La filière du karité profitera-t-elle de la conjoncture mondiale  ?

Depuis les années 2000, le karité a vu son attractivité bondir et le nombre de ses producteurs augmenter. Créé en 2019, Mali Shi le 1er producteur industriel de karité du Mali, cherche aujourd’hui à doubler ses capacités de production et sa masse salariale pour répondre à la tendance haussière du marché mondial. Entre inclusivité, durabilité et parité, les producteurs de karité entendent bien bénéficier de la conjoncture pour accélérer leur croissance.
(Crédits : Reuters)

Selon Transparency Market, le marché mondial du karité pourrait atteindre 3,5 milliards $ en 2028. Les Pays-Bas, le Danemark et la France comptent parmi les principaux importateurs de karité. « Le Nigeria dispose du potentiel de production le plus important devant le Mali, le Burkina-Faso, le Ghana et la Côte d'Ivoire », précise Simballa Sylla, le directeur général de Mali Shi (« shea » : karité en anglais, ndlr), la première usine de karité du Mali, qui est aussi le président de la Global Shea Alliance (GSA). Présente dans 38 pays, la GSA regroupe des producteurs locaux ou des industriels comme Ferrero ou L'Occitane.

Au « pays des Hommes intègres », un plan 2022-2026 spécifique à la filière du karité a récemment été mis en place. Doté d'un budget de 60 milliards de francs CFA, il est intégré à la stratégie nationale de développement durable (SNDDFK) du Burkina Faso. Avec 20.000 tonnes d'amandes exportées en 2019, le pays ne représentait que 2% du marché global du beurre de karité, mais il se positionnait comme le 2è producteur d'amandes au monde avec 400.000 tonnes d'amandes par an. Avec le Nigeria et le Burkina Faso, le Mali est dans le trio de tête des principaux exportateurs de karité au monde.

« Au niveau régional, les amandes sont exportées entre pays africains pour produire du beurre de karité qui est ensuite exporté vers des usines de raffinage ou de fractionnement à l'étranger (vers les sites de production d'AAK (Danemark), de Bunge Loders Croklaan (BLC), de Manorama (Inde) ou de Fuji Oil (Japon) notamment, ndr). Cependant, « à l'exception du Ghana qui dispose de deux usines de fractionnement, les autres sont situées hors d'Afrique », précise Simballa Sylla.

Mali Shi, la 1ère usine de karité du Mali en pleine croissance !

En juin 2022, Mali Shi ouvrait ses portes à Banankoro, une zone industrielle située à la sortie de Bamako. L'usine emploie aujourd'hui une centaine de personnes et ambitionne de doubler cet effectif à court terme, pour répondre à la hausse de la demande mondiale. « Nous travaillons directement avec 26.000 femmes. Nous voulons porter ce chiffre à 150.000 collectrices en 2022 », précise Simballa Sylla, le directeur de l'usine qui produit près de 30.000 tonnes d'amandes par an.

Alors que l'usage du karité est connu pour ses vertus cosmétiques « out of Africa », le secteur alimentaire représente près de 90% de sa consommation. Les principaux clients de Mali Shi sont les propriétaires d'usines de fractionnement comme BLC. « Nous envisageons de doubler notre capacité installée pour la faire passer à 60.000 tonnes, d'ici 2 à 3 ans », précise-t-il.

À l'origine, Mali Shi est née sur les fondations de l'entreprise OMNIUM qui fabriquait piles et batteries. Cherchant à se diversifier en utilisant des matières premières locales, l'idée de s'orienter vers le karité a été suggérée par Class M, une société de conseil en agro-industrie basée à Marseille. Mali Shi a été soutenue par ECODEV, la structure d'investissement créée par la société minière Endeavour qui finance des projets durables (RSE) et qui possède aujourd'hui 35% du capital de l'entreprise. Son 3è actionnaire est la SOATAF, spécialiste du négoce des amandes de karité. Enfin, l'entreprise a réussi à convaincre la Banque atlantique pour financer son site de production et ses équipements, et BMS pour acheter ses quelques 30.000 tonnes d'amandes.

