« Pour vaincre le paludisme, nous ne pouvons plus être dépendants des aides extérieures » (Francine Ntoumi, Fondation congolaise pour la recherche médicale)

Plus de la moitié des 600 000 décès liés au paludisme dans le monde sont répertoriés entre le Nigeria (31,3 %), la République démocratique du Congo (12,6 %), la Tanzanie (4,1 %) et le Niger (3,9 %), selon l'Organisation mondiale de la Santé. Depuis la pandémie de Covid-19, l'innovation a néanmoins progressé. Le 2 octobre dernier, l'OMS approuvait un second vaccin contre le paludisme.
(Crédits : Reuters)

« J'ai le grand plaisir d'annoncer que l'OMS recommande un deuxième vaccin appelé R21/Matrix-M pour prévenir le paludisme chez les enfants à risque de contracter la maladie », déclarait le directeur général de l'Organisation mondiale pour la Santé, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, en conférence de presse, le 2 octobre dernier.

Après la reconnaissance du Mosquirix (développé par GSK) en 2021, l'OMS reconnaît l'efficacité du R21/Matrix-M conçu par l'Université d'Oxford, qui montre une efficacité supérieure à 75 %. La Food and Drugs Authority au Ghana n'avait pas attendu la validation de l'OMS pour en faire usage chez les enfants âgés de 5 à 36 mois, depuis le mois d'avril, tout comme l'Agence nationale de contrôle de la nourriture et des médicaments (NAFDAC) au Nigeria, et l'Institut de recherche en sciences de la santé au Burkina Faso. En phase de test, le vaccin a déjà été administré à plus de 4 800 enfants burkinabè, kényans, maliens et tanzaniens.

« Les vaccins antipaludiques sont à des stades de développement différents. Il est encore prématuré de tirer des conclusions sur le Mosquirix ou sur le R21, mais la vaccinologie progresse et les résultats sont encourageants », estime Francine Ntoumi, présidente de la Fondation congolaise pour la recherche médicale, qui est aussi la première femme africaine responsable du secrétariat de l'Initiative Multilatérale sur le paludisme.

Le Malawi, le Ghana et le Kenya testent le vaccin RTS,S/AS01 (Mosquirix) développé par GlaxoSmithKline's (GSK) et recommandé par l'OMS depuis octobre 2021 dans les zones à transmission forte ou modérée, sur plus de 1,4 million d'enfants. « Au cours des 3 dernières années, nous avons constaté une réduction spectaculaire du nombre de cas de paludisme et d'hospitalisations dues à la maladie dans les zones où le vaccin a été administré », se félicitait Susan Wafula, ministre kényane de la Santé, le 25 avril 2023, à Nairobi lors d'un point avec la presse consacré à l'administration du vaccin Mosquirix.

L'Afrique, épicentre mondial du paludisme

Le 22 septembre à New York, en marge des assemblées annuelles des Nations unies, les chefs d'État et de gouvernements africains mais aussi les dirigeants mondiaux de la santé et les partenaires au développement ont lancé un appel à l'action contre le paludisme, pour éradiquer la maladie d'ici 2030, conformément aux objectifs définis par l'Union africaine (UA) dans sa stratégie 2063. Avec 234 millions de cas de paludisme estimés, et 593.000 décès associés en 2021, soit 95 % des cas et 96 % des décès au niveau mondial, l'Afrique est la région où le paludisme sévit le plus, selon l'Organisation mondiale de la Santé.

« Nous devons atteindre les objectifs ambitieux fixés dans le cadre catalytique pour mettre fin au sida, à la tuberculose et éliminer le paludisme en Afrique d'ici à 2030 (...) La plupart des États membres de l'Union africaine n'étant pas sur la bonne voie pour atteindre l'objectif d'élimination du paludisme d'ici à 2030, il reste encore beaucoup à faire », a fait savoir le professeur Julio Rakotonirina, en tant que directeur de la Santé et des Affaires humanitaires à la Commission de l'Union africaine (UA), depuis New York.

Plusieurs menaces convergentes liées au changement climatique, à la résistance croissante des moustiques aux traitements, et au manque de financements dédiés à la recherche contre le paludisme, menacent les progrès accomplis ces dernières années.

À la recherche de fonds perdus...

