Comores : arrestation, évasion et coups de feu à Moroni

Deux jours après l'annonce des résultats provisoires des élections présidentielles par la Ceni, les Comores ont connu une journée particulièrement chaotique : de la manifestation des femmes dispersée par l'armée à l'interpellation de « Campagnard » en passant par l'évasion du commandant Faissoil Abdoulasam, résultat d'une opération commando, les habitants de la capitale appréhendent des lendemains qui déchantent...
(Crédits : DR)

« Le scrutin du 24 mars a été une tromperie, une mascarade et une honte pour la démocratie et la nation tout entière » selon Soilihi Mohamed. Le 28 mars 2019, suite à la proclamation des résultats électoraux, les opposants se sont organisés en Conseil national de transition (CNT), lequel a pour vocation de « régler la crise post-électorale, d'assurer une transition pacifique, de préserver la paix, la stabilité ainsi que la cohésion nationale ». Le CNT estime que « la démocratie a été piétinée » par « des individus sans conscience, sans cœur, sans âme, sans foi ni loi. » Il dénonce « une dérive dictatoriale et despotique », appelant les Comoriens à cesser toute activité en cas de validation des résultats du premier tour. « Si le scrutin du 24 mars 2019 n'est pas invalidé avant le 3 avril 2019, nous vous demandons dès le 4 avril 2019, de désobéir civilement (...) pour montrer au monde entier, notre refus de subir et notre résistance face à l'ignominie. » Une déclaration qui appelle à la désobéissance civile sans violence.

Peu après cette annonce, Mohamed Soilihi, arrivé 4ème des élections présidentielles du 24 mars dernier, dit « Campagnard », est interpellé à son domicile. « Il s'agit simplement de lui rappeler qu'il y a des textes dans ce pays et que, s'il veut contester les résultats des élections, il doit le faire devant les instances compétentes, pas dans la rue ou ailleurs », a déclaré le ministre de l'Intérieur, vendredi en conférence de presse, à Moroni.

« Campagnard », le chef du CNT interpellé

 Alors que la journée faisant suite à l'annonce des résultats par la Ceni s'était déroulée dans un calme apparent, la situation s'est dégradée dès le lendemain... Tout commence avec le tirage du journal local « La Gazette » qui titrait sur l'opposition, bloqué à l'impression... Ensuite, la marche des femmes, gare du Nord à Moroni, contestant les élections du 24 mars 2019, décidées à remettre en main propre, une lettre au président de la Cour suprême pour demander leur annulation pure et simple, est dispersée par l'armée...

Acte 3 : « Campagnard » annonce la création du conseil national de transition (CNT) dont il prend la tête. Il appelle les Comoriens à se mobiliser pour réclamer un nouveau scrutin, la communauté internationale est interpellée. La Fédération de Russie avait considéré la veille, que les conditions du scrutin respectaient le droit constitutionnel de l'Union des Comores par voie de communiqué. De son côté la France reste silencieuse. Le quai d'Orsay avertissait hier les ressortissants français présents à Moroni que l'Union des Comores était en proie à des « tensions durant la période électorale (...) Des incidents et des tirs d'armes ont eu lieu à Moroni et des troubles à l'ordre public sont toujours possibles dans l'ensemble des Comores » et recommandait aux Français « de reporter les déplacements vers les Comores jusqu'à nouvel ordre (...) et de se tenir régulièrement informé de la situation. » Pour rappel, la France et l'Union des Comores ont signé des accords de partenariat militaire qui pourraient être activés en cas de déstabilisation majeure aux Comores...

Acte 4 : l'arrestation de « Campagnard » à son domicile de Moroni, à la mi- journée. La diaspora réagi, un communiqué des Comoriens de Marseille est publié et quelques membres de la diaspora se rendent au 20 rue Marbeau à Paris, exigeant de rencontrer l'Ambassadeur. Après s'être vus signifier une fin de non-recevoir, ils sont priés de quitter les lieux par les autorités et se dispersent sans résistance.

