitation ou à l'analyse de l'information, ce qui demande d'autres compétences, connaissances, ou niveaux d'expertises.

Une des premières actions que nous effectuons dans les cabinets d'intelligence économique est la cartographie des sources : identifier les différentes sources d'information, les qualifier (sources d'informations primaires, secondaires ou tertiaires, sources ouvertes ou fermées, ou encore en fonction de leur crédibilité ou de leur influence) et les hiérarchiser.

Les sources primaires sont originales : travaux, statistiques ou rapports. Les sources secondaires utilisent les sources primaires pour les diffuser, les analyser, les synthétiser, les évaluer ou d'une façon plus générale les exploiter. Elles sont souvent biaisées ou orientées, car répondant à un intérêt ou à une fin particulière. Les sources tertiaires sont quant à elles des compilations (exhaustives et neutres) de sources secondaires et primaires et qui fournissent une synthèse de leur contenu. La cartographie des sources évoquées plus haut est une source tertiaire si elle est accessible. Les sources ouvertes sont les sources d'informations publiques dont l'accès est facile et large. Elles représentent aujourd'hui 70% des sources utilisées professionnellement. A l'inverse, les sources fermées ont un accès protégé ou sont difficiles à approcher et à formaliser (sources informelles).

Pénurie vs infobésité ?

Nous prenions comme exemple plus haut l'Afrique pour illustrer nos propos. Ce n'est pas anodin. Pour travailler régulièrement sur ce Continent, nous sommes frappés par un constat que l'on entend souvent au sujet de l'Afrique : «Ici il n'y a pas d'informations !», alors que les Européens et les Américains se plaignent d'infobesité ...

Concernant l'Europe ou les Etats-Unis, le problème de l'infobésité se règle assez vite si l'on s'intéresse aux sources plutôt qu'aux informations (et celui des fake news mieux géré que par une voie législative !). Concernant l'Afrique et ce constat est fréquent, nous sommes convaincus qu'il y a autant d'informations disponibles qu'en Europe ou en Amérique. En revanche, il y a moins de sources d'informations connues, fiables et crédibles.

Un retour aux annuaires ?

Les premiers outils de recherches, à l'instar de Yahoo, étaient des annuaires. Ils recensaient des sources classées dans des catégories par un travail humain. Mais le modèle économique de ces outils était difficile à tenir face aux algorithmes. Alors, les Nomade, Yahoo et autres Voilà ont tous quitté la Toile. Plusieurs annuaires de sources qualifiées ont été tentés par différentes initiatives : La Bibliothèque Nationale de France a pendant près de 10 ans partagé ses favoris, mais l'expérience s'est arrêtée récemment.

Une autre initiative, collaborative, a elle aussi pris fin il y a quelques mois, celle de l'Open Directory, un annuaire participatif dont le fonctionnement était proche de Wikipédia. Sur le sujet africain, nous ne pouvons que saluer ici le récent travail collaboratif de recensement des sources d'informations pertinentes en Afrique, publié par le Portail africain de l'intelligence économique. Ce portail communautaire a été mis en ligne par un collectif pour pallier justement le déficit de production de connaissances que connaît le continent africain.

Une fois de plus, il s'agit là d'utiliser Internet de façon plus intelligente, surtout lorsqu'il s'agit de recherches d'informations professionnelles et d'arrêter de croire que les moteurs de recherche peuvent réfléchir à notre place. A l'heure où l'intelligence artificielle occupe le haut du pavé médiatique, n'oublions pas que le cerveau se situe (encore !) de notre côté de l'écran !

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*Note sur l'auteur : François Jeanne-Beylot est spécialiste de la recherche d'information, l'intelligence économique, la veille et l'influence. Il est professeur associé à l'École de Guerre Économique de Paris et à l'École Panafricaine d'Intelligence Économique et stratégique de Dakar. Secrétaire général de l'Institut International d'Intelligence Économique, il est également Directeur de publication du Portail africain de l'intelligence économique, dont il est fait référence dans la présente tribune.

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