Formation et insertion des jeunes en Afrique : un investissement stratégique pour les entreprises

L'implication conjointe et partenariale des entreprises est aujourd'hui l'élément clé, indispensable pour répondre aux besoins du marché du travail et assurer une meilleure insertion socioprofessionnelle des jeunes africains.
(Crédits : LTA)

Force est de constater que la croissance de la population de jeunes est la plus rapide au monde dans les pays africains. Les chiffres qui caractérisent cette situation parlent haut et fort. En 2050, cette population en âge de travailler (15-24 ans) sera trois fois plus élevée dans les Afriques qu'en Chine (330 millions contre 120 millions). Second constat, cette jeunesse est de plus en plus éduquée et son intégration sur le marché du travail est un défi majeur tant l'employabilité n'a pour l'heure pas été mise au rang de priorité.

Vingt-cinq millions... C'est le nombre d'emplois nets que va devoir créer chaque année l'Afrique subsaharienne -pour ne parler que d'elle- au cours des dix prochaines années pour seulement maintenir les taux de chômage actuels, déjà très élevés (source FMI), soit plus du double de ceux créés en moyenne dans la dernière décennie.

La tâche est immense, le défi dangereux. D'autant plus ardu que les jeunes africains ont de plus en plus de mal à s'insérer sur le marché formel du travail avec pour corollaire un secteur informel -organisé, pourtant- qui frise les 85% des emplois. Même si les jeunes commencent à admettre que le salariat n'est pas l'horizon indépassable d'une trajectoire professionnelle réussie, et que le lien automatique entre formation et emploi public est définitivement révolu, une très large majorité d'entre eux souhaitent pourtant obtenir un emploi dans le secteur formel (à parité entre public ou privé), lequel ne cesse de diminuer. Voilà qu'apparait un grand écart entre les aspirations de la jeunesse africaine et la réalité de terrain dont les conséquences sont d'autant plus explosives qu'il va en s'accentuant.

Les crises récentes ont montré qu'une jeunesse sans emplois et sans perspectives devient beaucoup plus difficile à gérer par les Etats. Alors qu'elle est formidablement dynamique et porteuse de changement, cette jeunesse a un impérieux besoin de « vision » pour se projeter dans un avenir choisi. Comme l'a confirmé le séminaire IHEDN-CNCCE organisé en mai dernier avec le concours du CIAN et du MEDEF, l'extrémisme violent dans l'espace sahélo-saharien prospère notamment sur l'absence d'opportunités socio-économiques pour les jeunes rendus ainsi plus vulnérables au recrutement par des organisations extrémistes.

Cette situation n'est pas sans conséquence pour les entreprises, qu'elles soient nationales ou étrangères. Ne trouvant pas localement les ressources pour satisfaire leurs besoins de compétences et renforcer leur compétitivité par la qualification des ressources humaines, elles doivent recourir à l'expatriation -plus seulement européennes- ce qui est à la fois socialement difficile à accepter tout en étant source de non-compétitivité.

Les deux principales causes de cette faiblesse croissante de l'insertion professionnelle des jeunes en Afrique méritent d'être rappelées : la première provient du système traditionnel d'enseignement et de formation technique et professionnelle (EFTP) qui n'est plus adapté dans des économies où l'informel a pris depuis longtemps une place largement prépondérante. Le système actuel est encore très largement associé au système scolaire formel et repose sur des programmes d'étude rigides tournés vers l'offre. Il reste dominé par les cours théoriques, les examens et la quête de diplômes plutôt que par l'acquisition des compétences et des aptitudes pratiques -souplesse, adaptation- permettant de s'intégrer avec succès dans le monde du travail.

La deuxième cause, tout aussi évidente, est la déconnexion qui existe entre l'EFTP et le monde des entreprises, en particulier dans les secteurs porteurs et propulsés par l'innovation. Les partenaires économiques ne sont pas -de facto- associés à la définition des orientations ou à la conception des programmes de formation et ne sont pas, ou peu, impliqués dans le fonctionnement et l'évolution du dispositif de formation professionnelle. D'où l'insuffisance dans l'offre existante de l'EFTP de véritables dispositifs de formation de type dual en alternance et par apprentissage.

