Régulation des crypto-monnaies en Afrique : état des lieux

Avec l’accroissement constant du volume des transactions en 2021, l’Afrique fait une percée importante sur les marchés mondiaux des crypto-monnaies. Cette évolution diversement appréciée par les États du continent reste néanmoins très peu encadrée.

L'Afrique est l'une des premières régions du monde en termes de volume de transactions en crypto-monnaies soit l'équivalent d'environ 78 millions de dollars ces trente derniers jours[1]. Ce constat confirme ainsi l'engouement observé des Africains pour ces actifs numériques (Bitcoin, Ethereum, Dogecoin, Binance Coin, XRP Coin, Shiba Inu...).

Ces évolutions ne laissent pas indifférents les États africains qui, pour certains (Nigeria, Ghana ou Afrique du Sud), initient des projets de création de leur monnaie digitale de banque centrale (MDBC), un actif numérique émis par une Banque centrale libellé dans l'unité de compte officielle de celle-ci et qui peut être échangé de pair à pair, de façon décentralisée.

Par ailleurs, ces États réagissent, chacun à leur manière, à la percée des crypto-monnaies auprès des populations. Ces réactions oscillent entre admission, tolérance (relative) ou interdiction de l'usage des crypto-monnaies, le nombre de pays tolérant l'usage des crypto-monnaies étant en net augmentation par rapport à notre dernier état des lieux réalisé en 2018[2].

Pour rendre compte des diverses positions des États africains sur les crypto-monnaies, nous proposons à travers la carte ci-après un état des lieux de la régulation en la matière suivi des principaux enseignements à retenir.

Cartographie Crypto

Aucun pays africain ne reconnaît aux crypto-monnaies le statut de monnaie légale

A l'instar de la plupart des pays dans le monde, les pays africains semblent unanimes pour dire que les crypto-monnaies ne sont pas des monnaies légales. A l'appui de cette position, les autorités africaines avancent que ces actifs numériques: ne sont pas émis par leur soin ou par une banque centrale ; ne bénéficient pas de leur garantie et n'ont de ce fait, pas de valeur ; n'ont pas de pouvoir libératoire universel.

En outre, les autorités de régulation considèrent que malgré leur potentiel en termes d'innovation, les crypto-monnaies font peser des risques sur l'intégrité des systèmes monétaires et financiers ainsi que sur les consommateurs et les investisseurs. En effet, lesdites autorités considèrent que les crypto-monnaies mettent en jeu des acteurs non régulés qui, en toute liberté, sont à l'origine de la conception des monnaies virtuelles sur la base d'un protocole informatique reposant sur une blockchain, une technologie cryptographique et décentralisée.

Ces autorités estiment en outre que les crypto-monnaies soulèvent des questions de transparence. A ce propos, si les transactions réalisées en crypto-monnaies sont enregistrées dans un registre public favorisant ainsi leur traçabilité, la capacité d'anonymisation offerte dans le cadre de ces transactions (par le cryptage des identités des bénéficiaires et des donneurs d'ordre) peut favoriser le développement d'activités illicites (blanchiment d'argent, financement du terrorisme...). En effet, lesdites transactions ne permettent pas de répondre aux obligations en matière de connaissance du donneur d'ordre et du bénéficiaire (Know Your Customer).

Enfin les régulateurs considèrent que les crypto-monnaies donnent lieu à des activités qui prospèrent dans un contexte extraterritorial : par son architecture décentralisée, la blockchain favorise le recours à des serveurs et à des ressources humaines installés sur des territoires différents.

Une absence de cadre réglementaire dédié aux crypto-monnaies, source de confusion

Malgré l'appel de certaines autorités (en Afrique du Sud, au Malawi, en Ouganda ou encore en Tunisie) à réglementer le secteur et les usages des crypto-monnaies, aucune évolution notable ne semble se dessiner dans ce sens pour l'instant. Cette situation est source de confusion dans différents pays ou espaces sous régionaux. C'est le cas notamment dans les États membres de la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), dans ceux de l'Union Économique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA), en Tunisie ou encore au Zimbabwe.