Depuis 2000, les investissements dans la lutte contre le paludisme ont permis d'éviter près de 12 millions de décès et 2 milliards de cas, selon les estimations de l'OMS. Entre 2000 et 2015, le renforcement des interventions antipaludiques a contribué à une réduction de 27 % de l'incidence de la maladie au niveau mondial et à un recul de 50 % de la mortalité associée.

Néanmoins, les progrès enregistrés sont encore loin de répondre aux objectifs fixés dans le cadre de la stratégie mondiale contre le paludisme 2015-2030 de l'OMS, pour réduire l'incidence du paludisme et la mortalité associée d'au moins 40 % d'ici 2020, 75 % d'ici 2025 et 90 % d'ici 2030.

« Nous avons atteint un point critique. Nous ne disposons actuellement pas de ressources suffisantes au simple maintien des programmes vitaux existants contre le paludisme (...) Si nous n'agissons pas rapidement pour combler l'écart immédiat de 1,5 milliard de dollars et mobiliser les ressources nécessaires, nous assisterons sans nul doute à une recrudescence du paludisme et des épidémies », a averti Umaro Sissoco Embaló, président de la République de Guinée-Bissau et président de l'Alliance des dirigeants africains contre le paludisme (ALMA), lors de la dernière Conférence du partenariat RBM pour en finir avec le paludisme et l'African Leaders' Malaria Alliance (ALMA).

Pour Dr Michael Charles, également le directeur général du partenariat RBM pour la lutte contre le paludisme (Roll Back Malaria ou « RMB », la plus grande plate-forme de coordination des actions contre le paludisme) : « La situation du paludisme est extrêmement précaire - suite au- plafonnement général des financements en raison d'autres pressions sanitaires telles que la pandémie de COVID et la récession économique mondiale. En conséquence, nous sommes aujourd'hui confrontés à la plus grande urgence en matière de paludisme depuis des décennies ».

En 2021, les financements consacrés à la lutte contre le paludisme atteignaient 3,5 milliards de dollars, soit la moitié des 7,3 milliards de dollars préconisés par l'OMS dans sa Stratégie technique mondiale de lutte contre le paludisme 2016-20230. Au plus fort de la crise sanitaire (2020-2021), les perturbations liées au Covid-19 ont entraîné près de 13 millions de cas supplémentaires et 63 000 décès de plus, selon l'OMS.

Le paludisme coûte des milliards de dollars à l'Afrique

En décembre 2021, l'alliance Gavi approuvait 160 millions de dollars d'investissement pour déployer le Mosquirix en Afrique, entre 2022 et 2025. En août 2023, l'UNICEF s'engageait sur l'approvisionnement de 18 millions de doses en trois ans, soit une goutte d'eau dans le marigot...

Pourtant, le coût économique et social du paludisme pèse lourd sur le budget de l'Afrique. Chaque année, la maladie fait perdre 12 milliards de dollars au continent, selon le partenariat RBM. En 2022, la maladie aurait causé 1,6 milliard de dollars de dommages au Nigeria, la première puissance économique africaine, et ce chiffre pourrait atteindre 2,8 milliards de dollars en 2030, selon les estimations du ministère nigérian de la Santé.

Comment mobiliser davantage de fonds pour la recherche contre le paludisme ? Le facteur climatique renforcera-t-il l'intérêt de la communauté internationale ? « En 2023, des cas de paludisme ont été enregistrés au Texas et en Floride. Il s'agissait de cas de paludisme endogènes touchant des individus qui n'avaient pas voyagé. Il ne faut donc pas exclure la propagation de cette maladie dans les pays du Nord, avec le réchauffement climatique. Est-ce que ce risque permettra de mobiliser davantage de fonds pour la recherche contre le paludisme ? Je n'en suis pas sûre », déclare Francine Ntoumi pour qui « seule une crise sanitaire aussi importante que le Covid-19 pourrait changer la donne ».

Pour répondre au défi du paludisme, « la solution sera africaine », estime néanmoins la parasitologue bardée de diplômes et multi-récompensée qui dirige aujourd'hui le 1er laboratoire de recherche biomédicale de la République du Congo. « La recherche doit être locale et les fonds aussi. Nous devons utiliser les bons outils aux endroits appropriés. Pour vaincre le paludisme, nous ne pouvons plus être dépendants des aides extérieures, car 95 % des cas sont répertoriés en Afrique », conclut-elle.

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