Séisme au Maroc : les acteurs du tourisme court-circuités, mais confiants

Pleinement impliqués dans la mobilisation en cours pour secourir les survivants du séisme d’Al Haouz, les professionnels du tourisme reconnaissent encaisser un « coup dur » pour un secteur pourtant en plein boom post-Covid et qui compte fort dans l’économie marocaine. Mais ils se disent généralement optimistes pour l’avenir, notamment si l’élan de solidarité humanitaire observé au niveau national et international se décline aussi en solidarité touristique.
Ristel Tchounand
Place Jemaa el-Fna, Marrakech.
Place Jemaa el-Fna, Marrakech. (Crédits : DR)

Selouane Berrada est originaire de Fès, mais il est né et a grandi à Marrakech. Cet entrepreneur, sacré « Voyagiste de l'année » 2023 en avril dernier au « Visit Marrakech Trophy », connait donc la région du centre sur le bout des doigts, d'autant qu'il exerce dans le secteur du tourisme depuis une trentaine d'années. Comme partout à travers le pays, les citoyens - professionnels y compris - se mobilisent. « Nous avons tous perdu des proches, des frères, des sœurs, des voisins, des compatriotes... Ce qui nous préoccupe actuellement, c'est de venir en aide aux survivants et l'élan de solidarité en cours depuis quelques jours dans le royaume permet de susciter beaucoup d'espoir », confie le voyagiste.

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« C'est un coup dur, mais nous avons les moyens de rebondir »

Le séisme de magnitude 6,8 sur l'échelle de Richter survenu vendredi 8 septembre et dont l'épicentre est situé dans la province d'Al Haouz - à des dizaines de kilomètres de Marrakech, dans le centre du Maroc - a fait près de 3.000 morts et plus de 5.500 blessés selon le dernier bilan provisoire du ministère de l'Intérieur. Suite à ce triste événement, le royaume a observé trois jours de deuil national décrété par le roi Mohammed VI. Le monarque s'est rendu mardi dans la ville ocre où il a visité le CHU et échangé avec les victimes. Plusieurs mesures ont été prises pour assurer un secours efficace sur le terrain. Outre les initiatives d'entraide à travers le royaume et à l'international, un Fonds spécial pour la gestion des effets du tremblement de terre a été lancé à Bank Al Maghrib, recevant les dons émanant de toutes les bonnes volontés.

Directeur général de Mountain Village Morocco et président de l'Association régionale des agences de voyage de Marrakech-Safi, Selouane Berrada l'avoue : « en réalité, nous ne pensons pas trop au business en ce moment, même si très vite nous serons rattrapés par la réalité. Il y a beaucoup d'annulations. Cette catastrophe portera un coup au secteur du tourisme dans l'immédiat, mais je ne suis pas inquiet pour l'avenir, nous avons les moyens de rebondir », estime, confiant, ce chef d'entreprise.

Le timing qui gêne...

Le poids du tourisme dans l'économie marocaine est connu, représentant 7% du PIB. Cette dernière décennie, Marrakech est le cœur-battant du tourisme marocain, accueillant tout au long de l'année des visiteurs des quatre coins du globe aussi prestigieux les uns, que les autres : qu'il s'agisse de leaders politiques et économiques occidentaux, de stars d'Hollywood, de la chanson ou de grands créateurs de mode... La cause de cette catastrophe étant liée à la force de la nature, les professionnels estiment qu'il faudrait simplement trouver les moyens de gérer la situation pour restaurer les infrastructures détruites. « Le séisme est un phénomène naturel qui peut arriver en France, en Espagne ou ailleurs dans le monde à n'importe quel moment. L'essentiel est de gérer la situation », estime Selouane Berrada.

