Impôt sur la fortune : la crise du coronavirus, timing idéal pour l'Afrique ?

Alors que l’impact économique de la pandémie du coronavirus en Afrique s’annonce important, plusieurs experts estiment le moment propice pour instaurer un impôt sur la fortune dans les pays du continent. Une région du monde où la population des riches est en constante évolution. Décryptage.
Ristel Tchounand
Pour plusieurs experts, l'instauration d'un impôt sur la fortune en cette période de crise permettrait aux pays africains d''augmenter les recettes fiscales.
Pour plusieurs experts, l'instauration d'un impôt sur la fortune en cette période de crise permettrait aux pays africains d''augmenter les recettes fiscales. (Crédits : DR)

Faut-il un impôt sur le patrimoine des riches africains pour alimenter les caisses des Etats en ce temps de vaches maigres afin de dégager des ressources supplémentaires pour faire face à la crise liée au coronavirus ? Plusieurs experts  y répondent par l'affirmative, estimant la période actuelle plus favorable que jamais à l'instauration d'un impôt sur la fortune. L'Afrique du Sud -qui perd chaque année 160 milliards de rands pour le non-enregistrement fiscal de 114 000 riches, selon une enquête du journal allemand Neues Deutschland - serait en train d'étudier la possibilité d'instaurer un impôt sur la fortune. Objectif: booster les recettes de l'Etat alors que la mobilisation pour répondre à la crise se poursuit. Au Maroc aussi, certains analystes commencent à évoquer l'impôt sur la fortune parmi les pistes à privilégier pour une sortie de crise.

Les riches, « sans exclure l'élite politique »

« Très Peu de pays africains disposent d'impôts ciblant la fortune et les personnes fortunées. L'Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria sont parmi les rares pays qui s'intéressent à cette catégorie de contribuables. Il va falloir donc que les administrations fiscales fassent preuve d'innovation et surtout de fermeté et qu'elles mettent le focus sur ces impôts non exploités encore. Non seulement l'impôt sur la fortune sans exclure l'élite politique, mais aussi des impôts tels que l'impôt sur le foncier », expliquent à La Tribune Afrique les experts du Forum sur l'administration fiscale africaine (ATAF), dont le secrétaire exécutif, Logan Wort, qui a coutume d'insister sur l'urgence de l'élargissement de l'assiette fiscale en Afrique afin que les plus nantis (entreprises et particuliers) paient ce qu'ils devraient.

Ces experts soulignent « le coup sévère » de la pandémie de coronavirus et son impact économique « sur la capacité des administrations à mobiliser les ressources fiscales nécessaires pour financer les programmes des Etats ». La nécessité d'inclure l'élite politique dans l'impôt sur la fortune, comme le souligne l'ATAF est une précision de taille, alors que certains politiques africains - très souvent sans être des technocrates - sont assis sur de grands patrimoines qui échapperaient aux administrations fiscales, au nom parfois de leur statut politique.

Quatre raisons de ce timing, selon Wilson Prichard

Dans une longue analyse récemment publiée sur AllAfrica, Wilson Prichard, directeur de recherche du Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD) cite quatre raisons pour les gouvernements africains d'instaurer, dans le contexte actuel, un impôt sur la fortune : la portée limitée des systèmes fiscaux formels ; les limites imposées aux dépenses publiques par l'endettement élevé des Etats ; le manque à gagner des coûts cachés ; et les coûts élevés que peuvent engendrer les rééchelonnements de droits fiscaux, comme décidé par la plupart des gouvernements. Tout ceci au moment où les besoins financiers des pays africains atteignent des niveaux sans précédent, alors que le coronavirus occasionne une double crise, sanitaire et économique.

Des classes aisées en constante croissance

Jusqu'à l'apparition du coronavirus, la population des riches africains affiche une constante évolution. En 2019, ils sont 2 570 Africains (en hausse de 7% en glissement annuel) à détenir une fortune nette supérieure à 30 millions de dollars, selon les données du cabinet singapourien Wealth-X. Le Kenya est le quatrième pays au monde où cette population affiche la croissance la plus rapide, d'après la même source.

Lire aussi : Carlos Lopes : « La dette publique n'est plus un problème africain, mais mondial »

Cela implique sue les riches soient beaucoup plus nombreux pour des patrimoines en dessous des 30 millions de dollars. Leur communauté s'étendrait davantage en y ajoutant les riches de l'informel. Car comme Aliko Dangote le dit lui-même, il est « l'homme le plus riche d'Afrique dans le secteur formel ». Si l'Afrique du Sud est de loin le pays où le plus grand nombre de riches échappent aux radars du fisc, le Kenya en compte près de 40 000 selon Neues Deutschland. Dans un précédent entretien accordé à La Tribune Afrique, Giovanni Valensisi, économiste à la Division Afrique des pays les moins avancés et des programmes spéciaux de la CNUCED, regrettait le « manque à gagner pour les Etats » qui n'accordent pas d'importance à l'impôt sur la richesse, estimant que cela serait lié « notamment aux difficultés de ces pays à tenir des registres appropriés et à assurer le suivi ».

Le courage politique, un impératif

Dans les économies les plus industrialisées du continent pourtant, la question de l'impôt sur la fortune est souvent évoquée depuis quelques années, mais la crainte d'une fuite des riches -nourrie par l'influence des milieux d'affaires- clôt rapidement le débat. Wilson Prichard pense que le plus grand défi de la mise en œuvre d'une telle innovation fiscale serait « d'ordre politique ». « C'est peut-être le bon moment pour relever un défi politique persistant. Le besoin de recettes n'a jamais été aussi grand et les avantages potentiels des dépenses publiques pour soutenir les personnes vulnérables ne sont jamais plus évidents », argue ce chercheur.

Les pays sont en effet sous tensions financières pour pouvoir faire face à la crise. La Banque mondiale prévoit une première récession en 25 ans au sud du Sahara. C'est la raison du débat mondial autour de la dette africaine pendant cette pandémie. C'est aussi ce qui motive Deodigras Mutombo, gouverneur de la Banque centrale en République démocratique du Congo (RDC), qui a récemment sommé les entreprises de payer l'impôt sur leurs revenus au titre de l'exercice 2019.

Mais face à ces appels qui se multiplient de plus en plus, les fortunes africaines, qui ont contribué aux plans de riposte à travers le continent, pourraient faire valoir les difficultés qui découlent de la crise du Covid-19. Leurs portefeuilles ont largement pâti de la volatilité des marchés boursiers qui prévaut depuis le début de la pandémie.

Au-delà de l'aspect financier cependant, l'imposition des fortunés relève aussi d'une certaine justice fiscale, comme soulignait Wort dans un entretien avec La Tribune Afrique : « Les administrations fiscales africaines collectent plus d'argent auprès des pauvres. [...] Il est important de bien équilibrer les impôts ».

Ristel Tchounand

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Commentaires 2
à écrit le 18/05/2020 à 21:41
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Il n'y a pas que pour l'Afrique que le timing du covid-19 est idéal. C'est idéal surtout pour la Chine, et aussi pour Macron, les deux principaux bénéficiaires de cette crise. Pour contre pour les States...

le 20/05/2020 à 6:52
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On nous agite sous le nez l’impôt sur la fortune pour détourner notre attention des carences évidentes de l'administration. C'est une caste qui dirige notre pays avec sa propre idéologie indépendamment des gouvernements successifs. Grace au découpage...

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