Le « Geek » et le Chiffonnier

La fin de semaine qui vient de s’achever en Afrique est à son image: paradoxale. D’un côté, des dizaines de morts suite à l’effondrement d’une montagne d’immondices dans une décharge à la périphérie d’Addis-Abeba. De l’autre, le continent accède partiellement à sa souveraineté numérique avec l’arrivée de l’extension de domaine internet .africa. Tiraillée entre le « Geek » et le chiffonnier, l’Afrique peut-elle réconcilier son monde réel avec son ambition virtuelle ?
Abdelmalek Alaoui

De prime abord, la tentation d'opposer les usagers du digital en Afrique à ceux qui pratiquent encore des métiers « anciens » -tels les chiffonniers éthiopiens- est grande. L'on aurait ainsi d'un côté des populations connectées au monde, férues d'innovation, de connectivité et des réseaux sociaux, et de l'autre des laissés-pour compte de la mondialisation, condamnés à creuser de leurs mains les rejets urbains pour tenter de récupérer des objets ayant une quelconque valeur.

Or, du fait de la double dynamique de démocratisation de l'accès au réseau et de la baisse constante du coût d'acquisition des terminaux mobiles, ces deux populations se confondent souvent en Afrique. Oui, le chiffonnier peut-être « Geek », utiliser Whatsapp et Facebook, transférer de l'argent grâce à son mobile et suivre la marche du monde sur Google News. Il peut envisager, sans jamais avoir les moyens de se l'offrir, un monde virtuel de consommation sans limite. Enfin, il peut accéder au savoir et à la connaissance ainsi qu'à l'information, ce qui lui permet à la fois de s'extraire de la rudesse de sa condition comme de la souligner de manière cruelle.

Ce fossé entre des métiers parfois moyenâgeux et l'accès démocratisé au digital a parfois été dépeint de manière romanesque par les médias internationaux, à l'instar de l'image qui a fait le tour du monde de ce berger Masaï transférant des fonds grâce à son terminal mobile. Mais cette image, comme beaucoup d'autres utilisées pour dépeindre l'Afrique, ne raconte qu'une partie de l'histoire.

Masaï

Au delà de l'imagerie romanesque de l'Afrique

La réalité est beaucoup plus contrastée. En vérité, les africains ont de plus en plus accès à la technologie, mais le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n'a de cesse de se creuser, ce qui constitue un risque prégnant d'explosion sociale du fait de la frustration engendrée. De même, en Afrique comme ailleurs, Internet est devenue un espace d'expression et de cristallisation des opinions publiques grâce à l'influence grandissante des réseaux sociaux. D'un coup, ceux qui étaient condamnés au silence découvrent que leur voix peut-être entendue et amplifiée, qu'ils soient « Geek » ou chiffonnier.

Cette superposition des réalités devrait nous conduire à nous interroger sur le potentiel de violence extrême qui pourrait découler de l'élargissement du fossé entre les emplois  pratiqués par les africains dans leur grande majorité et la promesse qui leur est faite par le monde digital. Le prisme afro-optimiste des médias a jusque là préféré mettre en avant les start-ups africaines et les succès - pourtant rares- rencontrées par ces dernières.

Personne ou presque ne se soucie de savoir si l'un des chiffonniers éthiopien mort ce week-end avait le potentiel de devenir le futur Mark Zuckerberg.

L'usage du digital doit se tourner vers la création de valeur

C'est là le cœur du problème. L'usage du digital en Afrique a été principalement mû par une motivation principale : la recherche de nouveaux débouchés. Le développement des réseaux et la généralisation du prépayé ont d'abord servi une motivation de recherche du profit en s'attaquant à cette fameuse « base de la pyramide » de consommateurs.  Ce n'est que récemment que les grands acteurs du digital se sont penchés sur la problématique de création de valeur et de promotion d'un écosystème numérique qui favoriserait la création d'emplois. Dans le cas de la catastrophe Ethiopienne, les nouveaux usages du numériques auraient pu certainement permettre de prévenir un tel désastre, pour peu que la ville ait été dans une démarche de « Smart City » dans la gestion de ses déchets, en amont comme en aval de la chaîne de traitement. Ceci aurait de surcroit permis la création de nombreux emplois et aurait valorisé la fonction des chiffonniers en les déployant par exemple sur des fonctions de tri irréalisables par les machines.

Avec l'arrivée de l'extension .africa, l'Afrique - au moins sur le plan symbolique- a désormais une chance de pouvoir adresser un message d'espoir au reste du  monde : le « Geek » et le chiffonnier peuvent être la même personne.

Abdelmalek Alaoui

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