Christopher Gakahu : « Le potentiel de l’écotourisme en Afrique est inexploité »

A l’heure où plusieurs économies du Continent posent un regard particulier sur la filière de l’écotourisme, son développement au niveau régional soulève de nombreuses questions. Christopher Gakahu est président d’Ecotourism Kenya, l’entité chargée dans ce pays d’Afrique de l’Est de promouvoir la conservation de l’environnement naturel et du bien-être des communautés locales au travers du voyage responsable. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, il aborde les contours de cette filière montante pour laquelle quelques rares pays du Continent font office de référence à l’échelle mondiale. Interview.
Ristel Tchounand
Dr Christopher Gakahu est le président d’Ecotourism Kenya, l’entité chargée au Kenya de la conservation de l’environnement naturel et du bien-être des communautés locales au travers du voyage responsable. Précédemment, il a exercé, entre autres, au sein du PNUD, de l’African Conservation Center et de l’International Union for Conservation.
Dr Christopher Gakahu est le président d’Ecotourism Kenya, l’entité chargée au Kenya de la conservation de l’environnement naturel et du bien-être des communautés locales au travers du voyage responsable. Précédemment, il a exercé, entre autres, au sein du PNUD, de l’African Conservation Center et de l’International Union for Conservation. (Crédits : DR)

La Tribune Afrique : Quel état des lieux faites-vous de l'écotourisme en Afrique ?

Christopher Gakahu: Le capital naturel de l'Afrique -forêts et faune, paysages marins, paysages de forêts côtières et de mangroves, de savanes vallonnées, de déserts, de montagnes enneigées à proximité de l'équateur- est énorme. Les cultures africaines du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest sont extraordinaires et diversifiées. Ce capital naturel est encore renforcé par les liens historiques de l'Afrique avec d'autres parties du monde pendant des centaines d'années. Les commerçants du Moyen-Orient ou Proche-Orient, d'Asie, explorateurs et colons, missionnaires religieux venus d'Europe, tous se mélangent pour produire une diversité culturelle unique en Afrique. Cette unicité attire en Afrique des millions de visiteurs venant d'Europe, d'Amérique et plus récemment d'Asie. Ils viennent contempler la nature et la faune. Et c'est ce qui a fait émergé le tourisme de la nature.

Pendre soin de la nature en l'utilisant de façon durable est désormais un agenda mondial. Cela emmène à prendre soin et à préserver, investir plus de ressources -particulièrement l'argent généré par cette forme de tourisme- dans la protection de la nature, le respect des cultures locales qui sont partie prenantes et conservatrices de la nature que les visiteurs viennent voir. C'est ainsi que l'écotourisme -qui présente un potentiel important en raison du capital naturel régional- poursuit une croissance rapide en Afrique.

Au départ, les touristes de la nature vers l'Afrique ont d'abord convergé vers quelques destinations populaires où les grands animaux emblématiques, comme l'éléphant, le rhinocéros, le buffle, le lion pouvaient être contemplés moyennant des budgets et des délais confortables.

Aujourd'hui, les challenges de la protection des paysages naturels émanent de la démographie galopante, la pauvreté au sein des communautés locales, la mauvaise gouvernance, l'utilisation non durable et l'abus des ressources naturelles, du capital naturel. Tout cela représente une menace pour l'écotourisme en Afrique. Certains agendas mondiaux, d'autres facteurs comme le changement climatique et des déséquilibres commerciaux constituent les autres barrières à l'écotourisme en Afrique.

Comment les pays d'Afrique de l'Est et australe ont-ils réussi à devenir des références dans le développement de l'écotourisme ? Plus particulièrement, quelle a été la force du Kenya ?

L'Afrique de l'Est et Australe sont dotées de paysages peuplés de beaucoup d'animaux de types différents. Les Européens et les Américains fortunés ont eu l'habitude de venir en Afrique de l'Est et australe pour la chasse sportive. La chasse sportive aux trophées d'animaux est devenue impopulaire dans le monde plus conscient de la protection de la nature et du bien-être des animaux.

Au Kenya, la chasse sportive a progressivement changé passant de la chasse avec un pistolet à la chasse avec une caméra. C'était là l'origine de l'écotourisme. De plus en plus de visiteurs ont commencé à venir pour regarder la faune dans les parcs nationaux et les espaces protégés. Dans ce contexte, le gouvernement a commencé à recevoir plus de flux étrangers à partir du tourisme. A un moment donné, le tourisme fortement tributaire de l'observation de la faune et leur photographie est devenu le plus grand pourvoyeur de devises du pays. C'est ce qui explique d'ailleurs l'existence jusqu'à ce jour au Kenya du ministère du Tourisme et de la Faune. La politique du gouvernement était d'augmenter le nombre de visiteurs au Kenya de façon à générer plus d'argent. De ce fait, l'affluence des touristes dans le pays s'est traduite par la construction de plus d'hôtels dans les espaces protégés pour suivre l'accroissement du nombre de visiteurs.

Je rappelle que dans les années 1970 déjà, le Kenya était la première destination au monde pour le tourisme animalier. A un moment donné, les destinations touristiques les plus populaires du pays comme Amboseli et Maasai Mara ont commencé à connaitre les impacts écologiques négatifs résultant des touristes et de l'activité touristique en général. Dans ce contexte, certains touristes ont commencé à payer de petites sommes d'argent aux communautés locales afin de les photographier, ainsi que leurs propriétés traditionnelles. Cela a permis de réduire et atténuer ces impacts négatifs à travers le développement de principes et pratiques appropriées.

