Gabon : « L'État a pris un risque important en résiliant le contrat de Veolia » (Interview)

Coup de théâtre ce vendredi 16 février, l’Etat gabonais a rompu la concession d’eau et d’électricité qui le liait au groupe français Veolia, procédant immédiatement à la réquisition de sa filiale locale (Société d’Energie et d’Eau du Gabon – SEEG). En cause, « la dégradation de la qualité du service rendu aux usagers, les efforts financiers consentis par l’Etat non suivi des effets escomptés et les plaintes récurrentes des populations », selon le communiqué du ministère de l‘Eau et de l’Energie. Bien que devenu impopulaire au sein de la population gabonaise en raison des nombreux délestages et coupures d’eau, le groupe français dénonce une « grave violation des règles de droit », se dit « victime d’une expropriation brutale de la part de l’Etat gabonais » et envisage déjà un recours en justice. Au moment où le pays tout entier est en alerte et que la suite de cette affaire fait désormais l’objet de toutes les curiosités, Mays Mouissi, analyste économique gabonais aborde, dans un entretien avec La Tribune Afrique, les probables retombées d’une telle décision.
Ristel Tchounand
Mays Mouissi, analyste économique gabonais.
Mays Mouissi, analyste économique gabonais. (Crédits : Archives/Mays Mouissi)

LTA: La résiliation par l'État gabonais du contrat de Veolia et la réquisition de la SEEG est un véritable coup de tonnerre. Comment l'avez-vous accueillie ?

Mays Mouissi: Comme la majorité des Gabonais, j'ai été surpris par l'annonce de la résiliation du contrat de Veolia et la réquisition par l'Etat de la Société d'énergie et d'eau du Gabon (SEEG) dont elle assurait la concession.

Sur la forme, les dirigeants gabonais ont agi de façon brutale avec comme une volonté d'humilier les dirigeants de ce qui était encore la filiale gabonaise de Veolia. L'intrusion de policiers armés dans les locaux de la SEEG, en présence du personnel et des usagers, pour les besoins de la réquisition décidée par le gouvernement n'était pas nécessaire d'autant que les dirigeants de cette entreprise n'opposaient aucune résistance.

Sur le fond, il y a une évidente contradiction de la part du gouvernement gabonais. En effet, depuis 2009 les dirigeants gabonais n'ont cessé de clamer que les 20 ans de concession de Veolia étaient « une catastrophe ». Pourtant, en mars 2017, au terme de cette concession présentée comme catastrophique, le gouvernement gabonais a reconduit le contrat de Veolia pour 5 ans pour au final le résilier 11 mois plus tard. Ces contradictions pourraient couter très cher au Gabon puisque, de toute évidence, Veolia va attaquer cette résiliation unilatérale de sa concession devant les juridictions internationales.

Cela dit, peu de Gabonais pleureront sur le sort de Veolia tant sa qualité de service dans la fourniture d'eau et d'électricité aux usagers est médiocre. Les délestages sont le lot quotidien des Gabonais, des quartiers entiers de Libreville et de sa proche banlieue peuvent être privés d'eau pendant 2 semaines sans que ne soit enregistrée une baisse du montant à payer sur la facture. Veolia fait payer aux usagers des poteaux électriques à plusieurs millions FCFA quand ces derniers veulent se raccorder à son réseau puis s'en attribue unilatéralement la propriété, il faut parfois attendre plus de 6 mois entre la demande d'un compteur (d'eau ou d'électricité) et la pose, etc. La réalité est que Veolia n'était déjà pas très populaire au sein de l'opinion.

Le ministère de l'Energie a justifié son acte par « la dégradation de la qualité du service rendu aux usagers, les efforts financiers consentis par l'Etat non suivi des effets escomptés et les plaintes récurrentes des populations ». De quoi satisfaire les Gabonais et redonner de la cote à l'actuel gouvernement ?

C'est un peu trop facile de laisser croire qu'il y a d'un côté Veolia qui ne remplit pas ses obligations et de l'autre le gouvernement qui est constant dans sa politique d'investissement dans le secteur. Ce n'est pas tout à fait exact.

Veolia revendique 366 milliards FCFA d'investissements en 20 ans, des taux de desserte en eau et en électricité proches de 90% et un nombre de clients desservis en hausse 200%. Malgré cela et au regard de la qualité de service de la filiale gabonaise de Veolia, il est évident que l'entreprise n'a pas assez investi pour fournir un service à la hauteur des attentes des usagers grâce à qui elle a réalisé de belles marges pendant 20 ans.

Quant à l'État, il s'est arrêté d'investir dans le secteur pendant la première décennie des années 2000. Ce que le ministre de l'Énergie ne dit pas c'est que Veolia n'assure qu'un rôle de production, de transport et de distribution de l'eau et de l'électricité auprès des usagers. Les installations et l'infrastructure de production (barrages, centrale, lignes de transport, etc.) appartiennent à l'État qui lui aussi avait cessé son programme d'investissement avant de le relancer en 2010 puis de le stopper à nouveau en 2015. Où sont les barrages FE2, des chutes de l'Impératrice et de Nkolmedjen censés être livrés depuis 3 ans ? Pourquoi la 2e phase du barrage de Grand Poubara n'a-t-elle jamais démarré ? Où est l'usine Ntoum 8 [projet d'usine d'eau potable près de Libreville, ndlr] ? Il s'agit bien d'investissements qui auraient dû être réalisés par l'État.