Si les solutions sont loin d'être simplesquelques urgences s'imposent, notamment celle d'un changement de paradigme en matière de formation technique et professionnelle. L'approche académique n'est plus suffisante et, en lien avec les entreprises -y compris du secteur informel, véritable un réservoir de compétences, l'école doit s'adapter pour devenir un lieu spécifique de formation orienté sur l'employabilité. Il ne s'agit plus seulement de former pour qualifier, mais bien de former pour insérer. Pour ce faire, il faut « déscolariser » l'EFTP et mettre l'accent sur l'acquisition de compétences numériques et transversales (soft skills).

Dès lors plusieurs questions se posent :quels sont les mécanismes de certification pouvant se porter garants de la qualité des acquis d'apprentissage et de leur alignement avec les besoins économiques en termes de compétences ? Quelles stratégies et quels outils permettront d'améliorer la performance des centres d'EFTP en termes d'intégration professionnelle des apprenants ?

Les entreprises françaises sont conscientes de longue date de la nécessaire adaptation des cycles de formation dont ils ont eux aussi besoin et s'efforcent d'apporter des éléments de réponse à cette problématique. A titre d'illustration, c'est ainsi que le CIAN, en partenariat avec le MEDEF et avec l'appui de l'AFD, a mis en place le programme RH Excellence Afrique (REA) à Abidjan en 2017. Depuis quatre ans, l'association REA y développe un processus de certification visant à optimiser la qualité des prestations des organismes de formation professionnelle en lien avec les besoins des entreprises et s'efforce d'accompagner vers l'excellence ces établissements d'EFTP dont les filières ont été certifiées pour mieux répondre aux besoins concrets des entreprises et d'améliorer l'employabilité des jeunes.

Aujourd'hui autonome et reconnu par les publics concernés comme la première étape réussie d'un véritable cluster des compétences et de l'employabilité en Côte d'Ivoire, REA constitue aujourd'hui le premier projet en assurance qualité en formation professionnelle en Afrique initié par le secteur privé.

Dans ce contexte, REA est notamment chargé dans le cadre du projet ARCHIPELAGO financé par Bruxelles de travailler à la mise en place d'unObservatoire prospectif de l'emploi et des compétences pour la chaine de valeur de l'électricité en Côte d'Ivoire. L'objectif est de pouvoir anticiper la réactivité de l'offre de formation des jeunes face aux évolutions technologiques et économiques dans le contexte de la transition énergétique du pays. Ce dispositif-pilote pourra être par la suite étendu à d'autres secteurs porteurs, y compris au plan régional.

REA ouvre aussi la voie à des partenariats public privé(PPP) prometteurs en matière de formation professionnelle, notamment par la mise en place d'un système national de certification en Côte d'Ivoire. Les opportunités de PPP dans ce domaine peuvent être nombreuses, même si pour l'heure encore peu généralisées. Le constat est unanime: les systèmes de formation -même courtes tel que REA les pratique- qui offrent le plus d'opportunités d'emploi sont basés sur l'approche par les compétences et sur le pilotage partenarial des processus de la formation professionnelle certifiante.

Les pays africains - à l'instar du Ghana, de l'Angola ou du Sénégal, et bien d'autres- qui se sont engagés dans des politiques de formation professionnelle fondées sur ces critères reconnaissent que l'implication conjointe et partenariale des entreprises est l'élément clé, indispensable pour répondre aux besoins du marché du travail et assurer une meilleure insertion socioprofessionnelle des jeunes.

Pour les entreprises, les choses sont claires :le besoin de compétitivité fait du développement des compétences un investissement stratégique. Cette identification des besoins et les processus de certification sont des démarches structurantes qui seront mises à profit de la formation formelle, alors que la rénovation de l'apprentissage constitue -lui- un vecteur d'adaptation et d'inclusion progressive du large secteur informel.

Fort de ce constat, et c'est un des principaux enseignements du dernier séminaire IHEDN-CNCCEF, les PPP ne sont plus une option -s'allier pour gagner, ensemble. Puisque dans les Afriques plus qu'ailleurs, c'est bien par le renforcement de la fonction stratégique de la formation professionnelle que cette jeunesse avide de participer légitimement à l'avenir pourra passer d'une économie de subsistance à une économie de croissance inclusive et de développement.

(*)  Président (Re)sources, ancien président Afrique Medef International

(**) Président de la Commission « Institutions européennes » du CIAN

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.