Sénégal : comment la sphère business réagit à la sortie de Macky Sall

En annonçant qu’il ne briguera pas un troisième mandat, le président sénégalais suscite un ouf de soulagement au sein des milieux d’affaires, alors que certains chefs d’entreprises prévoyaient déjà un avenir à court terme peu favorable et que les investisseurs commençaient à s’interroger.
Ristel Tchounand
Le président Macky Sall saluant Baidy Agne, le président du CNP, le patronat sénégalais.
Le président Macky Sall saluant Baidy Agne, le président du CNP, le patronat sénégalais. (Crédits : DR)

« C'est un soulagement pour tout le monde », confie à La Tribune Afrique Ndeye Thiaw, directrice générale de Brightmore Capital Sénégal, un fond d'investissement basé à Dakar et opérant en Afrique de l'ouest francophone. « Etant du secteur privé, nous avons toujours été neutres, sachant que la nouvelle ère qui se profile ces dernières années pour le Sénégal présente des perspectives dont les acteurs de tout bord veulent se saisir. Mais les entreprises ont beaucoup souffert de ce qu'il s'est passé ».

Le président Macky Sall a annoncé ce 3 juillet qu'il ne se présentera pas aux élections présidentielles de 2024. Il met ainsi un terme au suspense qui prévaut depuis l'année dernière quant à son intention ou non de briguer un troisième mandat à la tête du pays. « J'ai une claire conscience et mémoire de ce que j'ai dit, écrit et répété ici et ailleurs, c'est-à-dire que le mandat de 2019 était mon second et dernier mandat. C'est cela que j'avais dit et c'est cela que je réaffirme ce soir », a déclaré le locataire du Palais de la République qui a notamment répondu implicitement à la question du timing de cette sortie médiatique attendue depuis de nombreux mois : « je n'ai jamais voulu être l'otage de cette injonction permanente à parler avant l'heure, car mes priorités portaient à engager l'action vers l'émergence ».

« J'avais prévu de lever le pied dans mes activités dès l'automne prochain »

Entre-temps, le Sénégal a connu de nombreux soulèvements sociaux souvent sous l'impulsion de l'opposition. Outre les civils, les entreprises faisaient partie des grandes perdantes des casses, vols et autres perpétrés lors des manifestations, émeutes ou affrontements entre civils et forces de l'ordre. « De manière générale, l'activité économique est jusqu'alors  durement affectée et beaucoup d'entreprises sont en train de mettre les employés en chômage technique, sinon elles procèdent purement et simplement à des licenciements, étant pessimistes quant à l'avenir du pays », nous explique Ismaila Ba, patron d'une PME dans les industries créatives.

Avec une vingtaine de salariés sous sa responsabilité, il prévoyait de tout arrêter d'ici l'automne, pour éviter de subir une éventuelle instabilité à l'approche des élections prévues en février prochain. « Mais aujourd'hui, avec la nouvelle donne (le renoncement au troisième mandat par le président de la République), je suis en train de revoir mes projections. L'économie a besoin de stabilité et de visibilité. Sans cela, il n'est pas possible d'avancer correctement », confie l'entrepreneur.

Un pays pourtant attractif

Une des économies phares d'Afrique de l'Ouest, le Sénégal est généralement une destination privilégiée pour les investisseurs, notamment depuis que le gouvernement a lancé son Plan Sénégal Emergent. Les initiatives et road shows mis en œuvre ont fait grimper les IDE de 21% à 2,2 milliards de dollars en 2022, quand les projets d'investissements nouveaux annoncés affichent une hausse de 27% sur la même période, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). C'est donc une belle trajectoire que d'éventuels troubles socio-politiques seraient venus écourter. D'autant que ces événements interviennent alors qu'au Sénégal - comme un peu partout - de nombreuses entreprises reconstruisent encore leur solidité post-Covid dans un contexte international tendu suite au conflit russo-ukrainien. « La crise affecte beaucoup les performances des entreprises. Chez Brightmore à titre d'exemple, nous avons beaucoup de comptes à régler avec notre portefeuille en ce moment. C'est le résultat de nombreux jours non ouvrables malheureusement. Pour des petites entreprises qui essaient de se frayer un chemin dans leur secteur comme celles que nous soutenons, cela peut être difficile », explique Ndeye Thiaw.

A l'occasion du dialogue national en mai dernier, Baidy Agne, président du Conseil national du patronat (CNP), a dénoncé les effets néfastes des manifestations sur les activités économiques. « Nous risquons de subir une crise beaucoup plus profonde que celle de la Covid-19 », alertait-il. Interrogé en juin par RFI, il évaluait les pertes à des « centaines de milliards » de francs CFA.

Les investisseurs commençaient à s'interroger

En ce qui sa société d'investissement cependant, Ndeye Thiaw reconnaît que la brouille socio-politique n'a pas eu un effet très tranchant sur ses activités, mais elle devait de plus en plus faire face aux interrogations des investisseurs. « Une partie de notre métier consiste à investir et l'autre consiste à trouver de l'argent et malheureusement ou heureusement, la majeure partie des levées de fonds s'opèrent  en dehors du Sénégal. Cependant, il est vrai que les investisseurs posent récemment beaucoup plus de questions qu'auparavant concernant la viabilité de leur mise », explique cette dirigeante d'entreprise qui connaît bien le monde financier international orienté vers l'Afrique, pour avoir notamment fait ses armes à la Société financière internationale (IFC) à Washington.

« Un signal fort » pour l'économie

Alors que les périodes électorales en Afrique renforcent souvent la frilosité des investisseurs étrangers, l'économiste Souleymane Keita, estime que la sortie du président pourrait apporter une bouffée d'oxygène à l'économie, rassurant les partenaires du Sénégal et de son secteur privé, le patronat n'ayant toutefois pas encore réagit publiquement. « Une tension manifeste naissait déjà autour de l'économie de notre pays. Cette décision sage du président Macky Sall va la dissiper. C'est un signal fort pour les investisseurs et les bailleurs de fonds nationaux et internationaux pour leur faire comprendre qu'ils peuvent avoir confiance en l'économie sénégalaise », explique à LTA cet enseignant chercheur à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Quoi qu'il en soit, les opérateurs économiques du Sénégal et d'ailleurs ainsi que la communauté des investisseurs suivront avec attention l'évolution de la situation d'ici à février prochain.

Ristel Tchounand

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