Estelle Maussion : « La réussite d’Isabel dos Santos est un peu le pendant de l’ascension de son père »

Dans «La dos Santos Company : mainmise sur l’Angola», publié aux éditions Karthala, Estelle Maussion, journaliste indépendante, livre le fruit de trois ans passés en Angola, à tenter d’en savoir plus sur la «famille présidentielle», notamment sa grande influence sur l'économie. Interview.
Ristel Tchounand
(Crédits : DR/LTA)

LA TRIBUNE AFRIQUE - Vous avez séjourné en Angola pendant trois ans, vous découvriez le pays. Qu'est-ce qui a motivé ce projet de livre ?

Estelle Maussion - Tout est en effet parti de mon séjour dans le pays entre 2012 et juillet 2015. Je découvrais ce pays et cette famille qui était, à la fois, très présente de par son pouvoir et difficile d'accès. Ses principaux membres aimaient plutôt rester dans l'ombre. J'ai trouvé cela assez frappant et c'est ce qui m'a donné envie d'en savoir plus. Ce livre est donc nourri de mon temps sur place et de mon travail en tant que correspondante. Je l'ai bien entendu complété depuis mon retour à Paris par des recherches, des interviews et des lectures. Le processus a été long, car la rédaction de ce livre m'a pris presque une année.

Dans la réalisation de votre livre, avez-vous donné la parole au clan dos Santos ?

Lorsque j'étais en Angola, j'ai fait plusieurs demandes d'interviews au président José Eduardo dos Santos et à Isabel dos Santos, mais ces dernières n'ont jamais abouti. La personne avec qui j'ai échangé longuement, c'est José Filomeno dos Santos, en 2012, lors du lancement du fonds souverain angolais. Après la conférence de presse organisée pour l'occasion à Luanda, j'avais eu un entretien avec lui pendant deux heures. Et cela avait donné lieu à la publication d'une interview.

Il faut dire que quand j'étais sur place, à l'époque, même dans la rue, il était difficile de faire parler les gens, parce que les Angolais avaient du mal à évoquer la famille présidentielle. Cela dit, j'ai réussi au fil du temps à parler avec des gens qui travaillaient à la Cidade alta, aussi avec des gens du MPLA [le parti au pouvoir, NDLR], notamment certains membres historiques.

Je dois préciser qu'avant la publication du livre, j'ai à nouveau envoyé des demandes d'interviews aux principales personnes impliquées dans ce livre et je n'ai pas eu de retour.

José Filomeno dos Santos, le « fils sacrifié », qualifiez-vous. A-t-il manqué à quelque chose pour ne pas voir le « sacrifice » venir ? Pourquoi n'a-t-il pas tenté une sortie rapide du territoire après la chute de son père comme c'est de coutume dans ce genre de circonstance ?

Je l'appelle le « fils sacrifié » dans le livre parce que jusqu'à récemment, il était méconnu. C'était quelqu'un de très discret, qui, après sa formation en finance, avait son travail, sa famille... Il arrive sur le devant de la scène en 2012 lorsqu'il est nommé dans le trio dirigeant du fonds souverain angolais de 5 milliards de dollars. Une année après, il en prend la tête et est exposé sur le devant de la scène. Ensuite cela se termine avec son limogeage, une fois Joao Lourenço arrivé au pouvoir. C'est celui qui est dans la position la plus difficile, puisqu'il a été inculpé pour fraude, placé en détention provisoire pendant six mois, et que le procès doit se tenir bientôt. C'est pour cela que je l'appelle le fils sacrifié

Ce qu'il faut souligner, c'est que depuis le début quand il a été inculpé par la justice angolaise, il s'est toujours présenté aux convocations, il a répondu aux demandes de la justice... C'est en tout cas, le message qu'ont véhiculé ses avocats. Je pense donc qu'il y a eu de sa part, depuis le début, une volonté de ne pas fuir. C'est ce qu'on peut observer de son comportement.

Et ce que je démontre dans le livre c'est qu'alors qu'il est tardivement entré sur le devant de la scène, José Filomeno est aujourd'hui celui qui est dans la posture la plus difficile. Avant de rejoindre le fonds, il avait des responsabilités chez Kwanza Invest, une banque en lien avec Jean-Claude Bastos de Morais [entrepreneur suisso-angolais, NDLR], un de ses amis d'enfance. Evidemment, il faut insister sur le fait que la fin de l'histoire reste méconnue, la justice n'a pas encore tranché. Ce qui va être intéressant, c'est de voir quelle la responsabilité la justice attribuera à Filomeno dans cette affaire.

Vous évoquez une similitude entre le père, José Eduardo dos Santos et sa fille aînée, Isabel : « l'attachement au pouvoir ». Comment l'expliquez-vous puisque l'un évolue en politique et l'autre en affaires ?

