Les leaders africains tapent du poing sur la table des négociations climatiques

Les attentes des pays du Sud autour du Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier étaient grandes, mais au lendemain de ce rendez-vous organisé pour redéfinir les contours de la finance mondiale, le bilan déçoit. Les Chefs d’Etat africains en appellent au plus vite, à la redéfinition des mécanismes financiers internationaux. Décryptage.

Les leaders africains s'étaient déplacés en nombre pour assister au Sommet pour un nouveau pacte financier, organisé les 22 et 23 juin à Paris, sous l'impulsion d'Emmanuel Macron et de Mia Mottley, la Première ministre de la Barbade. Entre William Ruto (Kenya), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Patrice Talon (Bénin) ou encore Paul Biya (Cameroun), la présence des Chefs d'Etat africains était une véritable démonstration de force qui tranchait avec l'absence des présidents des grandes puissances mondiales, de Narendra Modi (Inde) à Joe Biden (Etats-Unis), en passant par Xi Jinping (Chine) ou Rishi Sunak (Royaume-Uni). Pas moins de 24 Chefs d'Etat et de gouvernements africains avaient répondu à l'invitation du président français, sur les 37 présents à Paris.

Les responsables africains sont arrivés dans l'Hexagone avec la ferme intention d'obtenir des engagements concrets, car le continent qui n'est responsable que de 4% des émissions de gaz à effet de serre (GES), paye au prix fort les dérèglements climatiques, et le coût de la transition ne cesse d'augmenter, faisant peser une charge de plus en plus lourde sur les pays émergents qui réclament une réparation des préjudicies provoqués par les pays du Nord. « Selon un rapport commandé à des économistes par la présidence égyptienne de la COP27, les besoins en financements climatiques des pays du Sud et des marchés émergents (en dehors de la Chine) pour réduire leurs émissions carbones, pour assumer leur transition, pour couvrir les pertes et dommages et pour restaurer les terres et protéger la nature, s'élèvent à près de 2.000 milliards de dollars par an d'ici 2030. Aujourd'hui, on est loin des 100 milliards de dollars par an, promis il y a 14 ans par les pays industrialisés, qui sont en passe d'être mobilisés avec presque 3 ans de retard » explique Fanny Petitbon, la responsable plaidoyer de l'ONG Care France.

Vers une inévitable réforme des institutions de Bretton Woods

En dépit des absences remarquées (Narendra Modi, le premier ministre de l'Inde en particulier, qui rencontrait simultanément Joe Biden aux Etats-Unis, NDLR), le président français a réussi à réunir la plupart des bailleurs internationaux, du directeur de la Banque mondiale, Ajay Banga à Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), en passant par Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD).

Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies avait également fait le déplacement en personne pour assister à ce sommet qui devait poser les bases d'un « nouveau pacte financier », 80 ans après la conférence de Bretton Woods.

Le secrétaire général de l'ONU a lancé « un cri du cœur » mais aussi un « cri de guerre ». « Rendez-vous compte : plus des trois-quart des pays d'aujourd'hui n'étaient pas représentés à la création des institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et le FMI, et ce n'est guère mieux pour les Nations Unies et le Conseil de sécurité, en particulier. Près de 80 ans plus tard, l'architecture financière mondiale est devenue dépassée, dysfonctionnelle et injuste » a lancé Antonio Guterres, dès l'ouverture du Sommet, prévenant que cette« architecture financière qui ne représente pas le monde d'aujourd'hui risque de conduire à sa propre fragmentation ».

A l'heure où le poids du bloc des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) dépasse celui du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Union européenne), les pays du Sud restent structurellement sous-représentés dans les instances financières mondiales. « Ce que nous voulons bâtir ici dans un moment où les risques de division sont grands, c'est en effet un nouveau consensus, qui ne soit pas dicté d'un endroit, mais qui soit, en quelque sorte, porté par celles et ceux qui vivent les conséquences du changement climatique » déclarait le président Emmanuel Macron, au premier jour du Sommet. Toutefois, entre urgence climatique et nécessité de développement, les pays africains doivent faire des choix...