Des recherches ont ensuite été entreprises pour évaluer les impacts du tourisme sur les communautés locales et les attentes des visiteurs, leur comportement et leurs impacts sur les aires protégées. La recherche a montré que bien que des milliards de shillings kenyans arrivaient dans le pays, très peu ou pas du tout allait aux communautés locales qui partageaient leurs terres avec la faune. Cela a provoqué l'empathie envers la faune, le ressentiment et l'hostilité envers l'augmentation du braconnage.

Et comment vous y êtes-vous pris pour combattre ces fléaux ?

Déjà, les recherches effectuées entre les années 1970 et le début des années 1990 ont montré que la croissance du tourisme était à la fois exponentielle et incontrôlée, n'était ni planifiée, ni régulée par le gouvernement. En conséquence et comme indiqué ci-dessus, les visiteurs se pressaient autour des espèces sauvages populaires, dégradant des prairies et d'autres habitats dans les parcs nationaux populaires. En conséquence, la position du Kenya en tant que destination principale a commencé à décliner. La principale conclusion tirée de tout cela est que le tourisme durable dépend de la conservation de la faune et le management des touristes, le management des espaces protégés et la garantie de la participation des communautés locales.

Ces réalités ayant été expérimentées ailleurs dans le monde et relevées dans les années 1970 grâce aux efforts déployés, les chercheurs kényans ont noué des partenariats avec la Société Internationale d'Ecotourisme basée aux Etats-Unis. En 1992, une conférence internationale sur l'écotourisme et le développement durable a été organisée au Kenya. Par la suite le plaidoyer, le lobbying et le soutient d'institutions nationales pertinentes et certaines entités du secteur privé ont abouti à la création, en 1996, de la Société d'Ecotourisme du Kenya, laquelle a pour mission de conserver l'environnement naturel et le bien-être des communautés locales au travers du voyage responsable. La Société d'Ecotourisme du Kenya a ensuite été rebaptisée Ecotourism Kenya (EK) et au cours de ces 23 dernières années, l'EK a été le fer de lance de l'écotourisme au Kenya, en partenariat avec le gouvernement et l'industrie du tourisme.

Quelle place occupe aujourd'hui l'écotourisme dans l'agenda national kényan ?

L'utilisation et l'abus du capital naturel par une croissance exponentielle non planifiée du tourisme naturel, la baisse de la qualité du produit touristique et la concurrence potentielle d'autres destinations parmi d'autres défis placent l'écotourisme plus haut dans l'agenda national du Kenya.

La sensibilisation mondiale à l'environnement et au développement, la consommation durable, l'équité dans le partage des avantages ont tous contribué à l'entrée précoce du Kenya dans l'écotourisme. Enfin, des conservateurs et des chercheurs dévoués ont fait connaître les réalités et les potentiels de l'écotourisme sur la carte continentale et mondiale. Cela a été conservé jusqu'à aujourd'hui.

L'écotourisme est de plus en plus considéré comme un levier de développement pour les économies africaines. Comment un plus grand nombre de pays peuvent-ils bénéficier de ce potentiel ?

L'écotourisme est un important instrument qui contribue à la préservation du paysage naturel et offre une solution au persistent problème de pauvreté en Afrique. Ce secteur est un potentiel pourvoyeur de progrès politique et économique pour les communautés locales tout en conservant la nature. L'écotourisme génère également des projets connexes dans les domaines de la protection de la biodiversité, bénéficiant du paiement des services écosystémiques, du développement durable et de la réduction de la pauvreté.

Toutefois, il faut dire que, de manière générale, le potentiel de l'écotourisme en Afrique est inexploité. Pourtant, ce secteur peut être un puissant pourvoyeur de progrès politique et économique et cela rend prometteur l'avenir du Continent dans ce domaine. Mais pour un développement plus général de l'écotourisme dans les pays africains -toutes régions confondues-, ceux-ci doivent formuler des politiques appropriées, des plans et stratégies et développer de meilleures infrastructures de transport. Les autres facteurs déterminants incluent le développement des institutions et des programmes de formation, les échanges de personnel, le benchmarking entre pays, comme le Kenya et l'Afrique du Sud où l'écotourisme est plus développé.

Quelles sont, selon vous, les limites à respecter dans le développement de l'écotourisme ?

Les pays doivent reconnaître et respecter les principes du développement durable, le respect de la nature et de l'équité est l'utilisation des ressources naturelles pour les populations actuelles et pour la postérité. Les économies doivent également être prêtes à investir dans la conservation de la nature et le développement et la mise en œuvre de politiques requises, de stratégies et de programmes qui soutiennent l'écotourisme. Dernier point, mais non le moindre, les partenariats entre les communautés locales, le gouvernement et les acteurs du secteur privé sont très importants.

Quels pourraient donc être les enjeux de la conservation sustanability pour les économies africaines au cours de la prochaine décennie ?

En mettant l'accent sur la conservation sustanability, les économies africaines pourraient au cours de la prochaine décennie relever le défi du manque et de l'inadéquation des institutions, des politiques et des lois dédiées au développement de l'écotourisme. La formation permettra, en outre, de résoudre la difficile question de la capacité humaine technique et institutionnelle, réaliser des investissements financiers adéquats. La sensibilisation, quant à elle, favorisera la prise de conscience au sujet de l'environnement et de la conservation.

Aujourd'hui encore, la plupart des pays du Continent connaissent l'usage et l'extraction d'animaux et de plantes sauvages. L'accent sur la conservation sustainability permettra d'endiguer ce problème, pas seulement celui-là, mais aussi celui de la déforestation, de la dégradation des terres, de l'extinction d'espèces végétales et animales, de l'aliénation de zones protégées et de conservation pour les établissements humains, du développement d'infrastructures (routes et barrages), de l'expansion de l'agriculture, ainsi que celui de la gestion inadéquate des déchets, de la pollution par les déchets agricoles, déchets urbains et industriels.

Ristel Tchounand

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