Pétrole : faute d'investissements, l'Afrique risque de passer à côté d'une envolée des cours

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’attend à une hausse sensible des prix de l’or noir à l’horizon 2022 en raison d’une forte croissance de la demande mondiale à laquelle se conjugue une baisse de l’offre à la suite de la baisse des investissements que connait le secteur depuis quelques années. Pour les grands pays producteurs africains dont la reprise économique reste encore conditionnée par celle des cours du baril, la perspective pourrait s’avérer moins providentielle en raison également de cette baisse des investissements. A moins d’inverser la tendance et ainsi profiter de cette dynamique qui se profile à l’industrie pétrolifère, la production des pays comme le Nigeria ou l’Algérie risque de décliner selon les experts de l’AIE.
(Crédits : © Lucy Nicholson / Reuters)

C'est presque un paradoxe, mais qui a tout son sens sur le marché mondial de l'or noir où  en fonction des fluctuations des cours, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Après presque trois ans de vaches maigres pour les pays producteurs et surtout exportateurs de pétrole, notamment africains qui en sont trop dépendants, l'horizon semble s'éclaircir davantage au fil des prévisions des spécialistes du secteur.

Mieux que la relative reprise de ces derniers mois, une nouvelle flambée des prix, voire un probable «choc pétrolier», à en croire les dernières actualisations des prévisions des cours en fonction de la croissance mondiale du marché de l'offre et de la demande.

Dans l'édition 2017 de son rapport annuel sur les perspectives sur cinq ans du marché mondial du pétrole, Oil 2017, qui vient d'être rendu public, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a fait cas du risque d'une pénurie du pétrole à l'horizon 2022. Selon l'AIE, un organisme autonome, mais qui dépend de l'OCDE, «l'offre mondiale de pétrole pourrait avoir du mal à suivre le rythme de la demande après 2020, risquant ainsi de provoquer une forte hausse des prix, à moins que de nouveaux projets d'investissements ne soient bientôt approuvés ». Selon le rapport, les tendances de la demande et de l'offre indiquent un marché mondial du pétrole serré, avec une capacité de production de réserve en 2022 qui pourrait tomber à son niveau le plus bas depuis 14 années.

Selon les experts de l'agence, les perspectives sont prometteuses pour les trois prochaines années en raison notamment des décisions prises par les pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour contenir la baisse drastique des cours de l'or noir. Cette entente à laquelle sont parvenus les principaux pays producteurs et dite «Accord de Vienne» a ainsi relativement permis aux cours de l'or noir de retrouver un peu de couleurs sur les principaux marchés internationaux avec des prix actuellement dans une fourchette qui s'approche de la normale moyenne du marché.

Ce qui, selon l'Agence basée à Paris, a permis d'atténuer les répercussions négatives de la baisse des cours sur leur croissance économique a ainsi permis de mettre fin à deux années de crise au niveau de ces pays.

La demande mondiale en nette croissance

Selon l'AIE, 2017 ouvre donc un nouveau  cycle de croissance pour le marché mondial avec des perspectives prometteuses à court terme c'est-à-dire sur les trois prochaines années.

« Bien que nous ne puissions pas savoir combien de temps durera l'entente, elle fournit des tendances claires pour guider notre vision des cinq prochaines années » a souligné  Fatih Birol, directeur exécutif de l'AIE qui s'attend à ce que la demande de pétrole croisse fortement au moins jusqu'en 2022.

La  principale raison, c'est les prévisions d'une hausse sensible  de la consommation dans les principales économies émergentes et les pays en voie de développement. «Au cours des prochaines années, l'offre de pétrole va croître aux États-Unis, au Canada, au Brésil et ailleurs, mais cette croissance pourrait décroître d'ici 2020 si l'effondrement record des cours enregistrés en  2015 et 2016 n'est pas inversé», a relevé l'Agence  qui reconnait tout de même que les premières indications des dépenses mondiales pour 2017 ne sont pas encourageantes, alors que les investissements américains dans l'industrie du schiste sont en forte hausse.

Dans l'ensemble donc, la demande de pétrole va augmenter au cours des cinq prochaines années, franchissant  ainsi le seuil symbolique de 100 mb/j en 2019 et atteignant environ 104 mb/j en 2022 selon les projections de l'AIE qui s'attend par exemple à ce qui d'ici les cinq prochaines années, la croissance de la demande de pétrole en Inde dépasse celle de l'Inde.