L'impossible renoncement africain aux énergies fossiles ?

« Le double discours des pays industrialisés, qui consiste à demander aux pays du sud de financer leur transition et de délaisser leurs ressources fossiles, alors que les pays du G20 subventionnent à hauteur de 500 milliards de dollars par an, leurs industries fossiles, n'est plus audible » estime Fanny Petitbon.

Selon le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), la Chine, les Etats-Unis, l'Inde et l'Union européenne (UE) représentent les plus gros émetteurs mondiaux de GES. Ils ont contribué à plus de 55 % des émissions totales au cours de la dernière décennie. Alors que les grandes puissances industrielles continuent de fixer les directives mondiales en termes de transition et d'adaptation climatiques, à travers les institutions multilatérales, les pays émergents entendent désormais prendre part aux orientations climatiques mondiales, tout en affirmant qu'ils ne renonceront pas à leur développement.

« Tout au long de ma vie, j'ai vu une succession de sécheresses privant le cheptel de pâturages et les paysans de récoltes. J'ai vu la terre rougie, des cheptels décimés, des régions livrées à la famine et des cohortes d'exodants grossir les bidonvilles (...) C'est cela qui explique que le Sahel n'est plus synonyme que de sécheresse mais aussi et surtout, malheureusement de violence » a déclaré le président nigérien Mohamed Bazoum au premier jour du Sommet. « Comme tous les autres pays pauvres, nous serons opposés à toute politique visant à nous priver du recours aux énergies fossiles contenues dans notre sous-sol » a-t-il déclaré, refusant de renoncer au pétrole qui pourrait sortir une partie des Nigériens de l'extrême pauvreté. Selon la Banque mondiale, le niveau d'extrême pauvreté dans le pays, s'élevait à 41,8 % en 2021 et touchait plus de 10 millions de personnes.

L'insupportable poids de la dette des pays émergents

Certaines initiatives annoncées pendant le Sommet ont été particulièrement applaudies, comme la suspension automatique du remboursement de la dette pour les pays touchés par une catastrophe naturelle. La France, les Etats-Unis, la Barbade, l'Espagne et le Royaume-Uni se sont déjà engagés sur le principe. Cette initiative devrait apporter une respiration aux pays les plus fragiles, car selon un récent rapport d'ActionAid International, 93% des pays vulnérables au changement climatique sont en situation de surendettement ou en passe de le devenir. Ce rapport révèle que « 38 des 63 pays les plus vulnérables au climat dépensent déjà tellement pour le service de la dette qu'ils doivent réduire les dépenses de leurs services publics ». Libérer des liquidités mises de côté pour rembourser la dette, pour répondre aux besoins immédiats des populations, apparaît donc comme un signe positif. Pour Fanny Petitbon, ce n'est pas suffisant. Il faudrait « annuler la dette et octroyer des dons et non des prêts aux pays les plus vulnérables. Les dons ne représentaient que 26% des financements climat engagés en 2021 » précise-t-elle.

« Les pays du Sud atteignent des taux de surendettement jamais vus depuis une vingtaine d'années (...) 54 pays dépensent 5 fois plus d'argent dans le service de la dette que dans leur action climatique, et c'est le cas pour de nombreux pays africains » explique Mathieu Paris, le coordonnateur de la plateforme française Dette et développement. « Lors de ce Sommet, il n'a pas été question d'annulation de la dette comme l'a demandé le président tchadien Mahamat Déby. Il n'a pas davantage été question de transformation du système financier mondial » constate-t-il, non sans rappeler que « l'endettement des pays du Sud est 2 fois moins élevé que celui des pays du Nord, mais que leurs taux d'intérêt sont nettement plus élevés ». Quant aux mesures applaudies pour soulager le fardeau de la dette zambienne, « il ne s'agit que de retarder le problème » estime l'expert. « Les acteurs privés comme les banques ou les fonds d'investissement ne prennent pas part aux négociations autour des mécanismes de restructuration de la dette alors qu'ils pratiquent des taux d'intérêt 2 à 3 fois supérieurs à ceux du public et qu'ils sont les principaux créanciers du continent » souligne-t-il par ailleurs.

