Quand la Corée finit par séduire l'Afrique : une leçon de « soft power »

Le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, s'est rendu en Corée du Sud en mars dernier.  Une visite qui célèbre le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre ces deux nations. Un moment qui mérite d'être lu à l'aune de la fine stratégie en matière de relations internationales et d'influence, déployée par la Corée du Sud depuis plusieurs décennies sur le continent africain.
(Crédits : DR.)

 À l'occasion de sa visite officielle, Robert Dussey s'est livré à un exercice de communication dont l'analyse s'avère fort intéressante et riche d'enseignements.

Tout d'abord, le canal de communication choisi par le ministre : son compte officiel sur Twitter et une communication en trois langues. Témoignage d'une vision géopolitique résolument moderne et d'une volonté de positionner son pays dans un cadre multipolaire.

Même si le français reste la langue officielle du Togo, l'anglais est la langue des relations diplomatiques donc largement utilisée ; ainsi que le coréen dans ce cas précis.

Les tweets évoquent quatre thématiques principales :

En premier lieu, les relations diplomatiques et bilatérales entre les deux pays ; notamment, au travers de l'entrevue officielle entre les deux homologues.

Deuxièmement, les entretiens liés à l'économie et au développement, marqués par une visite au siège de l'agence coréenne de coopération -le KOIKA, l'AFD locale -, mais aussi par une rencontre aux autorités de Busan, deuxième ville du pays où se tiendra l'exposition universelle en 2030.

Troisièmement, le monde du taekwondo est mis en valeur comme créateur d'un véritable lien qui dépasse les différences culturelles, avec la visite du kukkiwon, siège mondial du taekwondo et l'élévation honorifique du ministre au 7e DAN de la ceinture noire dans la discipline.

Enfin, les aspects patrimoniaux et historiques sont abordés avec la visite du palais de Changdeok à Séoul, palais favori de nombreux rois de la dynastie Joseon.

On comprend aisément que le ministre togolais souhaite insister sur les valeurs universelles partagées entre son pays et la Corée du Sud.  Il est de plus aisé de percevoir son admiration - voire sa fascination - pour le « pays du matin calme ». Un pays, qui, en l'espace de quelques décennies, a dépassé la puissance économique et le niveau technologique de certaines nations occidentales, tout en préservant une partie de son identité et de ses traditions.

Sous le charme, le membre du gouvernement togolais, intellectuel émérite, homme de savoir et de dialogue, semble s'être mué en un « porte-parole patenté » de la Corée du Sud.

Cet état d'esprit ne résulte pas d'un coup de foudre soudain du ministre pour ce Dragon asiatique. Il est le fruit d'une longue maturation. En effet, la Corée du Sud a su soumettre avec méthode un certain nombre d'élites à travers le monde à un véritable processus de séduction bref une authentique  maîtrise du « soft power ».

La puissance du  «soft power »

Le géo-politologue Pascal Boniface décrit la notion de « soft power » comme une « forme indirecte, mais extrêmement efficace d'exercice de la puissance ». Il s'agit du « pouvoir d'influence et de capacité d'attraction dont peut bénéficier un pays ». Le « soft power » peut ainsi faire l'objet d'une réflexion de la part des gouvernants d'un État pour pallier la faiblesse du « hard power » (puissance militaire, économique...) ou le renforcer. Il peut constituer également un outil de conquête ou de défense. La politique sud-coréenne, soumise à la pression du Nord, s'inscrit dans cette logique depuis plusieurs décennies.

Le taekwondo, un exemple de « soft power » réussi

Cette approche n'est pas sans rappeler celle qui a concerné le taekwondo il y a déjà une cinquantaine d'années. Cet art martial- très récent, car datant de moins d'un siècle dans sa codification actuelle - a été largement promu par la Corée du Sud, dans la 2e partie du XXe siècle. Il est ainsi devenu un outil d'appui à la coopération et aux affaires étrangères. Ce sport est aujourd'hui pratiqué dans des pays aussi différents que la Côte d'Ivoire, le Maroc et même l'Iran, où il a fait des adeptes. Devenu discipline olympique, il participe du rayonnement de la Corée du Sud dans le monde. On constate que le Pr Robert Dussey en fut un pratiquant lui-même, dignement honoré par la Corée.

