Festival International des arts du Bénin : « La culture est au Bénin ce que le pétrole est au Qatar »

Après le FESPACO au Burkina Faso et le FEMUA en Côte d'Ivoire, avec le FinAB, le Bénin se dote à son tour d'un festival culturel international. L'initiative portée par Ulrich Adjovi, CEO du groupe Empire représente en sus, une formidable vitrine de promotion de la politique culturelle nationale qui a réuni plusieurs ministres d'État aux côtés de personnalités venues des quatre coins du continent.
(Crédits : Reuters)

En cette après-midi chaude du 17 février, les danseurs traditionnels du Bénin s'étaient parés de leurs plus beaux atours, dans les rues fraîchement pavées de Ouidah. Pendant près de deux heures, ils ont sillonné la ville, aux sons des tambours, sous les yeux de plusieurs centaines de curieux, venus assister à un spectacle inédit (sponsorisé par la Sobebra). Sur leur passage, des bambins effrayés par les masques se cachent derrière les murs en banco des habitations alentour. « À travers ces danseurs, ce sont les 77 communes du Bénin qui sont représentées », précise Flavien Aidjinou, coordonnateur de l'événement, missionné par le FinAB.

Ici, des guerriers, arcs en main, peinture blanche sur un corps et recouverts de peau de bête, là un avatar de Chucky renvoyant aux masques plus modernes adoptés par les Afro-brésiliens (bourians), un peu plus loin les Kpodji-Guèguè portés par leurs immenses échasses : le défilé reflète la richesse et la multiplicité des cultures du Bénin. Même le mystérieux Zangbeto, (l'esprit vaudou chargé de veiller sur le sommeil des habitants et d'éloigner les mauvais esprits) était de la partie. « Avant de sortir le Zangbeto, nous avons demandé la permission aux esprits », assure Eric Acakpo, qui représente ce jour-là la communauté des artistes de Ouidah. « Nous sommes dans une procession culturelle et non cultuelle. Il n'est pas question de tomber dans la folklorisation », précise-t-il néanmoins.

Sur la place du village, Ulrich Adjovi, le jeune et flegmatique, mais puissant promoteur du festival international des arts du Bénin, à la manœuvre d'une semaine d'événements culturels et artistiques entre Cotonou, Ouidah et Porto-Novo, arrive accompagné de notables ravis de voir s'animer la cité « trop » longtemps endormie.

Depuis quelques mois, la ville a fait peau neuve. Réhabilitation des artères de la ville, du temple aux pythons et du fort colonial portugais : Ouidah, connue pour sa porte du « non-retour » d'où partaient les esclaves d'antan, souvent présentée comme la ville originelle du vaudou, est en pleine transformation. Même la Fondation Zinsou a été délocalisée de Cotonou à Ouidah dans un esprit de décentralisation culturelle engagée par le gouvernement depuis plusieurs mois.

FINAB, une vitrine culturelle au service des artistes africains

« Pour tous les artistes de Ouidah, cette journée représente un grand événement », souligne Eric Acakpo. « Nous avons besoin de visibilité et de soutien, car beaucoup d'artistes béninois sont contraints d'exercer d'autres métiers, faute de revenus. J'espère que cet événement va nous aider », explique-t-il. Eric Acakpo a plus de chance, car le danseur et chorégraphe béninois enseigne aussi le « fa » (art divinatoire lié au vaudou, répandu chez les Yorubas et les Fons) en Europe, une partie de l'année.

Longtemps minorées à l'international, les richesses culturelles du Bénin représentent désormais un levier de croissance inscrit au cœur de la politique de développement national. Après le succès de l'exposition des œuvres restituées par la France, qui a attiré plusieurs centaines de milliers de spectateurs en quelques mois, c'est tout le Bénin qui affirme son identité à travers une profusion d'initiatives culturelles.

Le FinAB est le résultat de l'ambition d'un homme d'affaires béninois, Ulrich Adjovi, à la tête du groupe Empire. Le businessman a réussi le tour de force de réunir quelques-uns des plus grands noms de l'art contemporain africain (Ludovic Faidara, Barthélémy Toguo ou encore Siriki Ky), mais aussi des photographes comme le Burkinabé, Warren Saré, des designers comme le Nigérien Alphadi ou des chanteurs de renommée internationale tels que l'Ivoirien Kerozen ou le Guinéen N'Faly Kouyaté.

