Bénin : « Nous identifions et fermons systématiquement les "poches" de mauvaise gouvernance »

Le ministre de l'Economie et des Finances du Bénin a répondu à La Tribune Afrique sur les avancées du Programme d'Action du Gouvernement 2016-2021 (PAG) et les écueils qu'il a rencontrés. Avec des prospectives de croissance supérieures à 6% pour l'année 2018, les « indicateurs macroéconomiques sont bons » se félicite Romuald Wadagni qui défend les réformes engagées depuis 2016...
Romuald Wadagni, ministre de l'Economie et des Finances du Bénin.
Romuald Wadagni, ministre de l'Economie et des Finances du Bénin. (Crédits : DR)

La TRIBUNE Afrique : De quelle manière le PAG participe-t-il à attirer les investisseurs au Bénin ?

Romuald Wadagni : Pour créer les conditions afin d'attirer les investisseurs, nous avons mis en place toute une série de réformes concernant le dispositif de facilitation des relations avec le secteur privé et de promotion des investissements dans le cadre du PAG. L'ensemble des interventions devrait permettre de doubler le taux d'investissement grâce aux Partenariats Public Privé (PPP), de réaliser au minimum 6,5% de taux de croissance moyen et de créer environ 500.000 emplois directs.

Nous avons élaboré de nouveaux mécanismes pour faciliter l'accès au financement des affaires, une loi sur l'affacturage et une Loi sur le crédit-bail ou encore des Zones Economiques Spéciales (...) Nous avons réformé le Code des marchés publics. Nous avons également créé l'Agence de Promotion des Investissements et des Exportations (APIEX) dotée d'un guichet unique, qui est devenue la seule porte d'entrée des investisseurs pour les importations, les exportations ou pour la création d'entreprise au Bénin.

Parallèlement, nous sommes le seul pays de la zone de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) à s'être doté d'une loi de dérégulation sur le travail. Aujourd'hui, lorsqu'un employeur étranger recrute au Bénin, il retrouve des conditions de travail quasi-similaires à son propre pays. La convention qu'il signe avec le salarié lui permet la plus grande flexibilité, ce qui favorise la création d'emplois sans craindre les procès aux Prud'hommes... D'ailleurs, nous avons plafonné le montant des indemnités versées aux salariés y compris dans le cas de licenciements abusifs.

A mi-parcours, quels sont les premiers résultats relatifs aux mesures prioritaires du PAG ?

Nous avons présenté une mise à jour à nos partenaires techniques en janvier dernier. Tous les chantiers sont engagés et, en dehors de la réforme constitutionnelle sur le mandat unique, les autres lois sont passées. Avec cette loi, nous cherchions à l'origine, à éviter toute forme de « clientélisme » pour ne pas freiner les réformes engagées par l'Etat (NDR : la Constitution prévoit 1 mandat présidentiel renouvelable une fois). En 18 mois, plus d'une cinquantaine de lois ont été signées, visant à améliorer la gouvernance et à faciliter le climat des affaires (...) En décembre 2017, nous avons également reçu une proposition de loi de l'Assemblée nationale pour la suppression du droit de grève dans  les secteurs sensibles...

...une loi qui a conduit le personnel médical dans les rues et qui a finalement été invalidée par la Cour constitutionnelle en raison de sa « non-conformité ».

Vous savez, le droit de grève a été interdit dans un secteur sensible comme les douanes en 2011. Il est également interdit dans l'armée. Pourquoi est-ce que l'Allemagne est un pays réformateur qui fonctionne bien ? Les fonctionnaires ne sont jamais en grève ! Au regard de l'histoire du développement des pays qui ont surmonté des crises conjoncturelles, certaines dispositions ont permis aux populations de se lever pour obtenir des avancées sociales mais cela s'est produit dans un contexte précis... Dans des pays pauvres comme le Bénin, la justice ne peut pas se mettre en grève (...) Les magistrats peuvent-ils faire la grève en France ? La réponse est non.

Au niveau de la santé, la mise en place d'un service minimum dans la santé avait déjà été instaurée, mais il n'est pas respecté : Alors que faire ? Par ailleurs, nous avons engagé de lourds investissements dans un secteur qui est défaillant depuis plusieurs années, on ne peut donc pas se permettre que le personnel soit en grève. Aujourd'hui, il existe des cliniques privées où les patients reçoivent les traitements nécessaires, ce sont les plus pauvres, soignés dans les hôpitaux publics, qui sont touchés avant tout par le manque de personnel et les dysfonctionnements du secteur de la santé.

En décembre, la visite de Christine Lagarde s'est conclue par un nouveau financement du FMI de 22,5M$ dans le cadre du programme de financement triennal. Il a néanmoins été pointé du doigt, la nécessaire mobilisation des ressources domestiques associée à plus d'inclusivité : comment y répondez-vous ?