Au sein de la CEMAC, la Commission de surveillance du marché financier de l'Afrique centrale (COSUMAF) [3] s'est exprimée à deux reprises au sujet des offres de placement et d'investissement en lien avec les crypto-actifs (actifs numériques comprenant notamment, les crypto-monnaies et les tokens). A ce propos, la COSUMAF affirmait le 23 octobre 2020 que " (...) l'exercice des activités de crypto-actifs (...) ne fait pas l'objet d'encadrement réglementaire" et, de ce fait, aucun "(...) prestataire d'actifs numériques ne peut proposer de tels services". Toutefois, le 27 mai 2021, elle remaniait sa position initiale, quelque peu confuse, en assimilant finalement les prestations de services sur crypto-actifs à des activités en lien avec "l'appel public à l'épargne et les instruments financiers [soumises donc] à l'agrément préalable de la COSUMAF (...)"[4]. La position exprimée dans cette dernière communication de la COSUMAF pourrait laisser penser à une admission de l'usage des crypto-monnaies au sein de la CEMAC. Toutefois, le silence du régulateur bancaire, la Banque des États de l'Afrique Centrale (BEAC) laisse planer un doute quant à cette reconnaissance.

La situation au sein de l'UEMOA ne devrait véritablement pas diverger de celle observée au sein de la CEMAC. En effet, tout comme la COSUMAF en Afrique centrale, le Conseil régional de l'épargne public et des marchés financiers (CREPMF)[5], dans un communiqué en date du 18 mars 2021, a assimilé les offres de placement et d'investissement en lien avec les crypto-monnaies à des opérations relevant de l'appel public à l'épargne admettant ainsi implicitement l'usage des crypto-monnaies au sein de l'UEMOA[6]. Reste à connaître la position sur ce point du régulateur bancaire, la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO).

En Tunisie, faute d'un cadre réglementaire dédié aux crypto-monnaies, l'on assiste à des décisions et déclarations contradictoires de la part des autorités qu'elles soient judiciaires, policières, douanières ou encore gouvernementales. Ainsi, aux mesures répressives à l'encontre des usagers des crypto-monnaies succèdent soit, dans certains cas, des décisions judiciaires relaxant lesdits usagers, soit une déclaration ministérielle favorable aux crypto-monnaies.

Enfin, au Zimbabwe, saisie par les éditeurs d'une plateforme de crypto-monnaies au sujet de la décision de la banque centrale du Zimbabwe d'interdire leur activité, une juridiction d'Harare a prononcé l'annulation de la décision de la banque centrale du Zimbabwe. Cette première continentale ne met toutefois pas fin au flou juridique qui règne en la matière au Zimbabwe faute de cadre réglementaire dédié.

De rares interventions réglementaires...

Elles visent soit à encadrer soit à interdire l'usage des crypto-monnaies et peuvent être dans ce dernier cas le fruit de dispositions réglementaires bancaires ou financières existantes.

Pour encadrer les usages des crypto-monnaies

L'encadrement des usages des crypto-monnaies dans quelques rares pays africains intervient par le biais de dispositions diverses. En Afrique du Sud, l'administration fiscale, The South African Revenue Service (SARS), considère les crypto-monnaies (désormais qualifiées de crypto-actifs dans la législation fiscale de ce pays) comme étant des actifs de nature intangible par opposition aux devises ou aux biens. Partant de cette qualification, le SARS considère que lesdits actifs sont soumis à la fois à l'impôt sur les plus-values et à l'impôt sur le revenu.

L'Ouganda a choisi, quant à lui, de réviser ses lois anti-blanchiment de capitaux pour y inclure les plateformes d'échanges de crypto-monnaies et autres fournisseurs d'actifs virtuels ; l'objectif étant de les soumettre aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT). Cet encadrement indirect semble inefficace selon la Financial Intelligence Authority (FIA), l'agence nationale ougandaise en charge des problématiques qui appelle à l'adoption d'urgence d'un cadre réglementaire dédié aux crypto-monnaies.

Enfin, il convient de noter que la Financial Services Commission (FSC) à Maurice a publié en 2020 des lignes directrices portant sur l'octroi d'un agrément spécifique aux gérants d'actifs numériques et pour les sociétés proposant des investissements dans des security tokens à Maurice.