Sur la plage de Cotonou, un immense site accueillait les visiteurs qui avaient tout loisir de découvrir les spécialités culinaires nationales dans le food-market, avant d'assister aux concerts et aux performances en plein air, proposés dans le cadre du FinAB.

Pendant six jours, la capitale du Bénin a vibré au rythme des concerts, des défilés de mode et des expositions de plasticiens ou de photographes venus des quatre coins de l'Afrique. Cette initiative privée, née du groupe Empire et placée sous le haut patronage du ministère de la Culture, s'inscrit au cœur de la politique de diversification économique du Bénin qui entend faire des arts et de la culture, un vecteur d'attractivité touristique. Six musées sont actuellement en construction et deux autres sont en rénovation.

Parallèlement, le Bénin multiplie les investissements dans les infrastructures touristiques. « Entre 2021 et 2026, nous consacrerons 670 milliards de francs CFA sur cinq ans dans les infrastructures, dont 200 milliards pour les infrastructures muséales », déclarait Jean-Michel Abimbola avec pragmatisme à La Tribune Afrique en juin dernier.

À ce jour, ils ne seraient que 300.000 touristes à visiter le Bénin chaque année selon l'aviation civile, un chiffre que le gouvernement souhaite porter à un million à l'horizon 2025. D'après le ministre, ce vaste programme touristique et culturel devrait également permettre de créer « entre 350 000 et 500 000 emplois directs ». Pour accompagner cette ambitieuse politique, le Bénin s'est doté d'une Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT) depuis 2016, assorti d'un budget de 650 milliards de francs CFA.

Lancement d'un label musical et ouverture d'une galerie d'Art : le secteur privé se mobilise

Le 15 février, aux alentours de 19h30, le quartier de la Haie-Vive est en effervescence. C'est le jour de l'ouverture de la Galerie A qui recevait les pionniers de l'art contemporain du continent, en présence de Abdoulaye Bio Tchané, ministre d'État, chargé du développement. « Avec cet événement, nous démontrons qu'il est possible à partir du Bénin, de développer une scène artistique internationale », se félicite Martine Boucher, commissaire générale de l'exposition, ravie d'avoir réuni des plasticiens tels que le Béninois Faidaro, l'Ivoirienne Mathilde Moreau, le Sénégalais Viyé Diba, le Malien Abdoulaye Konaté, l'Ivoirien Siriki Ky ou encore le Camerounais Barthélémy Toguo.

« Nous sommes les baobabs de l'Art contemporain et aujourd'hui, nous transmettons notre savoir, car il est important de créer en Afrique, notre propre langage artistique », explique Siriki Ky qui revient tout juste du Burkina Faso où il accompagnait une quinzaine de jeunes artistes. Le célèbre Barthélémy Toguo s'est réjoui de cette nouvelle galerie, ouverte par le groupe Empire, car « les lieux d'exposition manquent encore en Afrique ».

Au dernier jour du festival, le groupe Empire annonça la création d'un label musical, le « Black Music Industry », né d'un partenariat avec Universal Music Africa et dirigé par Auguste Amoussou. Cette initiative vient soutenir des musiciens béninois (et plus largement africains) qui sont à la peine. « La première propriété est la propriété intellectuelle et elle doit être protégée », lance Eugène Aballo, directeur général de la BUBEDRA (le Bureau béninois du droit d'auteur et des droits voisins), lors d'un débat particulièrement animé au matin du 19 février. « Nous n'arrivons pas à quantifier le poids économique de la musique dans le PIB », a -t-il ajouté face à Franck Kacou, directeur général d'Universal Music Africa qui estime néanmoins qu'il « y a une prise de conscience en Afrique, pour associer la musique à la création de richesse locale ».

Spécialisé dans l'organisation d'événements culturels de grande envergure en Afrique, à travers ce nouveau label, le groupe Empire entend produire des artistes du Bénin et de la sous-région. « Nous sommes déjà le partenaire officiel de Universal au Bénin. Maintenant, nous voulons multiplier les partenariats avec des maisons de production locales. Il nous faut mutualiser nos ressources », a déclaré Auguste Amoussou, non sans préciser qu'il n'est « pas question de récupérer les artistes des labels existants, mais de passer des partenariats », dans une logique de bénéfices partagés. « La culture est au Bénin, ce que le pétrole est au Qatar », a-t-il ajouté, tout en soulignant que les musiques traditionnelles ne seraient pas oubliées...

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