OMC : Le secteur privé africain refuse que les négociations multilatérales compromettent la Zlecaf

En marge du processus de désignation du prochain directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui devra apporter un nouveau souffle à l’institution, le secteur privé africain appelle les pays membres à penser une réforme du système commercial mondial qui prenne en compte les intérêts de l’Afrique, à la veille de l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
Ristel Tchounand
Port de Tunis
Port de Tunis (Crédits : Reuters)

S'il y a un agenda qui tient particulièrement à cœur aux acteurs africains du commerce mondial, c'est bien la Zone de libre-échange continentale (Zlecaf) dont la mise en œuvre effective est désormais prévue le 1er janvier 2021. C'est à chacun des huit candidats à la direction générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) que le secteur privé africain adresse la nécessité d'une réforme du système commercial mondial qui permettra à l'Afrique de dealer sur de nouvelles bases. Point focal de ses exigences : que la mise en place d'un marché commun africain ne soit pas compromise par les négociations multilatérales.

« Ignorer la voix de l'Afrique [...] aura des conséquences dramatiques sur l'OMC et le système fondé sur des règles, à un moment où le multilatéralisme est déjà menacé », a déclaré -lors d'une conférence en ligne ce jeudi 10 septembre- le Comité panafricain du commerce et de l'investissement du secteur privé (Paftrac). Il s'agit pour rappel du porte-parole du secteur privé africain autour des questions de commerce et d'investissement, une initiative soutenue par l'Union africaine (UA), la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque africaine d'import-export (Afreximbank). « L'Afrique joue un rôle important mais largement sous-estimé dans l'économie mondiale », a souligné Benedict Oramah, président d'Afreximbank dans son allocution d'ouverture, remarquant que « la part mondiale du commerce de l'Afrique était tombée de 4,4% en 1970 à 2,5% aujourd'hui, tandis que la part de l'Asie était passée de 7,7% à 20% au cours de la même période. Des marchés fragmentés et des contraintes persistantes du côté de l'offre, des barrières tarifaires douanières et des normes très strictes sur les produits finis africains, concourent à limiter le potentiel du continent à progresser dans le commerce mondial ».

Ces difficultés des patrons africains avec l'OMC actuelle

L'Africa CEO Survey 2020, une enquête réalisée auprès des patrons africains au sujet de l'OMC présenté pendant cette conférence en ligne montre que 75% des patrons africains interrogés rencontrent de nombreuses difficultés à pratiquer le commerce international. En première ligne : les tarifs et les barrières non-tarifaires, l'accès au capital et au change, le transport et l'infrastructure logistique, la transparence dans les règlements et réglementations, le manque d'information commerciale ou encore le règlement actuel des différends à l'OMC mécanismes qui ne leur sont pas accessibles.

Si 50% des chefs d'entreprises africains s'attendent à une augmentation du commerce international au cours des 12 prochains mois, 65% des CEO estiment le système commercial mondial actuel injuste pour l'Afrique, tandis que 37% pensent que l'OMC est inefficace dans son état actuel. Participant à cette conférence, Daphne Mashile-Nkosi, fondatrice & PDG de Kalagadi Manganese et première femme patronne d'une compagnie minière en Afrique du Sud, a brièvement partagé son expérience. « J'ai eu besoin de l'OMC seulement lorsque j'ai voulu savoir comment exporter mes produits. [...] Mais on se rend bien compte c'est que ce sont eux [les pays riches] qui déterminent leurs propres règles », a-t-elle confié, citant l'exemple des « prix des diamants [qui] sont déterminés, une fois que ceux-ci ne sont plus sur le continent ».

Rompre avec le statut d'exportateur de matières premières/importateur de produits finis

Le commerce africain, qui a généré 997,9 milliards de dollars de recettes en 2018 selon les données d'Afreximbank, a connu un important ralentissement cette année, en raison de la pandémie de coronavirus. D'autant que celle-ci a entraîné un chamboulement des chaines de valeurs. Et alors que l'OMC est récemment comme prise au piège de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, le Paftrac qui prévoit une croissance du commerce intra-africain, insiste pour la considération de l'agenda commercial du continent dans l'avenir de l'OMC.

Les autres attentes des patrons africains concernent notamment la mise en place des règles d'échanges des produits agricoles avec les pays développés qui favorisent l'émergence d''agro-industries africaines capables de coopérer « sur un même pied d'égalité » avec le reste du monde. Le but étant notamment que le continent rompe avec son statut d'exportateur des matières premières et importateurs de produits finis. La transparence des normes et règlements techniques, un système qui facilite le transfert technologique, qui offre aux pays africains une marge de manœuvre pour soutenir les industries et faire progresser le développement sont autant de recommandations délivrée par la Paftrac.

« Un commerce mondial plus équitable, plus urgent que jamais »

De l'avis de l'économiste nigérian Patrick Utomi, président du Paftrac, la crise du coronavirus renforce les besoins d'un nouveau système commercial mondiale d'un point de vue de l'Afrique. « Nous avons vu au cours de cette pandémie que les entreprises du monde industrialisé ont reçu des renflouements massifs, des aides fiscales, sans parler des contrats gouvernementaux et des stimulus des états », a-t-il détaillé avant d'ajouter : « les entreprises africaines n'ont pas eu cette chance et devront faire face à un monde où le commerce sera déprimé en raison de l'environnement post-Covid. Dès lors, un environnement commercial mondial plus équitable est plus urgent que jamais ».

« Les trois candidats africains sont tous hautement compétents »

Trois Africains sont lice pour la tête de l'OMC : la Kényane Amina Mohamed, l'Egyptien Hamid Mamdou et la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala. Tous les intervenants à la conférence en ligne de jeudi ont insister sur la nécessité pour le continent de parler d'une seule voix, afin de ne pas « diluer » l'influence africaine. Mais à la question de savoir si le secteur privé est en train de militer pour qu'une seule candidature africaine reste en lice, le Paftrac répond : « tous ces trois candidats sont hautement compétents », estimant que le plus important est qu'au final, les exigences des acteurs du commerce africain soient entendues.

Ristel Tchounand

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