Pour la marque dont le slogan est depuis longtemps « à fond la forme », c'est, en quelque sorte, un retour. Car Décathlon est déjà présent au Maroc depuis 1994 grâce à la collaboration nouée avec plusieurs sous-traitants. En 2009, elle installe une usine en propre, à Casablanca. Pourtant, voici une quinzaine d'années, la majeure partie de sa production part pour l'Asie où les coûts de fabrication sont bien meilleur marché. De retour en Afrique, la société met aujourd'hui en avant l'enjeu environnemental, bien que cela ne soit pas l'unique raison, comme l'explique Julien Beretti, le directeur général de la filiale production de Decathlon pour tout le Maroc. « Il s'agit également de maîtriser le risque mondial face à tous les enjeux géopolitiques actuels. Entre le blocage du canal de Suez, les tensions avec la Chine, les enjeux sociaux au Bangladesh et la guerre en Ukraine, nous cherchons à rééquilibrer notre production au plus près de nos marchés européens. »
Montée en compétence
Cette démarche a encore été accélérée après la crise sanitaire où il a été compliqué de réalimenter rapidement la chaîne de fabrication. Produire localement revêt un avantage commercial certain. « Chaque année, en avril, nous mettons en rayon, dans nos magasins européens, les textiles d'été. On ne sait, alors, ce qui va marcher ou pas. Si un article a du succès et s'il est produit en Asie, il faut compter au moins deux mois pour approvisionner à nouveau nos points de vente. Alors que produire au Maroc permet de livrer les magasins français en deux semaines seulement. » Si les coûts de production au Maroc sont plus élevés de 15% à 50% par rapport à l'Asie, en relocalisant au Maghreb, le groupe efface aussi le prix du portage du stock. « Pour éviter les ruptures d'approvisionnement de nos magasins européens, nous avons créé dans nos réseaux logistiques et nos magasins des surstocks, explique Julien Beretti, mais cela a un coût énorme. Le fait de produire à proximité de nos marchés européens nous permet d'économiser sur ce surstock. » Et pour réduire encore la différence de coûts de production avec l'Asie, Decathlon mise sur l'automatisation et la numérisation de ses lignes de production.
Connaître la chaîne de valeur
Si la stratégie depuis le Maroc est opérationnelle, il reste nénamoins encore beaucoup à faire. Sur une production estimée à 5 milliards d'euros par an dans le monde, avec dix millions de pièces produites chaque année, le Maroc ne représente aujourd'hui pour Decathlon qu'1% de sa production mondiale, soit 40 millions d'euros. À ce jour l'enseigne collabore avec cinq fournisseurs locaux et continue à développer son réseau avec quatre nouveaux partenariats établis cette année. Le rôle de l'usine de Casablanca est essentiel dans l'accompagnement industriel au Maroc. « Le site emploie 120 personnes et possède cinq lignes de production textile, détaille encore Julien Beretti, ce qui nous permet de bien comprendre toute la chaîne de la valeur et de parler le même langage que nos fournisseurs dans les optimisations de coûts ».
Julien Berreti dirige l'usine de production au Maroc du groupe français
Atténuer l'empreinte environnementale
L'enseigne a aussi formé ses sous-traitants à une démarche davantage écoresponsable. « Aujourd'hui, c'est le nerf de la guerre. Le textile représente l'industrie la plus polluante, et la teinture est particulièrement la plus contributrice à cette pollution. Ainsi, tous les mois, nous mesurons la consommation d'énergie et d'eau de nos fournisseurs de tissu afin de créer, ensemble, des solutions adéquates. Par exemple nous avons mis en place une station interne de traitement des eaux, en collaboration avec notre partenaire industriel. » Rien que pour la production de serviettes microfibres, un des produits emblématiques de Decathlon, l'équivalent de cinq piscines olympiques est ainsi économisé en termes de consommation d'eau. Ces serviettes microfibres ont d'ailleurs reçu le label officiel des JO de Paris 2024 et sont commercialisés dans les magasins français. Mais même au Maroc, la marque n'a pas coupé tous les ponts avec l'Asie puisque le groupe français collabore avec certains de ses fournisseurs chinois désireux de s'implanter dans le pays.
Le travail dans l'autre sens
Originaire de Montpellier en Occitanie, Julien Beretti a commencé sa carrière par un VIE (volontariat international en entreprise), déjà chez Decathlon, à Shenzhen, en 2005. « A l'époque, c'était l'apogée de la Chine. Ensuite, ça a été l'Asie du Sud-Est avec le Vietnam et le Bangladesh. Symboliquement, ce sont ces productions que j'ai installées là-bas il y a 20 ans que je relocalise aujourd'hui au Maghreb. Je fais le travail dans l'autre sens. »
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