Ce qui gêne les professionnels, c'est surtout le timing du tremblement de terre, survenu en plein boom touristique au Maroc. En 2022, le royaume chérifien a accueilli 11 millions de visiteurs selon le ministère du Tourisme, soit un taux de récupération de 84% comparé à l'année 2019, précédant la pandémie de Covid-19 qui avait totalement agenouillé le tourisme mondial. Les recettes ont, elles aussi, atteint un record, frôlant les 94 milliards de dirhams (environ 9,3 milliards de dollars), en hausse de 19% par rapport à 2019. L'embelli s'est poursuivi au premier semestre 2023 avec 6,5 millions de visiteurs, en hausse de 92% en glissement annuel et des recettes en hausse de 69% à 47,9 milliards de dirhams (environ 4,4 milliards d'euros). Ces touristes sont majoritairement venus de la France, de l'Espagne, du Royaume-Uni, de l'Italie et des Etats-Unis, tandis que leurs principales destinations étaient Marrakech, Agadir, Casablanca, Tanger, Fès et Rabat.

...en pleine haute saison des randonnées

De plus, le séisme d'Al Haouz est intervenu au début de la haute saison pour les randonnées. « Les randonneurs préfèrent généralement venir à cette période parce que le soleil est moins intense », explique Mohamed Majghig, directeur de Trek Berbere, un tour-opérateur qui accompagne les touristes dans les montagnes de l'Atlas depuis deux décennies. « Nous devions avoir nos premières arrivées de groupes de touristes samedi 9 septembre, au lendemain du tremblement de terre. Il y a donc eu des annulations. Ce qui, dans l'immédiat, est compréhensible », admet ce guide touristique.

« Nous n'étions pas préparés à subir un tel choc », confie Yassin Ougnir, Directeur de Grand Morocco, un tour-opérateur qui organise des excursions à travers le royaume y compris dans le centre touché par le séisme. « Nous avons beaucoup de clients qui aiment visiter ces régions du Sud. Ce sont des paysages époustouflants », se remémore-t-il, regrettant qu'après l'arrêt d'activité imposé par la Covid-19, le tourisme national fait désormais face au tremblement de terre, alors que l'activité était repartie de plus belle.

« Stop aux fake news concernant Marrakech »

Seule consolation : le fait que les dégâts du séisme ne concernent qu'une région bien précise du royaume. Cependant, les acteurs du tourisme déplorent une certaine couverture médiatique du séisme d'Al Haouz, estimant que « trop de fake news circulent », en rapport notamment avec la situation à Marrakech où les données officielles font état d'au moins 18 morts, des blessés et quelques destructions de bâtiments qui menaçaient déjà ruine, en particulier dans l'ancienne médina. « Il y a beaucoup de choses qui se disent dans les médias qui ne sont pas vraies. La réalité est que ce sont surtout les zones montagneuses qui sont dévastées par le séisme. Or quand on regarde certains médias, on a l'impression que tout est immobilisé à Marrakech, alors que la vie a repris normalement son cours dans la ville. Les hôtels sont ouverts... », explique Selouane Berrada. « C'est vrai, poursuit-il, qu'il y a des absences au niveau du personnel, mais c'est circonstanciel, beaucoup de gens ont perdu leurs proches dans cette catastrophe. Mais d'ici peu, ils reviendront à leurs postes et les activités se poursuivront normalement ».

Des appels à la solidarité touristique

Pour les professionnels, le caractère local du séisme pourrait limiter l'impact de la catastrophe sur le tourisme marocain. « La plupart des tour-opérateurs travaillent sur tout le territoire national, cela permet de mitiger les effets du séisme économiquement parlant », estime Yassin Ougnir. Et Selouane Berrada est encore plus optimiste. « Notre pays a réussi à se diversifier sur le plan touristique. A partir du moment où les autres régions avec leur authenticité, sont indemnes, on s'attend à une reprise d'ici octobre, novembre au pire », prévoit le président de l'Association régionale des agences de voyage de Marrakech-Safi.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux Marocains appellent les touristes du monde entier à « ne pas annuler » leur voyage et leur réservation d'hôtel en guise de « solidarité ». De l'avis des professionnels, si l'élan de solidarité actuel sur le plan humanitaire devient aussi touristique, « le secteur pourrait vite reprendre des couleurs ».

Ristel Tchounand

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Commentaire 1
à écrit le 14/09/2023 à 9:08
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Vous savez, lors du tsunami en Indonésie qui avait fait plus de 200000 morts en 2004, nos médias en ont interrogé des touristes indécents par principe même hein, je me souviens même d'un qui nous disait que sa fille y était en vacances juste une sema...

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