Cote d’Ivoire : guerre de prétoires sans Simone Gbagbo, la "Dame de sang"

Six mois de procès, plusieurs reports, une défiance des avocats de la défense par le boycott systématique depuis plus de 15 jours... Et au final, une inculpée absente du box des accusés. Après avoir (encore une fois !) constaté l’absence de Simone Gbagbo, l’ex-première dame ivoirienne, le juge de la cour d’Assises d’Abidjan a décidé de faire poursuivre son procès. La guerre des prétoires continue devant un box des accusés vidé de ses occupants possibles ou imaginaires.
Ibrahima Bayo Jr.
Simone Gbagbo, ici dans le box des accusés lors de son premier procès

L'épouse de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a renvoyé l'huissier de justice venu lui servir la citation à comparaître et ses avocats dénoncent " un simulacre de procès " auquel ils ne prendront pas part tant que des témoins VIP ne seront pas auditionnés.

Entre l'accusation et la défense, c'est un peu un dialogue de sourds dans un prétoire. « C'est elle qui a décidé de ne pas comparaître. On peut très bien se passer de sa présence. Elle s'est longuement exprimée, ses avocats aussi », charge Aly Yéo le procureur de la République. « Ce procès n'est plus crédible. Franchement, je pense que la cour d'assises et le procureur général devront permettre que la défense revienne aux assises », rétorque pour sa part, Rodrigue Dadjé, l'avocat de l'ex-première dame ivoirienne.

Que reproche-t-on à Simone Gbagbo ?

Les charges qui pèsent sur Simone Gbagbo sont lourdes. Condamnée à 20 ans de prison dans un autre procès pour « atteinte à la sûreté de l'Etat » en 2015, Simone Gbabgo comparaît à nouveau depuis le 31 mai dernier pour « crimes contre l'humanité » et « crimes contre les populations civiles ».

Le contexte des crimes dont elle est accusée, a pour cadre la crise post-électorale de 2010. La commission électorale indépendante qui avait déclaré Alassane Ouattara président élu s'oppose à la Cour constitutionnelle qui conteste les résultats et penche pour Laurent Gbagbo. Ce dernier réclame un recomptage des voix sous supervision internationale que refuse son adversaire.

La crise se mue en rapport de forces entre pro-Gbagbo accusés d'avoir recours aux « escadrons de la mort », une milice paramilitaire et pro-Ouattara soutenus par la force française Licorne et l'ONUCI, la mission des nations unies dans le pays. Des affrontements et des exactions auront fait près de 3 250 morts en cinq mois, selon les chiffres de la commission d'enquête post-crise.

La stratégie du "banc des accusés vide" pour éviter la prison à vie

Arrêtée en avril 2011 en compagnie de son mari dans la résidence présidentielle de Cocody, Simone Gbagbo aurait activement participé à plusieurs de ces exactions lors de la crise post-électorale notamment la répression d'une marche devant le siège de la télévision nationale et le bombardement du marché d'Abobo, fief réputé proche d'Alassane Ouattara. Ce qui lui a valu le surnom peu enviable de « Dame de sang ».  Des accusations de crimes contre l'humanité pour lesquels l'épouse de l'ex-chef de l'Etat, aujourd'hui âgée de 67 ans, encourt la prison à vie.

Simone Gbagbo aurait pu être la première femme à être jugée par la Cour pénale internationale (CPI) qui avait émis un mandat d'arrêt international à son encontre. Mais la « Dame de fer » (son autre surnom) s'y était opposée qualifiant la juridiction d'« impérialiste ». Pour sceller son sort, l'actuel président ivoirien, Alassane Ouattara avait refusé de l'extrader devant la CPI, préférant que Simon Gbagbo soit jugée devant les tribunaux ivoiriens. Pourtant Alassane Ouattara n'a pas hésité à livrer l'ex chef de l'Etat, Laurent Gbagbo et l'ancien ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé jugés pour les mêmes crimes depuis janvier devant la juridiction internationale basée à La Haye.

Depuis plus de trois semaines, les reports succèdent aux reports dans la nouvelle affaire de Simone Gbagbo. La first lady ivoirienne est bien décidée à adopter la politique du banc des accusés vide. Ses avocats n'acceptent de siéger, tout comme leur cliente, que si des témoins clés comparaissent à la barre. Il s'agit de l'actuel président de l'Assemblée nationale et ancien chef de la rébellion Guillaume Soro. Selon les vœux des avocats de la défense, Jeannot Kouadio Ahoussou, l'actuel président de l'Assemblée des régions et districts de Côte d'Ivoire (ARDCI) ou Charles Koffi Diby, le président du Conseil économique et social, doivent également être attraits à la barre. Ce que refusent catégoriquement ces témoins

Improbable audition de témoins VIP

La probabilité de voir ces grosses pontes témoigner à ce procès est très minime. Guillaume Soro, ancien chef des rebelles est en pleine campagne pour les législatives en décembre prochain avec pour objectif de ne pas descendre de son perchoir de président de l'Assemblée où il jouit d'une immunité parlementaire. L'ancien premier ministre Jeannot Kouadio Ahoussou est chargé de lancer le dialogue pouvoir-opposition tandis que l'ancien ministre d'Etat aux Affaires étrangères, Charles Koffi Diby est un proche de Ouattara.

« [...] que retiendra l'opinion nationale et internationale ? Que Mme Gbagbo a encore une fois été condamnée sans que les acteurs des faits n'aient jamais comparu », s'interroge même Me Rodrigue Dadjé. Certains observateurs voient dans la stratégie de la défense, une façon d'éterniser le procès pour éviter une deuxième condamnation de la « Dame de fer ». D'autres s'étonnent de constater le refus des témoins de comparaître s'ils n'ont rien à se reprocher.

Toujours est-il que le procès de Simone Gbagbo se poursuivra sans elle et sans ses avocats. A la place, des avocats commis d'office ont été désignés pour siéger à la place de ses désormais ex-conseils. Ils ont deux semaines pour se plonger dans la pile de documents du dossier d'accusation. En attendant, le procès a été reporté (encore !) jusqu'au 28 novembre. Le feuilleton judiciaire est loin de connaître son épilogue et les démons de la crise politique de 2010, loin d'être exorcisés !

Ibrahima Bayo Jr.

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