Comment, entre Dakar et la Corse, l’ex-footballeur Mamadou Faye a créé Woly la PME créatrice de jus de fruits

L’international sénégalais qui a accompli l’essentiel de sa carrière à Bastia, a aussi obtenu son diplôme d’horticulteur en Corse. De quoi lui permettre de créer, à Dakar, une fabrique de jus de fruits exotiques bientôt commercialisés en Corse…
(Crédits : Reuters)

Il se définit lui-même comme le plus Corse des Sénégalais. La désignation n'est pas usurpée. Natif de Dakar et aujourd'hui âgé de 57 ans, Mamadou Faye a la double nationalité. Mais cet ancien footballeur professionnel, qui compte plusieurs sélections en équipe nationale du Sénégal au poste de milieu défensif, est Corse de cœur et d'adoption, ce qui est forcément le cas lorsqu'on a porté le maillot bleu du Sporting-club de Bastia pendant douze saisons. Jeune retraité - il a rangé définitivement ses crampons en 2000 - Doudou, comme l'appellent affectueusement ses proches et ses amis, avait espéré un moment une reconversion dans le football à travers l'ouverture d'un centre de formation dans son pays mais le projet n'a pas pu aboutir. Il y a dix ans, il s'est lancé corps et âme dans l'action humanitaire en créant l'association Corsénégal qui, chaque année, collecte des fournitures scolaires et du matériel informatique reconditionné pour les acheminer dans des écoles rurales de Dakar et de sa région. « Là-bas, les enfants n'ont rien, ils sont totalement démunis. Les Corses sont par nature généreux, des communes et des particuliers se démènent pour m'épauler au maximum de leurs capacités, cependant les besoins sont immenses. C'est difficile quand on a si peu de moyens mais je n'abandonne pas, je continue... »

« Je n'ai toujours compté que sur moi-même »

Comme il l'a toujours fait sur un terrain de foot, Mamadou Faye éprouve le besoin irrépressible de mouiller le maillot. Le sentiment d'être comme sur un banc de touche le chagrine. Il raconte la lassitude de se demander chaque jour au réveil comment il pourrait avantageusement occuper ses journées. Un matin, l'idée de créer une unité de fabrication de jus de fruits exotiques traverse son esprit et s'y arrête définitivement. « Enfant, mes parents étaient séparés et j'ai été élevé par ma grand-mère paternelle Woly, à Niary Taly, un des innombrables quartiers pauvres de Dakar. Elle m'a tout appris, à lire et à écrire, elle me faisait la morale tous les jours. Elle avait une âme de botaniste et me familiarisait à toutes les plantes, les fleurs et les herbes que nous rencontrions au cours de nos longues promenades dans les champs. Inconsciemment j'ai sans doute été prédisposé à fouler les pelouses... » dit-il avec un sourire malicieux.

Installé en Corse depuis le début de sa carrière en 1987, Mamadou Faye ne veut pas s'engager sur un terrain qu'il ne maîtrise pas et il décide, à 50 ans, de s'inscrire au lycée agricole de Borgo, au sud de Bastia. Au bout de deux ans, il en ressort avec deux brevets professionnels, celui d'horticulteur en 2018 puis celui de responsable d'entreprise agricole l'année suivante. « Je ne voulais pas céder à la facilité de prendre un associé et de me reposer sur lui, j'avais la volonté d'apprendre tout ce que je devais apprendre du métier. Toute ma vie je n'ai appris qu'à compter sur moi-même... »

Mais sa fabrique de jus de fruits à Dakar ne verra le jour qu'en octobre dernier en raison de la longue parenthèse de la pandémie et des restrictions sanitaires particulièrement draconiennes.

La mise financière de départ n'est pas très élevée, de l'ordre de 50.000 euros, pour partie provenant de ses fonds propres et pour partie du soutien de deux organismes engagés dans l'économie solidaire : une association loi 1901, CAPI Corsica, qui accompagne des projets écologiquement et socialement vertueux, et la micro-banque implantée dans le sud de la France, Crea-Sol, qui promeut l'activité économique de proximité.

Woly

15.000 bouteilles de jus d'hibiscus et de gingembre

Doudou crée sa petite holding « Mamadou Faye Production » composée d'une société de production à Dakar, où il a fait l'acquisition d'un modeste bâtiment qui héberge ses machines d'extraction et d'embouteillage, et une société commerciale à Bastia. Épaulé par son épouse, il a recruté un biologiste expérimenté et un effectif de six salariés, des femmes exclusivement. La marque s'impose naturellement à son esprit : Woly, le prénom de sa grand-mère.

Pour commencer sa production de fruits exotiques, il a choisi deux plantes emblématiques du Sénégal, les plus connues mais aussi les moins transformées : l'hibiscus et le gingembre qui ont en commun des propriétés antioxydantes, anti-inflammatoires et drainantes, sans trop s'étendre sur le caractère aphrodisiaque de la seconde. Il s'approvisionne auprès d'un ami dakarois, exploitant agricole. La traçabilité est garantie. L'entreprise est jeune, elle ne fonctionne que depuis quelques semaines et la toute première production, d'environ 15.000 bouteilles de 25 centilitres, n'a pas encore été commercialisée : « C'est une production artisanale, à petite échelle. Toutes les bouteilles seront vendues en Corse, pas dans les grandes surfaces mais dans les bars, les restaurants et les cafés. S'il le faut, j'assurerai moi-même la distribution... » Les bouteilles arriveront dans des conteneurs par voie maritime courant janvier : de Dakar à Marseille sur un navire de la compagnie Grimaldi puis de Marseille à Bastia à bord d'un ferry de Corsica Linea. « Je ne recherche pas la rentabilité. Ce qui compte à mes yeux, c'est la nouvelle passerelle que je construis entre le Sénégal et la Corse, deux terres aux belles valeurs humaines qui ont bercé toute ma vie. »

À moyen terme, Mamadou Faye espère étoffer sa gamme de production à d'autres végétaux exotiques du Sénégal peu ou pas répandus dans le commerce. Un projet dont il ne veut pas en dévoiler davantage. Mais le jeune entrepreneur est prêt à accomplir plusieurs fois par an les 4.500 kilomètres qui séparent Dakar de Bastia. Et faire grandir encore sa petite entreprise.

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Commentaire 1
à écrit le 26/01/2024 à 13:17
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