L'Afrique a besoin de ses propres « Chaebols »

Porter des champions régionaux, les voire grandir et faire rayonner le continent au niveau international ne peut qu'apporter dans son sillage croissance, développement pour l'Afrique. Aujourd'hui, plus que jamais, l'Afrique doit tout miser sur ses champions.

Depuis que les économistes du monde entier se sont accordés à dire que l'avenir de la croissance mondiale est en Afrique, tous les radars business se sont tournés en direction de ce continent qu'ils connaissaient auparavant seulement pour ses conflits politiques, ses guerres civiles et la pauvreté de ses populations. Ils se sont enfin rendu compte que l'Afrique est d'abord et avant tout une terre d'opportunités. Des entreprises de tout bord, chinoises, indiennes, françaises, et de bien d'autres nationalités cherchent à y améliorer leur position, après avoir, pour certaines, déserté le continent il y a des années de cela. Ceci dit, si l'Afrique est terre d'opportunités par excellence, elle l'est en premier lieu pour ses propres entreprises. Durant les vingt dernières années, d'importants acteurs économiques africains ont pu naître à la faveur d'un contexte plus propice aux locaux. D'une part, plusieurs grands groupes « occidentaux », trop préoccupés par leur restructuration, ont préféré se désengager du continent. D'autre part, les entreprises africaines ont bénéficié de fonds et de stratégies - plus éclairée - pour amorcer leur croissance portée par une nouvelle génération d'entrepreneurs et de patrons, appelée à juste titre par l'économiste Ghanéen George Ayittey la « Cheetah Generation ». Il l'a décrite comme « une nouvelle classe d'Africains qui ne se laisse pas aspirer par la corruption et qui sait ce que "démocratie" et "responsabilité" veulent dire. Ils portent l'avenir du continent sur leurs épaules ». Ces groupes sont aujourd'hui qualifiés de champions africains.

Champion africain : quèsaco ?

Mais qu'est-ce donc qu'un « champion africain » ? C'est tout simplement un acteur leader de son secteur sur le continent, capable de tenir tête à des concurrents venus d'outre-mer. C'est également un acteur capable d'être une locomotive pour l'économie locale et continentale, et un moteur de sa modernisation. C'est aussi un acteur qui a les moyens d'investir lourdement s'il le faut dans des secteurs stratégiques. Un exemple ? Un milliard de dollars investis par un seul groupe dans la filière rizicole. C'est l'annonce faite Dangote Group en mai dernier en marge de Gateway Trade, un salon dédié aux PME agricoles. À travers sa filiale Dangote Rice, le groupe vise à assurer l'autosuffisance alimentaire au niveau de cinq états fédéraux au Nigeria. Ce n'est là qu'une infime partie du plan d'investissement de ce groupe fondé et dirigé par le richissime Aliko Dangote compte mobiliser au cours des prochaines années. Ce ne sont pas moins de 17 milliards de dollars que le groupe Dangote investira dans une raffinerie, des usines de pétrochimie d'engrais et d'agro-industrie, ainsi que dans ses activités traditionnelles à savoir le ciment et les matériaux de construction. « Les entrepreneurs locaux sont aussi des investisseurs qui voudraient entretenir leurs investissements, les accroître, participer au développement des secteurs donnés de l'économie et voir leur pays émerger, si possible, grâce à leurs efforts », expliquait Aliko Dangote à la Tribune Afrique en mai dernier. Par opposition, les entrepreneurs étrangers, eux, « ne font pas forcément du développement de ces pays leur priorité. Leur travail se limite plus ou moins à ce qu'ils peuvent prendre », ajoutait-il. C'est justement la raison pour laquelle l'Afrique a plus que jamais besoin de ses propres Champions, ses « chaebols » comme Samsung et Hyundai pour la Corée du Sud, qui lui apporteront croissance, développement et rayonnement à l'international.

Investissement, croissance et emploi

Le continent est en quête de croissance. Laquelle croissance ne peut se faire sans investissement et création de valeurs ajoutées locales génératrices d'emploi. Un triptyque nécessaire pour relever les défis de l'Afrique d'aujourd'hui et de demain. Pour ce faire, il est nécessaire que ces champions qui règnent en maître sur certains secteurs voire certains pays puissent avoir une véritable dimension continentale. Ce ne serait qu'une première marche à gravir vers l'internationalisation. Cette ambition se trouve malheureusement entravée par un certain nombre de facteurs. Il y a le problème de la taille. Bien que considérés comme de grands groupes dans leurs pays ou région, ces nouveaux champions du Sud peuvent facilement revenir au rang d'une grosse PME en comparaison aux géants internationaux. Les mouvements de concentrations et la croissance externe deviennent ainsi un catalyseur de croissance. Force est de constater que le marché manque de maturité. « Un grand nombre de transactions échouent principalement en raison de la difficulté pour l'acquéreur et le vendeur à se mettre d'accord sur la valeur », conclut une étude PwC sur les pratiques d'évaluation en Afrique publiée au cours de ce mois de juillet.  Et d'ajouter, « le manque de transparence et la nature peu qualitative de l'information constituent également un frein à la réalisation des transactions, de même que l'incertitude pesant sur l'environnement économique, réglementaire et monétaire ». « Les conclusions de l'étude ont aussi mis en évidence la nécessité de s'assurer que le prix d'une transaction repose bien sur une série de scénarios d'évaluation qui reflètent les incertitudes liées à la cible et à son environnement », explique Françoise Gintrac, responsable Évaluation et Modélisation financière PwC France et Afrique francophone.

S'ajoute à ce frein, un autre mal dévastateur qui ronge le continent : la fragmentation des marchés africains alors que toutes les organisations régionales et internationales appellent à l'intégration régionale. BAD, PNUD, OCDE... toutes affirment sans détour que « le commerce entre les pays africains est la piste la plus prometteuse pour installer un développement économique durable ». La part du commerce intra-régional dans les échanges de l'Afrique avec le reste du monde est certes passée de 10% en 2000 à environ 16% en 2014, mais cela reste insuffisant. Les exportations intra-régionales en Afrique n'ont guère atteint les 20% en 2015 alors qu'elles oscillent entre 50 et 70% en Europe, Amérique et Asie. C'est dire tout le chemin qu'il reste à parcourir.

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