Dans nos pays, est-il possible d’être politicien et honnête ?

Il est désormais établi et accepté, à tous les niveaux dans nos pays que, pour être président de la République, il faut disposer de plusieurs milliards de Fcfa, soit autant qu'en Europe dont le niveau de richesse est pourtant sans commune mesure avec le nôtre. Il semblerait qu'au Nigeria, la dernière élection présidentielle ait vu les candidats importants dépenser chacun des sommes avoisinant le chiffre faramineux d'un milliard de dollars soit plus de six cents milliards de Fcfa !
Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali.
Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali. (Crédits : Moussamara.com)

D'où vient cet argent ? Comment l'avoir ? Est-il possible de rassembler une telle somme tout en gardant les mains propres ? Ce sont des questions utiles à se poser et dont les réponses sont déterminantes pour le sort de nos systèmes démocratiques et, au-delà celui de centaines de millions d'Africains. La manière d'arriver au pouvoir conditionne pour une large part la façon de gouverner et de rendre service aux populations. Comment en est-on arrivé là ? Comment l'argent est devenu la justification principale du choix de nos dirigeants, en lieu et place des idées, du projet, du parcours ou de la personnalité ? Quelques explications majeures peuvent être avancées.

Le niveau de compréhension politique des populations est un des facteurs explicatifs. Sous nos tropiques, les électeurs sont, en moyenne, peu instruits, peu formés politiquement et pas suffisamment au fait des règles démocratiques et de nos systèmes politiques multipartistes et électoraux. De ce fait, ils se réfugient facilement dans le concret, le matériel, le palpable, le court terme et les enjeux proches qui sont plus faciles à comprendre. Ces critères de choix sont également financièrement plus exigeants à satisfaire.

En de maints endroits, l'électeur vote ainsi pour celui qui paie son ordonnance, creuse un forage dans son village, réfectionne son centre de santé ou celui que le chef de village ou le patriarche lui dit de choisir, souvent pour les mêmes raisons. Il est vrai que l'attitude des responsables publics encourage les électeurs à adopter ces attitudes et cela constitue la seconde explication plausible à la « marchandisation » de la vie politique et publique dans nos pays. Les élus sont souvent adeptes de promesses sans lendemain. Une gouvernance locale ou nationale insouciante du bien-être des populations et un enrichissement révoltant des élus finissent de rompre les liens avec les populations, créant chez ces dernières le sentiment que les dirigeants se battent pour eux-mêmes d'abord ! Ceci explique pourquoi les électeurs finissent par ne compter que sur eux-mêmes, en profitant de toutes les occasions pour se servir, l'une de celles-ci étant les consultations électorales.

Il y a ensuite les stratégies insidieuses des gouvernants pour appauvrir le débat politique et le ramener sur le terrain des questions matérielles, là où ils auront toujours une longueur d'avance sur leurs compétiteurs. Ainsi, il n'est pas rare de voir la mise en scène de réalisations concrètes et son association à l'image personnelle du dirigeant désormais qualifié de « bâtisseur ». Cela participe de la même stratégie, l'utilisation des moyens publics pour « acheter » les populations et renforcer son camp tout en paupérisant celui d'en face ou harceler les opposants et leurs soutiens par les contrôles fiscaux, chantages, etc. Ce plan a pour but ultime de faire comprendre qu'être avec le pouvoir est synonyme de bien-être et être en face c'est le régime amincissant assuré !

Engagée sur la durée d'un ou de deux mandats, cette stratégie peut réduire au silence et à la précarité les opposants les plus pugnaces. A l'inverse, elle draine les ressources humaines, matérielles et financières vers les tenants du pouvoir et véhicule un réflexe malsain de « qui veut être à l'aise doit être avec le pouvoir ». Un cercle vicieux est ainsi instauré. Les ressources deviennent non seulement le point central des élections, mais aussi l'objectif ultime des gouvernants, préoccupés à en amasser au maximum tout en en privant leurs adversaires présents et futurs. Dans cette quête, le citoyen et son bonheur passent au second plan, les décideurs étant persuadés qu'avec l'argent, ils le convaincront de toute façon de les suivre le moment opportun !

Cette quête de ressources comporte évidemment d'énormes risques. Ceux auprès de qui on sollicite des soutiens ne sont pas des philanthropes et exigent des contreparties d'autant plus significatives que le soutien est important. Quand on sait que tous les contributeurs potentiels ne sont pas recommandables (hommes d'affaires véreux, trafiquants de tous acabits y compris de drogue, puissances extérieures intéressées pouvant confisquer la souveraineté de l'Etat...), il y a lieu de s'interroger sur les marges de manœuvre de nos élus au cours de leurs mandats. Il faut sortir des pièges de l'argent si nous voulons assainir le paysage politique et améliorer la gouvernance des collectivités publiques et des États.

Pour y parvenir, des mesures techniques et politiques devraient être envisagées dont certaines ont été ébauchées dans quelques textes électoraux africains. Il est souhaitable d'interdire les distributions d'avantages matériels ou de réalisations physiques à l'approche des élections et le faire savoir aux électeurs pour qu'ils veillent au respect de cette clause. Il faut empêcher aux sortants, l'utilisation de leurs pouvoirs pendant un certain temps à leur propre profit, ceci afin de disposer d'un avantage indu faussant la règle de la concurrence loyale. Il convient d'encadrer la collecte de ressources, rendre transparente l'exécution des dépenses qui ne doivent pas dépasser un plafond à fixer, exiger la publication des comptes de campagne qui seront vérifiés de manière rigoureuse, le tout étant assorti de sanctions dont l'inéligibilité en cas d'infraction. Les publications de patrimoine et de revenus avec des contrôles doivent être systématisés. Les règles de transparence absolue seront instituées en ce qui concerne la question des conflits d'intérêts et des parties liées. Nous devons bannir les relations de chaque leader avec ses parties liées (parents et proches,...) pendant son mandat. Une autre mesure technique est d'imposer les idées et projets et, partant, les débats au moment des consultations électorales afin de les vulgariser et contribuer à éclairer les électeurs tout en leur donnant des moyens de suivi et de contrôle de l'action des candidats.

Au chapitre des mesures politiques, il est indispensable que les gouvernants aient la volonté d'assainir nos dispositifs démocratiques. C'est un défi très important à relever, car le système actuel favorise plutôt les tenants du pouvoir. Il n'est pas gagné de les convaincre de s'imposer des contraintes, mais il en va de l'enracinement de la démocratie dans nos pays. Dans la même veine, il convient de rendre le jeu politique plus lisible, mieux organisé et donc plus sérieux. La diminution significative du nombre de partis et des candidats aux élections est incontournable. Il faut regrouper et stabiliser le champ politique faute de quoi il ne sera pas possible de contrôler, d'encadrer et de faciliter l'avènement de grands partis, homogènes et cohérents qui structurent la vie politique. Seules de telles organisations structurées faciliteront les débats d'idées, l'affirmation de marqueurs idéologiques et de projets identifiables permettant aux populations de mieux connaitre les acteurs et de les suivre.

Si nous n'agissons pas dans l'urgence, la politique continuera d'être le champ des chemins troubles, elle rebutera ceux qui ont des idées, du savoir-faire et des profils utiles à nos pays, mais qui restent réticents à marchander leur âme pour conquérir le pouvoir. Le paysage politique deviendra une bourse d'aigrefins où les postes et les mandats s'achètent et se vendent, les démocraties seront confisquées par des détenteurs de finances. Les populations n'auront le choix qu'entre résignation ou réactions brutales et violentes forcément destructrices.

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