Risque de pénurie en raison d'une baisse des investissements

Ces perspectives de croissance assez reluisantes restent toutefois à tempérer, car cette hausse de la demande va engendrer une certaine pression sur le marché de l'offre. La baisse des cours entamée en 2014 s'est en effet traduite par une baisse des investissements dans l'industrie du secteur et d'après les estimations de l'Agence, les investissements dans l'exploration-production ont baissé respectivement de 25 et 26 %  les deux dernières années. Ce qui va se traduire par un déséquilibre sur le marché mondial avec une demande qui évoluerait plus vite que l'offre. Ce qui va engendrer une nouvelle flambée des prix sur les cours internationaux.

 «A moins que les investissements à l'échelle mondiale rebondissent fortement, une nouvelle période de volatilité des prix se profile à l'horizon», avance Fatih Birol, directeur exécutif de l'AIE.

L'AIE insiste donc sur la nécessité d'accroître la capacité de production mondiale, car même si l'offre semble abondante aujourd'hui, le risque d'un «nouveau choc  pétrolier» n'est pas à écarter à l'horizon 2022. Surtout que d'après l'agence, en plus de la baisse des investissements, il n'est pas sûr que  les projets en amont  déjà lancés ou projetés soient achevés à temps compte tenu  notamment de la chute sans précédent des investissements en  2015 et 2016.

Les gros producteurs africains à la marge ?

Le scénario d'une nouvelle flambée des prix à l'horizon 2020 est une aubaine pour les pays producteurs et surtout exportateurs africains qui ont lourdement pâti de la crise qui a affecté le secteur en raison de la baisse des cours. Toutefois, ils pourraient ne pas profiter de cette hausse attendue en raison notamment de la baisse de la production à laquelle ils risquent de se confronter en raison justement de la baisse des investissements dans les infrastructures pétrolifères.

Selon le rapport de l'AIE, la majeure partie des nouveaux approvisionnements proviendra des principaux producteurs à faible coût du Moyen-Orient, à savoir l'Irak, l'Iran et les Émirats arabes unis, d'autres comme le Nigeria, l'Algérie et le Venezuela vont voir la leur décliner.

Les pays exportateurs du pétrole du Continent ont donc tout intérêt à se préparer à ce nouveau cycle de développement du marché mondial de l'or noir, surtout que dans son rapport l'AIE annonce également des changements dans les flux internationaux d'investissements dans les infrastructures de stockage. «L'Asie devra regarder au-delà du Moyen-Orient pour répondre à ses besoins croissants en matière d'importation», anticipe l'AIE et «avec les pays de l'OPEP axés sur le renforcement de la capacité nationale de raffinage pour répondre à la demande locale et l'augmentation des exportations de produits raffinés, les exportations de pétrole brut supplémentaires du Brésil et du Canada seront plus élevées que ceux du Moyen-Orient».

Cette dynamique pourrait profiter au Continent dont le potentiel en réserves confirmées reste attrayant même si le coût de production handicape l'attractivité de l'industrie africaine du pétrole.

Le Nigeria ambitionne de rehausser sa production

C'est peut-être conscients de ces risques que certains pays ont décidé de prendre le devant. Le Nigeria a récemment annoncé un nouveau plan de développement de son secteur avec des investissements annuels de l'ordre de 10 milliards de dollars sur les cinq prochaines années, afin notamment de porter sa production à 3 millions de barils par jour d'ici là.

Le pays compte ainsi assainir l'industrie du pays et investir massivement dans les infrastructures, une manière de prendre les taureaux par les cornes et ainsi échapper aux prévisions moroses de l'AIE pour le pays.

Il y a quelques jours, le secrétaire général de l'OPEP, le Nigérian Mohammed Barkindo, confirmait justement cette hausse de la demande mondiale, laquelle va engendrer celle de l'offre avec une production qui devrait atteindre 100 millions de barils par jour à l'horizon 2021. Selon Barkindo qui intervenait à l'ouverture de la Conférence ouest-africaine du pétrole et du gaz qui s'est tenue la semaine dernière à Lagos, le Continent doit veiller à réduire ses importations en matière de produits pétroliers, car actuellement l'Afrique importe 30% des produits raffinés qu'elle consomme, se positionnant ainsi comme la première région importatrice au monde. Selon le secrétaire général de l'OPEP, l'Afrique  aura tout à gagner à travers de nouveaux investissements dans de nouveaux projets à long terme, ce qui contribuera à satisfaire ses demandes croissantes, surtout que le Continent est bien positionné pour attirer plus d'IDE notamment dans la filière aval de l'industrie pétrolifère.

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