Afrikarealpolitik  : Diplomatie économique allemande et croissance inclusive en Afrique

Si la politique allemande devait être résumée en deux mots, ceux-là seraient sans nul doute « efficacité » et « réalisme ». La diplomatie économique de l'Allemagne en Afrique n'échappe pas à cette définition. Le marché africain expérimente de nos jours une profonde mutation de par sa croissance dynamique, la politique économique optimisée à laquelle aspirent les pays du continent ainsi que la volonté de ces derniers d'atteindre une stabilité politique réelle. Face à cette conjoncture, l'Allemagne travaille pour devenir un acteur incontournable, en particulier dans le secteur des énergies vertes. Et même si l'intérêt économique allemand pour l'Afrique ne date pas d'hier, l'approche teutonne et les moyens mis en œuvre ont évolué, avec des « ambassadeurs docteurs » chapeautant une myriade d'acteurs, pour arriver à ce que nous pourrions appeler aujourd'hui : Afrikarealpolitik.
« Nous assistons au passage d'une relation verticale à une autre plus horizontale, inclusive, ciblant les acteurs locaux pour mieux positionner les entreprises et les investisseurs allemands par rapport à leurs concurrents extra-africains ». Badr Bakhat.

L'Allemagne envisage de profiter de la stabilité relative de l'économie africaine en activant trois leviers - économique, politique et sociétal - contrairement à la plupart des pays extra-africains qui ne se servent que d'un seul. Avec la création de Compact with Africa, cherchant à vitaliser le commerce, Pro ! Africa Concept visant à stimuler l'entrepreneuriat et un Plan Marshall pour l'Afrique axé sur l'aide au développement, l'Allemagne prend la pole position dans la course pour les investissements en Afrique.

Politique d'aide au développement : l'Allemagne se place sur les volets économique et sociétal

Depuis son accès à la présidence du G20 début 2017, l'Allemagne s'est engagée sur le sentier de la consolidation de l'économie africaine à travers le renforcement de son inclusion au sein de l'économie globale. Par le biais de hautes personnalités politiques, l'Allemagne déclarait ces derniers mois ses intentions de faciliter la transformation des modèles de gouvernance en Afrique à travers la stimulation des axes stratégiques. Dans un procès d'intention qui a duré près d'un an, certains ont jugé les intentions allemandes comme étant de simples vœux pieux, mais leurs positions se sont vite avérées erronées.

D'une part, l'ancien Ministre Fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble, déclarait que son pays utilisera sa présidence du G20 pour vigorer le commerce grâce à Compact with Africa. Cette initiative se focalise sur le développement d'infrastructure, en particulier le numérique. Il s'agit là d'un moyen de stimuler indirectement l'entrepreneuriat en allégeant les processus de création des PMEs, ainsi que de lutter contre la corruption à travers l'augmentation de la transparence et de la traçabilité ; une action qui positionne l'Allemagne dans un marché digital d'avenir qui attire depuis longtemps les convoitises des GAFA.

D'autre part, lors du Forum Économique Mondial sur l'Afrique qui s'est déroulé du 3 au 5 mai 2017 à Durban, Pro ! Africa Concept a été annoncé comme étant un projet de 100 millions d'euros qui vise à stimuler l'entrepreneuriat et les affaires. L'ancienne Ministre Fédérale de L'Economie et de l'Energie Brigitte Zypries était simultanément accompagnée par une délégation qui comprenait certains des plus fervents afro-optimistes, prônant la stabilité relative du continent au sein de l'économie mondiale ainsi que par un contingent d'industriels allemands qui profitait de l'occasion pour visiter Cape Town. Une approche bien huilée puisque c'est l'Allemagne d'entre-deux-guerre qui a mis en œuvre cette vision inclusive des échanges avec l'Afrique en donnant naissance à Afrika-Verein : association d'entreprises opérant en Afrique.

Finalement, Gerd Mueller, Ministre Fédéral de Coopération Economique et du Développement, avait introduit le fer de lance de la diplomatie économique allemande en Afrique : le Plan Marshall pour l'Afrique. Inspiré de la stratégie de reconstruction de la Seconde Guerre mondiale, ce plan, bien que critiqué par les nombreux détracteurs des aides au développement, a suscité une réaction favorable auprès des dirigeants africains. Ces derniers le voient comme une assurance pour la création d'emplois, ce qui empêcherait la jeunesse africaine de s'aventurer dans l'immigration illégale vers l'Europe. Ils espèrent que les entreprises internationales ne voient plus l'Afrique comme un marché de consommation ou une source de matières premières, mais aussi comme un continent créateur de valeur ajoutée.

Valse Verte allemande : entre Européanisme et nationalisme

Certains considéraient que la Chancelière Angela Merkel se servait de la diplomatie économique comme d'une perche dans un exercice de funambulisme entre une pression intérieure croissante en année électorale et l'évolution rapide de l'environnement international.

Contre intuitivement, Mme Merkel semble regarder au-delà des calculs politiciens puisqu'une présence plus palpable sur le continent africain renforcera sans doute le soft power de l'Allemagne ; un besoin pressant compte-tenu de la perte de leadership expérimentée par les Etats-Unis depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump. En effet, même des entreprises qui ont longuement opéré en Afrique, à l'instar de Siemens, ne sont jamais parvenues à atteindre le prestige dont jouissent les entreprises américaines ou chinoises récemment installées. Pour se forger une bonne image de marque, les allemands devront mieux connaître leurs clients africains et évincer les fantômes d'un passé colonial encore douloureux dans certains pays.

Pour ce faire, l'Allemagne joue tour à tour les cartes européenne et nationale en s'appuyant sur un réseau diplomatique particulier et riche en organismes et en acteurs.

Écosystème diplomatique allemand en Afrique, Badr Bakhat

Figure — Écosystème diplomatique allemand en Afrique

« Ambassadeurs docteurs » : l'expertise au service de la diplomatie économique

Dans la totalité des pays africains étudiés, il ressort qu'il existe un facteur différenciant lors du choix des représentants diplomatiques allemands. L'ensemble des ambassadeurs ainsi que leurs prédécesseurs, à quelques exceptions ponctuelles près, sont titulaires d'un doctorat. Les spécialités varient en fonction des axes stratégiques des pays d'accueil, mais le patron reste le même. Au Cameroun, c'est l'agriculture. Dans des pays à risque politique, tels que la Côte d'Ivoire, le Burundi ou le Rwanda, ce sont des docteurs en droit qui chapeautent les missions diplomatiques. Au Sénégal, où la religion est un élément central pour toutes les représentations diplomatiques étrangères étudiées, le plus haut grade allemand est tenu par une islamologue.

Cartographie d’un échantillon d’ambassadeurs allemands en Afrique francophone

Figure — Cartographie d'un échantillon d'ambassadeurs allemands en Afrique francophone

Finalement, après le scrutin allemand et la réélection d'Angela Merkel, l'Allemagne continue sur les mêmes lignes politique et diplomatique africaines. Avec plus d'« avec l'Afrique » que de « pour l'Afrique » dans le discours de Berlin, nous assistons au passage d'une relation verticale à une autre plus horizontale, inclusive, ciblant les acteurs locaux pour mieux positionner les entreprises et les investisseurs allemands par rapport à leurs concurrents extra-africains.

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