La pop culture sauce coréenne : un avènement programmé

En 2012, le phénomène Gangnam style marquait la planète. En quelques semaines, le célèbre quartier huppé de Séoul prenait place dans l'imaginaire collectif avec l'artiste PSY et sa célèbre danse du cavalier.  Il s'agissait là de la première pierre d'une série de succès mondiaux portés au sommet par le groupe BTS, qui, en 2021, au-delà de sa réussite artistique, apparaissait au siège des Nations unies à New York en ambassadeur du développement durable.

Parallèlement, poussée par une politique publique vigoureuse, l'industrie cinématographique Coréenne prenait ses quartiers aussi bien dans le monde du cinéma d'essai, celui du grand public que dans celui des séries télévisées.

Aujourd'hui, sa domination est féroce sur les plateformes telles Netflix avec des stars de notoriété mondiale à l'image de Lee Min-ho, Park Bo-gum ou Kim Soo-hyun. Ces stars des « télé novellas coréennes » popularisent aux quatre coins du monde la culture coréenne ; notamment sa langue, son histoire et sa gastronomie. C'est un véritable engouement qui est en marche au niveau mondial pour la Corée du Sud avec des centaines de « communautés » qui se créent sur les réseaux sociaux à l'instar du groupe « Park Bo Gum France et Francophone », agrégeant des citoyens du monde entier.

Une industrie à la pointe de la technologie

Reconnue pour son industrie de pointe en matière de NTIC avec des mastodontes comme Samsung ou sa production de véhicules de qualité comme Hyundai, SsangYong ou Kia, la Corée du Sud se révèle être aussi un discret « marchand de canons ».

Dans un contexte de tension à la suite de l'invasion de l'Ukraine, la Pologne a ainsi passé commande auprès de chaebols Coréens de centaines de chars, de 700 obusiers automoteurs, de 50 avions de combat sud-coréens FA-50, de près de 300 systèmes de lance-roquettes multiples pour plusieurs milliards de dollars selon Le Figaro.

Une plus grande implication dans la Francophonie

Si le Qatar, comme d'autres nations non véritablement francophones, a adhéré à l'Organisation internationale de la francophonie en qualité de membres associés, c'est bien la preuve que les alliances entre nations peuvent emprunter de multiples canaux.

Adhérer et participer aux instances de la Francophonie ne permet-il pas d'accéder à un carnet d'adresses de plus de 88 États dans un cadre propice au dialogue et aux interactions diplomatiques ? Plusieurs observateurs ont fait part de leur agréable surprise de côtoyer des représentants coréens à Djerba au sommet de la Francophonie en novembre 2022.  Il est vrai que la communication consacrée à la ville de Busan, ville hôte de l'exposition universelle 2030 a marqué les esprits.

Parallèlement, l'extraordinaire offensive culturelle française en Corée, au travers de l'Institut français dont on notera le beau programme pour 2023 laisse augurer d'un renforcement des liens entre le monde coréen et la Francophonie. L'Institut français de Séoul ayant annoncé la venue Mohamed Mbougar Sarr, auteur sénégalais Prix Goncourt 2021 à l'occasion du mois de la Francophonie.

Une plus grande implication de la Corée dans l'Organisation internationale de la francophonie - elle est membre observateur- battrait en brèche l'idée répandue, selon laquelle la Francophonie ne serait qu'une survivance de la colonisation et ne servirait qu'à préserver les intérêts de la France dans son ex « pré-carré colonial ». Elle contribuerait à rappeler à tous que la Francophonie est aussi une aire de partage et d'échanges civilisationnels et économiques. En somme, un « chemin vers l'Autre » dans un monde dans lequel les ponts sont parfois coupés.

(*) Elu municipal à Poissy (Yvelines) en charge de la Citoyenneté, de la francophonie et des relations avec les cultes.

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