Le manque de jeunes talents, experts dans l’utilisation des données probantes, pénalise nos services publics

En renforçant l'utilisation des données probantes dans la prise de décision publique et en formant les leaders de demain, nous serons en mesure de créer un écosystème solide, où les décideurs seront mieux équipés pour relever les défis auxquels l'Afrique est confrontée aujourd'hui.
(Crédits : DR.)

Récemment popularisée par Esther Duflo, prix Nobel d'économie 2019, l'utilisation de données probantes pour améliorer les politiques publiques et services publics reste un concept relativement récent en Afrique francophone. Cet ensemble de pratiques - évaluation d'impact statistique, systèmes de suivi de mise en œuvre, tests A/B de différentes variantes d'un programme ou encore revue de littérature académique - est pourtant reconnu comme essentiel pour améliorer l'efficacité et la qualité de l'action publique, aujourd'hui confrontée à des contraintes économiques, sociales et environnementales complexes, et à une demande de transparence des citoyens envers leurs dirigeants.

L'adoption de politiques publiques fondées sur des données probantes n'est pourtant pas nouvelle : elle s'est faite en premier lieu en médecine et en santé publique dès le XVIIIe siècle avec ce qu'on appelait déjà les premiers essais cliniques. À partir de ce moment-là, la pratique s'est développée, principalement dans le monde anglophone. Aujourd'hui, ces pays ont une avance considérable en matière d'utilisation de données dans la prise de décision et l'évaluation de l'action publique. Les résultats sont là - dans l'ensemble le retard du monde francophone à suivre cette tendance, altère l'efficacité réelle ou perçue des politiques menées dans ces pays.

Le monde francophone manque cruellement de micro-économistes.

En Afrique francophone, les décideurs qui cherchent à adopter ces pratiques se heurtent à une contrainte de taille : le déficit de jeunes talents. Ce n'est pas juste une question de grille salariale ou d'attractivité de l'emploi public : au-delà des gouvernements, les Nations unies, la Banque mondiale, les acteurs de la philanthropie, ou les bureaux de recherche comme le nôtre sont tous confrontés à cette même pénurie de talents qui couvre la sous-région.

Nos écoles de politiques publiques et écoles d'administration - là où se forment les décideurs de demain - continuent à produire des profils très généralistes, laissant encore peu de place, dans les programmes, aux statistiques ou à la recherche quantitative. Nous formons des micro-économistes, certes, mais nous en formons peu, et nous les cantonnons parfois à des rôles de recherche académique. Nous formons des statisticiens certes, mais de même, nous les formons trop rarement à des rôles à l'intersection entre les données et les politiques publiques.

Si cette constatation est partagée par la majorité des acteurs, peu d'initiatives ont vu le jour pour combler ce besoin:  les interventions existantes qu'il faut saluer portent majoritairement sur des formations courtes pour les praticiens déjà en poste. Ces initiatives sont encore une fois importantes, mais représentent une solution intermédiaire, pour pallier au plus urgent. Nous pensons qu'il est essentiel de concentrer suffisamment de formations initiales au niveau Master - en universités comme au sein des grandes écoles - pour former sur un temps long des professionnels francophones maîtrisant les outils et méthodes d'évaluation des politiques publiques, à l'instar de ce que fait déjà l'African School of Economics au Bénin ou le CESAG au Sénégal. Au Maroc, l'École Centrale Casablanca, soutenue par nos collègues IDinsight, et avec les encouragements du gouvernement marocain, ouvre en 2023 un Master sur deux années en Évaluation et Design de politiques publiques. Il est primordial de multiplier et d'inspirer ce type d'initiatives.

En renforçant l'utilisation des données probantes dans la prise de décision publique et en formant les leaders de demain, nous serons en mesure de créer un écosystème solide, où les décideurs seront mieux équipés pour relever les défis auxquels l'Afrique est confrontée aujourd'hui, ce qui mènera nécessairement à la transformation du continent ainsi que la réalisation de son immense potentiel.

(*)  Directrice exécutive régionale Afrique de l'Ouest et du Nord au sein d'IDinsight, basée à Dakar.

(**) Chief of Staff Afrique de l'Ouest et du Nord au sein d'IDinsight, basé à Rabat.

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