« Notre produit est certifié kasher et halal. Nous nous sommes fixés pour objectif d'être certifiés aux normes de qualité HACCP, VACCP et TACCP et ISO 22 000, à l'horizon 2024. Par ailleurs, nous avons commencé la certification pour « Fair for Life », afin de rétribuer les collectrices d'amandes, à des prix justes » précise le directeur général de Mali Shi.

La filière du karité : un levier d'inclusivité ?

Sur la question du genre, le karité remporte la palme de l'autonomisation des femmes car le secteur représente près de 90% des effectifs de la filière au Mali. Plus de 3 millions de femmes maliennes travaillent dans le secteur du karité. L'entreprise, en répondant à l'objectif n°5 sur l'égalité des sexes des Nations unies, a reçu l'appui de l'ONU Femmes et a été accompagnée par les pouvoirs publics, dans le cadre du projet Karité du ministère de la Promotion de la femme, de l'enfant et de la famille du Mali.

Le marché du karité est largement l'affaire des femmes « qui vont récolter les fruits dans la brousse. Elles procèdent au décorticage des amandes pour produire le beurre », explique le président de la Global Shea Alliance. Elles seraient près de 16 millions à récolter les fruits de cet arbre qui pousse dans une vingtaine de pays répartis du Sénégal au Sud-Soudan.

« Les femmes qui récoltent le karité en utilisent pour leur propre consommation comme huile de cuisson ou comme produits cosmétiques. 500.000 tonnes sont exportées à but industriel chaque année, que ce soit en Afrique ou hors d'Afrique. Le Danemark représente le plus gros importateur mais les pays asiatiques importent aussi beaucoup », précise-t-il.

Les perspectives de développement sont encourageantes au regard de la demande et du potentiel local. « Le Nigeria qui est le plus grand parc à karité du monde, ne récolte que 30% de son potentiel. Il en va de même pour le Mali », explique-t-il, non sans rappeler la nécessité d'une production « green ».

« Chaque année, jusqu'à 8 millions d'arbres de karité disparaissent car ils sont coupés pour en faire du bois de chauffe, par exemple. Si le marché continue à croître, un problème d'offre se posera, au-delà du fait que le Mali est déjà confronté à l'avancée du désert et qu'il ne peut pas se permettre de défricher sans replanter (...) La Global Shea Alliance a d'ailleurs créé le Parkland Restoration Fund, pour planter 20 millions d'arbres dans les années à venir et protéger le parc existant », ajoute Simballa Sylla.

Quand le chocolat booste la filière du karité

« Lorsqu'on parle de karité en Europe, on pense immédiatement aux cosmétiques or, 90% des exportations sont dirigées vers l'agroalimentaire, dont une grande partie vers le chocolat. Si vous consommez du chocolat aujourd'hui, il y a de fortes chances que vous consommiez un peu de karité car au début des années 2000, l'Union européenne (UE) a permis d'utiliser jusqu'à 5% de Cocoa Butter Equivalent (CBE) en conservant l'appellation « chocolat ». À partir de ce moment-là, la demande a augmenté », rappelle le président de la GSA.

Profitant des scandales à répétition sur la déforestation liée à la production d'huile de palme, le karité portant les valeurs « durables » a vu sa cote s'envoler. L'essor du « bio » a profité à la filière du karité dans l'agroalimentaire, mais aussi dans l'industrie pharmaceutique.

Alors que les principaux acteurs industriels du karité demeurent à l'extérieur du continent (une dizaine d'acteurs intermédiaires sont actuellement basés à l'Ouest de l'Afrique, ndlr), il reste difficile pour les acteurs locaux d'obtenir la confiance des banques qui leur permettrait de se lancer dans la production à grande échelle. « Nous avions des fonds propres pour nous lancer et nous avons apporté l'équivalent de 40% de capital avant de recevoir un prêt de 2,5M€ de l'IFC via une banque locale », précise le directeur général de Mali Shi, qui ne cache pas le nombre de défis rencontrés lors de la création de l'entreprise.

À l'heure de l'intégration régionale, « s'il n'existe pas à ma connaissance, de projet très avancé en la matière, la réflexion progresse sur les possibilités de mutualisation des ressources à l'échelle régionale, afin de pouvoir convaincre des fonds qui restent difficilement accessibles aux entrepreneurs africains », indique le président de la GSA.

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