Ce sont, en effet, deux personnages importants dans l'histoire. Le père Eduardo dos Santos a un parcours assez atypique, car fils de maçon, il est parvenu à la présidence de la République à 36 ans dans un contexte de conflit et y est resté pendant 38 ans. Isabel est sa première file. Pour moi, c'est ce qui est important dans leur relation, car c'est la seule de la fratrie qui a vu José Eduardo dos Santos lorsqu'il n'était pas encore président. Les deux personnages sont un peu différends, mais ils se ressemblent à bien d'égards. En tout cas, c'est comme cela que je les vois. Ils se ressemblent, notamment, dans le fait d'avoir occupé une position de pouvoir importante.

Il est certes difficile de comparer deux personnes évoluant dans deux sphères différentes, mais chacun d'eux a eu une trajectoire, je dirais, étonnante en termes d'ascension réalisée. Même si aujourd'hui, évidemment, il y a eu une rupture avec le départ du père du pouvoir, les deux parcours interpellent.

Mon impression est que la réussite d'Isabel dos Santos sur le plan économique avec une telle projection internationale est un peu le pendant de l'ascension en termes de pouvoir de son père.

Avec les hautes fonctions occupées par certains dos Santos dans la vie économique du pays, quelle place avaient les membres de la famille dans la coopération économique de l'Angola avec l'extérieur ?

C'était très compliqué d'avoir des informations, très compliqué d'avoir des chiffres, car à l'époque où j'étais sur place, beaucoup de choses étaient difficiles d'accès. Mais le fait que la famille ait été autant présente tant sur le plan politique qu'économique -le père président pendant très longtemps et quelques membres de la famille occupant des postes très importants-, a pu jouer jusqu'à un certain niveau dans le développement de la coopération économique.

Sans doute, l'exemple le plus frappant, je le développe notamment dans le chapitre quatre, est celui des relations avec le Portugal. Les relations entre l'Angola et le Portugal sont vraiment très intéressantes pour les raisons susmentionnées. C'est à la fois une relation d'amour-haine, avec des moments de très forte entente, et des moments de crises, de rupture, sur le plan diplomatique la relation été plus ou moins agitée. Paradoxalement, il existe aussi une interconnexion très forte entre les élites des deux pays.

Ce qui est également intéressant à pointer, je pense, le système de pouvoir politique économique et social mis en place par José Eduardo dos Santos et les membres de cette élite, avait des ramifications étrangères. Pour moi, c'est aussi l'illustration d'un système mondialisé.

Comment les milieux d'affaires vivent-ils, finalement, l'après-dos Santos ? Les entrepreneurs locaux font-ils plus facilement les affaires ?

L'arrivée de Joao Lourenço au pouvoir en 2017 a suscité des réactions positives, surtout après l'annonce d'une lutte contre la corruption et l'élan de réformes engagées. Je pense notamment aux privatisations, mais aussi à une application de standards internationaux un peu plus forte. L'attribution de certains contrats a été annulée, on a refait des appels d'offres, ... je crois que ce sont des choses qui ont joué favorablement.

Maintenant, cela fait deux ans que Joao Lourenço est au pouvoir. Évidemment ces réformes ne produisent pas leur effet tout de suite. Donc, la situation économique du pays restant difficile (crise de liquidité, inflation élevée...), tout n'est pas encore rose pour les chefs d'entreprises.

Cependant, je pense que suite au départ des dos Santos, il y a davantage d'entrepreneurs angolais qui peuvent concourir pour des projets, se lancer dans un certain type de réalisations. Cela dit, les difficultés du marché angolais demeurent, en raison du contexte économique difficile. Toutefois il y a un besoin chez les hommes d'affaires angolais de se conformer, pour certains projets, aux standards internationaux. Ce qui ouvre la porte à une forte concurrence avec les groupes internationaux étrangers. A mon avis, il y a eu un élan. Mais pour que cela se concrétise, il faut encore beaucoup de travail

Il y a une petite mention sur l'Angolagate dans votre livre. Cette affaire rocambolesque faisait-elle encore mouche pendant votre séjour en Angola ?

En tant que journaliste indépendante, je ne me suis pas affilié à la diplomatie française pendant mon séjour en Angola. De ce fait, on ne m'assimilait pas forcément à France, donc on ne m'en n'a pas parlé. En revanche, ce qui était intéressant sur la période c'est de voir, en tant qu'observatrice extérieure, comment la diplomatie française essayait de renouer les liens avec la diplomatie angolaise. Il y a eu la venue de Laurent Fabius, la venue de François Hollande, ... Et cela intervenait dans un contexte où l'Angola avait beaucoup de sollicitations, ce qui permettait au pays de choisir ses partenaires.

Et Emmanuel Macron devrait se rendre à Luanda début 2020, probablement pour renouer...

En effet, le voyage est annoncé. Mais, aucune date n'est précisée pour l'instant. Ce sera intéressant de voir ce qu'il va se passer.

Ristel Tchounand

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