Enfin, s'agissant des droits de tirage spéciaux (DTS), les résultats sont peu concluants. « En 2021, les pays de l'Union européenne ont reçu 165 milliards de dollars ; les pays africains : 34 ! Dit autrement : un citoyen européen a perçu en moyenne près de 13 fois plus qu'un citoyen africain. Tout cela a été fait dans les règles, mais reconnaissons que ces règles sont devenues profondément immorales » a souligné le secrétaire général de l'ONU.

Quelles mesures faut-il retenir du Sommet parisien ?

« Nous attendions la formation d'une coalition pour instaurer une taxe sur les énergies fossiles. Dans le discours de clôture du président Emmanuel Macron, il n'en a pas été question, pas plus que de taxation du secteur maritime, ni même sur les transactions financières » déclare Fanny Petitbon de Care France, au lendemain du Sommet.

Pour Youba Sokona, le vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), « il faut se poser les vraies questions. Comment entrer dans une économie décarbonée nécessitant des fonds importants qui ne sont pas dans les moyens des pays africains ? (...) On a poussé un certain nombre de pays africains à s'endetter pour des projets qui se sont révélés être des éléphants blancs (...) Aujourd'hui, combien de pays sont bloqués par le poids de la dette ? Une annulation pure et simple de la dette semble indispensable, pour financer la trajectoire d'une énergie décarbonée » ajoute-t-il.

Par ailleurs, le vice-président du GIEC pointe du doigt des « approches climat » dissymétriques entre le Nord et le Sud. « Les pays du Nord font actuellement face à une crise conjoncturelle de l'énergie suite à l'invasion de l'Ukraine, ce qui a provoqué l''accélération de leur transition climatique. D'un autre côté, les économies émergentes, notamment en Afrique, doivent répondre à des problèmes structurels liés aux financements de leurs infrastructures pour assurer leur transition et leur adaptation climatiques. Les organisations internationales cherchent des réponses exclusives alors que le climat est une question inclusive » constate Youba Sokona.

Pour les leaders africains qui veulent désormais avoir voix au chapitre, il n'est plus question d'être simplement considérés comme « ceux qu'on aide par générosité », comme l'a martelé le président sud-africain en clôture du Sommet, ne cachant pas sa lassitude des grands sommets qui « n'aboutissent à rien de concret ». Or, si tout le monde s'est accordé sur l'impérieuse nécessité de faire évoluer la représentativité des pays émergents dans les organisations internationales, les délégations africaines sont reparties de Paris, sans obtenir les grands engagements attendus.

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Commentaires 3
à écrit le 04/07/2023 à 10:03
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Le réchauffement climatique encore une aubaine pour recevoir de l’argent sans s’attaquer aux problèmes de fond de ce continent en particulier la natalité galopante ou la population double tous les 25 ans. En 2100 le Nigeria, si on ne fait rien serait...

à écrit le 04/07/2023 à 7:00
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Souvenons nous de la taxe Tobin impossible à mettre en œuvre même à 0.05%. Ce sont eux les maîtres du monde et ils ne veulent que continuer de le posséder et le détruire en ronflant, Nietzsche nous avait prévenu seuls ceux qui avaient de l'esprit aur...

à écrit le 03/07/2023 à 18:27
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Que peuvent espérer les pays Africains quand la plupart des gouvernants sont des dictateurs qui, pour une bonne partie font appel à de milices privées pour assurer leur sécurité. Cf: le déploiement de Wagner, courroie de transmission de la Russie Po...

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