Il y a une responsabilité partagée et l'État ne peut s'en prendre qu'à lui-même. C'est bien lui qui, en 1997, a choisi de concéder la production et la distribution de l'électricité à une entreprise qui n'en avait aucune expertise. C'est lui qui a choisi Veolia alors qu'il est de notoriété publique que ce groupe n'avait pas présenté le meilleur dossier lors de l'appel d'offres.

L'Etat n'a pas encore de repreneur, mais promet le maintien des ressources humaines et des contrats en cours de la SEEG avec divers partenaires économiques. De nombreux observateurs émettent déjà leur inquiétude. Quel est votre avis ?

Les inquiétudes sont légitimes. L'État a pris un risque important en résiliant le contrat de Veolia sans qu'il n'y ait de repreneur. En outre, la méthode brutale employée peut apparaitre comme un repoussoir pour certains investisseurs qui auraient pu être intéressés.

Il semble d'ailleurs que la recherche de repreneur ne soit pas si simple pour l'État gabonais. C'est peut-être cela qui a conduit au renouvellement de la concession de Veolia en 2017 malgré les critiques répétées à son encontre.

Enfin, comme conséquence de la réquisition temporaire de la SEEG, l'État va désormais assurer la fourniture de l'eau et de l'électricité aux populations pour une durée indéterminée. Depuis 21 ans, l'État n'a plus joué ce rôle. On peut donc se demander de quelle expertise il dispose. L'Etat a-t-il les moyens de réaliser les investissements qu'il reproche à Veolia de n'avoir pas faits ? Quelles lignes budgétaires vont supporter les conséquences de cette réquisition ? C'est autant de questions auxquelles le gouvernement gabonais doit répondre.

En outre, Veolia ne détenait que 51% des actions de la SEEG. Lors de la privatisation de l'entreprise en 1997, de nombreux privés gabonais parmi lesquels des salariés de la SEEG ont été incités à acquérir des actions de cette entreprise. Maintenant que l'entreprise a été réquisitionnée par l'État, on ignore quel sort sera réservé à ces personnes qui ont investi leur épargne en actions SEEG.

Au regard de la situation de l'économie gabonaise, pensez-vous que c'est une façon pour l'État de renflouer ses caisses ?

L'activité de la SEEG, même décuplée, ne permettrait pas de remettre à flot les finances publiques lesquelles sont en grande difficulté. Le gouvernement essaie de faire passer la résiliation de la concession de Veolia comme une mesure de patriotisme économique afin de s'attirer les faveurs des populations et d'en tirer des gains politiques. Il omet de dire qu'il doit encore 55 milliards FCFA à cette entreprise.

Les autorités gabonaises ne sont pas à l'abri d'un effet boomerang. À la prochaine coupure d'eau ou d'électricité, le coupable ne sera plus Veolia, mais le gouvernement gabonais.

"Ce genre de décisions impacte l'environnement des affaires"

Quelles seraient les conséquences d'une telle décision de l'État dans le contexte économique actuel ?

Ce genre de décisions impacte l'environnement des affaires et interpelle sur la capacité de l'État gabonais à respecter ses engagements contractuels.

Au plan social, beaucoup espèrent une amélioration de la fourniture en eau et en électricité. Cependant, en l'absence de repreneur, l'État ne dispose pas de suffisamment de moyens pour réaliser les investissements nécessaires à la réalisation de cette ambition.

Au plan juridique, Veolia va certainement étudier les différents recours qui s'offrent à elles et peut-être ouvrir une procédure judiciaire qui pourrait être longue.

Ristel Tchounand

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Commentaires 5
à écrit le 20/02/2018 à 11:37
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Tiens, l'état français n'est pas intervenu pour soutenir son champion national ??? Alors c'est dit, que le meilleur gagne.

à écrit le 20/02/2018 à 3:05
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À chacune de tes sorties, tu fais toujours dans la critique ça te coûterait quoi d'être un temps soit peu objectif ? Je pourrais comprendre qu'on ait du mal à trouver de l'eau en saison sèche mais en saison de pluie il est inconcevable qu'il y ait un...

à écrit le 20/02/2018 à 0:18
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IL y'a assurément une incompréhension sur ce problème d'arrêt brutal de la concession octroyée au groupe Veolia en 1997. La première question serait d'éclaircir l'opinion publique sur la nature réelle du contrat passé entre l'Etat Gabonais et le grou...

le 21/02/2018 à 23:00
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Monsieur Max 123 , En 20 ans la population de Libreville a quadruplé dans une anarchie urbaine invraisemblable. Rien n’est comparable . Pas même .les détournements de compteurs , de piratages de conduites d eau et de réseaux électriques ,

le 28/02/2018 à 11:25
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Analyse très pertinente. Voilá les conséquences du manque de transparence. Et dans ce cas chaque partie (l'état et Véolia) a sa part de responsabilités.

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