Ce sont deux notions génériques qui sont aujourd'hui appliquées à la plupart des pays d'Afrique par le FMI. Cette année, notre croissance devrait dépasser 6% et nous comptons réduire notre déficit à 4%. Au niveau macroéconomique, les indicateurs sont donc satisfaisants. Concernant la mobilisation des ressources domestiques, c'est une nécessité afin de diminuer le recours à la dette : cette remarque vaut aussi bien pour le Bénin, la Côte d'Ivoire que le Kenya... Jusqu'à 2016, nous atteignons jusqu'à 65% de dette mais les ressources internes constituent 55% du budget cette année et nous accentuons nos efforts en ce sens.

S'agissant de l'inclusivité, la question repose sur les taux de croissance importants enregistrés ces dernières années, dont les Africains ne mesurent pas toujours les effets (...) La population béninoise croît et il nous faut mettre en adéquation notre croissance démographique à notre croissance économique.

Toutefois, nous prenons en sérieuse considération ces deux remarques du FMI qui nous a, par ailleurs renouvelé son soutien.

Sur quelles bases repose la stratégie de mobilisation des ressources internes ?

Premièrement, nous devons élargir la base fiscale. L'impôt existe dans plusieurs secteurs mais il est encore souvent injuste et trop élevé. Le résultat est un risque de fraude important. Nous avons récemment réformé le code foncier par exemple. Jusqu'en 2016, lorsque vous achetiez un bien immobilier, les droits de mutation ou d'enregistrement (...) avaient des taux très élevés qui dépendaient de la valeur du bien, lequel était donc largement sous-évalué. Nous avons revu toute la fiscalisation du foncier et de l'immobilier. Nous avons demandé à la population d'informatiser leurs transactions et nous avons créé un cadastre foncier national entièrement numérisé. Aujourd'hui, nous connaissons les noms de tous les propriétaires et nous savons quelles ont été les conditions précises d'achat. S'agissant des droits de succession, nous avons remis les compteurs à zéro. Dans certains cas, les montants étaient considérables et n'incitaient pas les populations à régulariser leur situation.

A ce jour, nous avons constitué une base solide et la fiscalité qui était pénalisante a été optimisée. Ce faisant, les Béninois ne paient quasiment rien pendant 3 ans pour que nous puissions repartir à 0. A partir de 2019, nous imposerons un taux de fiscalité très faible - même si ça ne représente que 0,1% -, mais la base constituée s'acquittera de l'impôt et cela représentera autant de ressources supplémentaires...

Les Béninois sont-ils prêts à suivre les réformes engagées par le gouvernement ?

Pris individuellement, le Béninois est plein de qualités comme l'a souvent rappelé le Président. Cependant, au niveau collectif, nous n'avons pas su nous organiser pour élaborer un dispositif nous permettant de travailler ensemble. Parallèlement, pendant plusieurs années, les réformes n'ont pas été suffisantes dans plusieurs secteurs stratégiques. C'est le cas de l'accès à l'eau où les investissements ont été interrompus. Le mois dernier, l'eau a été brutalement coupée dans ville de Savalou car les investissements nécessaires aux équipements n'avaient pas été réalisés... Nous n'avons pas suffisamment investi pour réduire les problèmes vitaux et ce n'est pas uniquement une question de ressources (...) Nous n'avons pas besoin de pétrole pour être un pays rigoureux et travailleur mais il nous faut une bonne planification, une « vision » pour fédérer les compétences dans l'intérêt supérieur de la Nation.

Quels sont les ressorts sur lesquels repose cette « vision » pour le Bénin ?

Nous identifions et fermons systématiquement les « poches » de mauvaise gouvernance. Nous encourageons aussi les Béninois à se concentrer sur le fruit de leur travail et à se détourner des schémas de corruption. Par ailleurs, nous prenons les dispositions nécessaires pour les éloigner du secteur informel.

De quelles manières les TIC accompagnent-elles votre stratégie de sécurisation des recettes ?

Au-delà de la « pure bancarisation » du Bénin, nous voulons développer l'accès aux services dématérialisés avec les FinTech et le m-banking. Nous sécurisons actuellement les recettes en nous appuyant sur les nouvelles technologies.  Au Bénin, le taux de TVA correspond aux normes régionales (18%) mais c'est toujours l'impôt le plus volé. On est bien en dessous de 50% de recouvrement même si c'est un chiffre difficilement quantifiable... Nous sommes actuellement en phase de test concernant des caisses enregistreuses connectées pour contrôler les opérations financières, par exemple. Pour être efficace, cette réforme doit être soutenue par la population qui doit réclamer un reçu systématiquement. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place un système de loterie hebdomadaire. Derrière chaque ticket, un numéro est susceptible d'être tiré au sort et rapportera au gagnant 10 000 Fcfa, y compris pour de petits achats de 100 Fcfa. Cette initiative «digitalisée» devrait limiter les opérations non déclarées...

Propos recueillis par Marie-France Réveillard.

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