Les crédits carbone constituent une opportunité unique pour l’Afrique

{OPINON] Pour ou contre les crédits carbone ? Il est rare de trouver en Afrique une opinion sur le sujet qui soit étayée par des arguments solides et chiffrés. Le sujet est quasiment absent du débat public. Pourtant, il pourrait revêtir une importance capitale pour le devenir du continent, puisque la région est l'une des plus frappées par le réchauffement climatique qui y provoque sécheresses, inondations et désertification, menaçant la sécurité alimentaire et l'accès à l'eau.
(Crédits : DR)

Si le débat sur les crédits carbone est inexistant, ce n'est pas à cause de la nouveauté du sujet. Les crédits carbone, dont le principe a été adopté il y a presque trente ans dans le cadre du protocole de Kyoto, sont des certificats attribués pour chaque tonne de gaz à effet de serre compensée par un projet durable. Les entreprises peuvent les acheter pour compenser leurs émissions excessives. Par exemple, une centrale électrique à gaz peut acheter des crédits-carbone à une ferme éolienne pour compenser ses émissions. Le mécanisme encourage la réduction des émissions, et stimule le développement de projets verts. Il participe ainsi à l'atténuation des effets du changement climatique.

Quel intérêt pour l'Afrique ?

Certes, le mécanisme a ses détracteurs. Ces derniers lui reprochent d'être un « droit de polluer » ; ou encore d'avoir un impact très faible dans la lutte contre le réchauffement climatique, ou encore de servir de paravent à des pratiques de greenwashing. Mais qui pose la question pourtant essentielle pour le milliard de personnes qui vivent sur le continent africain : « Qu'y a-t-il à gagner pour l'Afrique ? »

À ce niveau, le principal argument en faveur des crédits carbone est qu'ils constituent une rentrée d'argent pour les États. Selon l'Initiative pour les marchés du carbone en Afrique (Africa Carbon Markets Initiative/ACMI), les pays africains n'ont monétisé en 2021 que 22 mégatonnes d'équivalent CO 2 pour à peine 123 millions de dollars. Mais, d'après ces experts, les nations africaines pourraient mobiliser jusqu'à 6 milliards de dollars chaque année sur les marchés du carbone, soit une fois et demi le produit intérieur brut d'un pays comme le Cap-Vert.

Mais les crédits carbone ne représentent pas qu'une entrée d'argent pour les États. Ils sont aussi une superbe incitation pour les entreprises à réaliser des efforts en matière d'émissions de gaz à effet de serre et d'appui à la protection du climat. À titre d'exemple, le groupe italien Eni se penche sur la production de pétrole et de gaz « zéro émission » en Côte d'Ivoire. Dans le cadre de ce projet, il financera des initiatives de développement durable dans les zones où il extrait l'or noir grâce à la vente de crédits-carbone. Dans ce cadre, le géant italien a lancé en juillet 2022, un projet de distribution de 100 000 fours améliorés visant à éliminer localement la consommation de bois ou de charbon pour la cuisine. L'opération s'étalera sur une période de 6 ans et permettra entre autres de réduire la pression sur les ressources forestières.

Au Congo, TotalEnergies a lancé en novembre 2021 le projet Batéké Carbon Sink, qui permettra le boisement de 40 000 hectares dans les plateaux de Batéké, sur 10 ans. Cela correspond à plus de 40 millions d'arbres. Le projet lancé en collaboration avec le Groupe Forêt Ressources Management (FRM) permettra de séquestrer 500 000 tonnes de CO 2 par an.

Un « permis de polluer ».?

Il faut aussi remarquer que les crédits carbone n'ont pas qu'un effet de compensation et ne constituent pas, en ce sens, un « permis de polluer ». En effet, les analystes ont démontré que ce système peut participer à faire émerger le secteur des énergies renouvelables sur le continent. Actuellement, le développement de technologies vertes comme les mini-réseaux solaires à un rythme aligné sur le scénario zéro émission nette en 2050 s'avère quasiment inatteignable en raison de leurs coûts prohibitifs. L'espoir est permis grâce au mécanisme des crédits carbone.

En effet, on estime que les projets d'énergies renouvelables en Afrique peuvent générer des crédits carbone en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. En vendant ces crédits sur le marché international, les développeurs de projets peuvent obtenir des financements supplémentaires pour déployer de nouvelles initiatives qui contribueront à baisser les coûts et offrir au public de l'énergie propre à prix abordable. Engie se positionne déjà sur ce segment. En mars 2023, l'entreprise a fait part de sa volonté d'émettre des crédits-carbone sur ses kits solaires en Afrique. Ces crédits seront commercialisés sur un marché estimé à 2 milliards de dollars. L'entreprise française a affirmé que cette activité lui permettra de mobiliser des financements supplémentaires pour renforcer ses activités dans la région.

Des investissements à impact

Par ailleurs, les crédits-carbones peuvent inciter les industriels à investir sur le continent africain qui présente un fort potentiel en matière d'énergies propres. Si ce mouvement venait à se matérialiser, il entraînerait la création de dizaines de milliers d'emplois sur un continent où le chômage est l'un des principaux freins au développement.

Cependant, l'aspect financier n'est pas le seul à prendre en compte. L'entrée de plain-pied de l'Afrique dans le système des crédits carbone participera à renforcer la crédibilité des projets de préservation de l'environnement. En obtenant des crédits carbone pour leurs initiatives écologiques, les pays africains reçoivent une validation internationale de leurs actions en faveur du climat. Ils attireront davantage d'investisseurs et de partenaires internationaux, favorisant la mise en œuvre efficace de projets verts. En outre, cela encouragera la coopération mondiale pour la protection de l'environnement en Afrique, renforçant la crédibilité des actions entreprises pour lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité.

Cette année par exemple, le Ghana a obtenu du Forest Carbon Partnership Facility (FCPF), une enveloppe de 4,8 millions de dollars, pou avoir réduit de près de 972 000 tonnes ses émissions de CO 2 en 2019. Avant lui, le Mozambique avait bénéficié de 6,4 millions de dollars pour avoir réduit ses émissions de 1,28 million de tonnes de CO 2. La Banque mondiale indique que le pays lusophone pourrait encaisser 50 millions de dollars, en compensant 10 millions de tonnes d'émissions de CO 2 dans la province de Zambèze, d'ici à la fin de l'année prochaine.

Tout cela sans oublier que les crédits carbone, grâce à leur certification internationale, apportent des bénéfices sociaux importants aux communautés locales, en plus de protéger la biodiversité naturelle de leurs sites. Il s'agit d'une condition obligatoire et extrêmement précieuse pour que les crédits puissent être émis et vendus sur le marché international, avec des revenus alloués aux domaines sociaux et environnementaux locaux.

D'après un rapport du Sustainable Energy for All (SE4All), une initiative lancée en 2011 par l'ONU, les crédits-carbone représentent « une opportunité majeure pour accélérer le développement économique du continent et réduire simultanément les émissions de gaz à effet de serre ».

(*) Journaliste spécialiste des questions de développement.

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