Salim Saadi, candidat aux élections présidentielles du 24 mars, était à leurs côtés. Présent à Paris pour mobiliser une diaspora qui compte au bas mot 300.000 personnes en France, dont une majorité à Marseille, il devrait rejoindre Moroni d'ici quelques jours. « Ils vont nous arrêter les uns après les autres » nous confiait-il ce jour, dans l'attente de nouvelles de « Campagnard », encore à la gendarmerie à l'heure où nous rédigeons cet article. Mais l'épisode le plus retentissant de la journée du 28 mars restera sûrement l'opération commando qui permit au commandant Faissoil de s'évader de prison...

Coups de feu et évasion commando à Moroni

Peu après l'interpellation de « Campagnard », des coups de feu sont entendus dans la capitale, sans aucun lien direct ne soit prouvé entre les deux affaires. Le Conseil national de transition a d'ailleurs affirmé ne rien avoir à voir avec cette opération qui visait notamment à s'emparer des armes entreposées à l'état-major.

Les magasins baissent le rideau, les habitants se calfeutrent et d'autres rejoignent leur village pour échapper à l'insécurité ambiante dans Moroni. La confusion domine. On apprend que le Commandant Faissoil Abdousalam, ancien haut gradé de l'armée, emprisonné depuis décembre 2018, accusé d'avoir fomenté un coup d'Etat et condamné à perpétuité, s'est évadé, libéré par des civils armés dans le cadre d'une opération commando. Les gardiens sont enfermés à l'intérieur d'une mosquée.

Le civil et le commandant se dirigent alors vers la caserne de Kandaani, le principal camp militaire du pays, à quelques kilomètres au nord de la capitale. Chemin faisant, ils s'emparent d'un pick-up du peloton d'intervention de la gendarmerie nationale (PIGN) non loin du tribunal de Moroni et entrent sans difficulté à l'intérieur du camp militaire, à la recherche du Chef d'Etat major. Ils s'introduisent dans son bureau mais l'y trouvent pas. S'ensuivent des tirs nourris pendant près de 2 heures, selon plusieurs témoins, semant la panique aux alentours. Bilan officiel : 3 morts et 2 blessés.

D'après le ministère de l'Intérieur des Comores, les 2 assaillants (le commandant Faissoil et le civil Salim Nassor dit « Salim Pause Café »), ainsi qu'un gendarme (le Major Nacer Abdourazak), ont trouvé la mort. Mohamed Daoudou, le ministre de l'Intérieur a déclaré qu'une enquête était ouverte et que la situation était désormais sous contrôle. En fin de journée, le calme était revenu à Moroni, bien que l'on ignore encore le sort réservé au chef du CNT dont le motif précis de l'interpellation n'a pas été signifié par le ministre mais qui serait directement liée à la création du Conseil national de transition. On ignore donc à cette heure s'il est interrogé ou mis en examen.

« Ce n'est pas la rue qui va diriger le pays », a déclaré Mohamed Daoudou qui soutient mordicus la régularité du scrutin du 24 mars 2019, en dépit des contestations. Le procureur de la République a, quant à lui, prévenu jeudi 27 mars, lors d'un point presse que « toute manifestation publique était interdite (...) certains candidats qui tenaient des propos déplacés (...) peut-être à l'origine de l'embrasement, d'une situation incontrôlable, ont été rappelé à l'ordre. Deux d'entre eux ont été arrêtés lors des manifestations » dont « Campagnard », précisant qu'il s'agit d'une « démarche préventive » pour leur rappeler la loi, avant de les « ramener chez eux ». « Je pense que c'est la dernière fois que je rappelle à tout le monde, de se ressaisir » a-t-il avertit, avant de conclure que la composition d'un gouvernement parallèle dans le cadre du CNT, pouvait conduire à la « déstabilisation du pays ». Poursuivant ses propos, il affirme que le parquet de la République « prendra toutes ses responsabilités », soulignant que 4 candidats de l'opposition ont « un comportement très très inquiétant (...) je voulais leur dire que je suis au courant de tout ce qu'ils ont dans la tête. »

Pendant ce temps, le président sortant, Azali Assoumani remerciait ses électeurs sur l'île d'Anjouan, loin du tumulte de la capitale comorienne, accompagné par le Gouverneur Anissi Chamsidine au stade de Missiri de Mutsamudu, dans une ambiance festive...

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