Pour interdire les usages des crypto-monnaies

C'est le cas notamment en Algérie (Loi de finances), en Égypte (article 206 de la loi « CBE »)[7], au Lesotho (Communiqué de presse de la Central Bank of Lesotho en date du 7 février 2018)[8], en Libye (Déclaration en 2018 de la Central Bank of Libya), au Maroc (en vertu de la Réglementation des changes au Maroc), en Namibie (Avis rendu par la Bank of Namibia en septembre 2017 et révisé en mai 2018) ou encore au Nigéria (Communiqué en date du 5 février 2021 interdisant à tout organisme bancaire et financier agréé de proposer ou de faciliter les transactions en crypto-monnaies sous peine de sanction)[9].

 En définitive, face aux incertitudes que soulèvent les crypto-monnaies et en particulier dans un contexte d'absence de cadre réglementaire dédié à celles-ci, les positions des autorités africaines, certes légitimes, sont appelées à évoluer. Lesdites positions relèvent toutes de stratégies dont les conséquences peuvent être positives pour les unes et négatives pour les autres. En tout état de cause, la maîtrise des enjeux plus spécifiques aux crypto-monnaies et à la blockchain en général requiert des États africains une ouverture aux nouveaux usages qui s'imposent malgré tout, avec l'adhésion de plus en plus marquée des populations, dans un contexte transnational[10]. Ceux-ci gagneraient à adopter des approches réglementaires et régulatrices qui iraient au-delà d'une focalisation sur la dimension spéculative des crypto-monnaies pour se saisir de nombreuses autres opportunités qu'offrent ces actifs numériques, en particulier dans les contextes socio-économiques africains[11].

*Fortuné B. Ahoulouma, Avocat au barreau de Paris, associé LABS-NS AVOCATS - Docteur en droit

**Fabien Lawson, Avocat au barreau de Paris, associé LABS-NS AVOCATS - Docteur en droit

[1] Selon UsefulTulips, entreprise spécialisée dans l'analyse de ce marché https://www.usefultulips.org/Combined_World_Page.html (Consulté le 15/10/2021)

[2] https://afrique.latribune.fr/africa-tech/2018-06-11/crypto-monnaies-cartographie-de-la-regulation-en-afrique-780933.html

[3] Le régulateur des marchés financiers au sein de l'Union Monétaire de l'Afrique Centrale (UMAC)

[4] https://labs-ns.com/blog/2021/09/06/crypto-actifs-vers-une-reconnaissance-au-sein-de-la-cemac-et-de-luemoa/

[5] Le régulateur financier au sein de l'Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA)

[6] https://labs-ns.com/blog/2021/09/06/crypto-actifs-vers-une-reconnaissance-au-sein-de-la-cemac-et-de-luemoa/

[7] The new Egyptian Central Bank Law, No. 194/2020, ("CBE Law")

[8] La promotion des investissements dans les monnaies virtuelles est une violation des dispositions du Règlement du marché des capitaux de 2014 exposant ainsi tout promoteur desdites monnaies aux sanctions prévues par le Règlement précité.

[9] https://www.cbn.gov.ng/Out/2021/CCD/Letter%20on%20Crypto.pdf

[10] Fortuné B. Ahoulouma et Fabien Lawson, "La blockchain: une révolution à introduire dans le financement des entreprises africaines", RLDA 2019/149, n°6737 ; Fabien Lawson, "La blockchain: une nécessité d'encadrement juridique liée à l'ouverture aux champs des possibles en matière de financement des entreprises", RLDA 2019/149, n°6738 ; Fortuné Ahoulouma, "La «tokenisation» des valeurs mobilières dans l'espace OHADA", RLDA 2019/149, n°6739.

[11] Fortuné Ahoulouma, Les crypto-monnaies vont elles s'imposer en Afrique? https://www.pourparlerspodcast.com/14-les-crypto-monnaies-vont-elles-simposer-en-afrique-avec-fortune-ahoulouma-avocat-et-specialiste-des-fintech-et-des-crypto-monnaies/

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