Djibouti : la recette de Christine Lagarde pour une croissance inclusive

Par Aboubacar Yacouba Barma  |   |  1194  mots
Christine Lagarde en compagnie de Ismail Omar Guelleh, président de Djibouti
En séjour à Djibouti dans le cadre de sa nouvelle tournée africaine, la directrice générale du FMI a livré sa vision sur les voies que devrait emprunter le pays pour mettre les nouvelles technologies et le commerce international au service d’une croissance inclusive. Le pays ambitionne en effet de se positionner comme un hub logistique et de services pour la région Afrique de l’est et en dépit des investissements réalisés, des défis persistent et handicapent l’objectif de Djibouti d’accéder au statut de pays à revenu intermédiaire à l’horizon 2035.

C'est une leçon de stratégie économique qu'a livré Christine Lagarde à Djibouti où elle séjourne depuis samedi dernier dans le cadre d'une visite de travail de trois jours. Intervenant dimanche à la conférence de haut niveau sur la « Vision Djibouti 2035 », la directrice du FMI qui était auparavant au Bénin et en Ethiopie, a passé en revue l'évolution socio-économique du pays ainsi que ses perspectives de croissance dans le cadre de la stratégie des autorités à faire du pays un hub régional, Lagarde a salué les efforts consentis jusque-là pour poser les jalons de cette ambition.

La Conférence a été axée sur la thématique, « comment mettre le commerce international et les nouvelles technologies au service d'une croissance inclusive ? » et à ce sujet, elle a estimé que ces niches sont certes essentielles pour tous les pays, « mais elles le sont plus particulièrement pour des petits États comme Djibouti, où, combinés ensemble, commerce et technologies peuvent jouer un rôle majeur dans sa transformation économique ».

La directrice du FMI n'a pas manqué de saluer le fait que le commerce international et les nouvelles technologies soient placées au cœur de la stratégie de développement du pays estimant même que Djibouti peut servir de modèle particulièrement dans la conjoncture économique actuelle.

« Djibouti peut montrer la voie. Pour cela, le pays doit se transformer en centre névralgique de commerce et de logistique pour l'ensemble de la région, s'inspirant ainsi de l'expérience d'autres économies portuaires et contribuant à l'essor économique de l'ensemble de la région de l'Afrique de l'Est, et au-delà ».

Pour Lagarde, « cette stratégie permettra aussi à Djibouti de réaliser son ambition de devenir un pays à revenu intermédiaire prospère, où tous ses citoyens pourront bénéficier des retombées de la croissance ». Dans cette perspective, le pays a investi massivement dans les infrastructures, avec de nouveaux ports et une nouvelle liaison ferroviaire avec l'Éthiopie et pour l'ancienne ministre française de l'Economie, « ces investissements pourraient potentiellement doper les échanges commerciaux et transformer durablement l'économie Djiboutienne ».

Le chemin pour une croissance robuste et inclusive

Selon Christine Lagarde, le chemin pour une croissance dynamique et surtout inclusive passe par la prise en compte de certains facteurs au premier rand desquels pour le pays, savoir tirer pleinement profit du commerce international. « L'ouverture au commerce international contribue à améliorer les niveaux de vie dans tous les pays » a fait part Lagarde qui s'appuie sur l'opportunité ainsi offerte aux consommateurs et aux entreprises qui bénéficieront d'une baisse des prix et d'une plus grande variété de produits. « Cet aspect est particulièrement important pour les consommateurs les plus modestes, qui, grâce aux échanges, vont avoir davantage accès à des produits importés bon-marché » a -telle poursuivi ajoutant que le commerce international peut stimuler la productivité en offrant aux entreprises la possibilité d'adopter de nouvelles technologies et de nouveaux processus de production. La bonne nouvelle, d'ailleurs pour le pays et ceux qui ont fait ce choix, c'est que les échanges commerciaux devraient croître de 4 % en 2018, grâce à l'accélération de la croissance globale. « Cela ouvre d'immenses perspectives pour Djibouti » a estimé la directrice du FMI pour qui les nouveaux ports permettront, par exemple, de capter une part plus conséquente des flux commerciaux mondiaux et régionaux. Ils contribueront également à l'amélioration de la productivité, grâce à leur haut niveau d'automatisation. Toutefois, elle a plaidé pour que l'objectif à long terme soit de s'orienter progressivement vers des services à forte valeur ajoutée afin de mieux profiter de la croissance du commerce international. Ainsi, les activités de transbordement, de logistique de pointe mais aussi les services financiers et juridiques doivent prendre leur essor pour faire de Djibouti une plaque tournante du commerce régional. « Il faudra pour cela encourager un secteur privé fort et dynamique capable de créer plus d'emplois, réduire le taux de chômage encore très élevé, et combler les fortes inégalités. Ainsi, de meilleures perspectives s'offriront à la prochaine génération » a poursuivi Lagarde.

Dans le cadre de cette stratégie, le pays a également tout intérêt à exploiter les nouvelles technologies car « Djibouti a également l'opportunité d'occuper une position unique, au carrefour des connexions internet mondiales, qui véhiculent un flux d'information considérable ». Lagarde n'a pas manqué de se référer au Data Center du pays qui dispose d'un accès direct à tous les grands câbles internationaux et régionaux, et sert ainsi de passerelle vers l'Afrique de l'Est et au-delà. Djibouti pourrait tirer parti de cette infrastructure numérique en hébergeant des équipements tiers, en établissant des points d'échange internet, ou encore en proposant des services de traitement de mégadonnées, les « big data », ce qui permettrait au pays de contribuer encore plus au développement économique et social de la région. « Les pays de la région pourraient, grâce à un meilleur accès numérique, améliorer leur productivité en misant davantage sur l'internet dans les services financiers, la santé et l'administration » a fait part Lagarde qui n'a pas manqué de relever quelques défis majeurs à ce sujet notamment l'amélioration de l'accès à l'énergie.

Défis prioritaires

Pour la directrice du FMI, il s'agit là de domaines dans lesquels Djibouti peut tirer parti des nouvelles technologies et du commerce international, sauf que pour y arriver, « des politiques d'accompagnement ambitieuses sont indispensables ». En ce sens, les autorités doivent veiller à créer un environnement propice à la création d'entreprises et d'emplois en misant sur des politiques macroéconomiques saines, l'amélioration du climat des affaires et enfin, la promotion d'une croissance inclusive. L'occasion pour Christine Lagarde de rappeler les défis que son institution a déjà relevé notamment un endettement assez critique, la corruption qui prévaut dans le pays ainsi qu'une croissance qui est certes robuste mais n'a profité, sur les dix dernières années, qu'aux revenus les plus élevés comme l'a démontré la dernière étude sur le pays publié par le FMI il y a quelques jours.

« Les décideurs d'aujourd'hui, ici à Djibouti et dans toute la région, seront mesurés à l'aune de leur capacité à exploiter le potentiel du commerce international et des nouvelles technologies.  En transformant les aspirations en action, les décideurs peuvent faire émerger des économies prospères où chacun trouvera la chance de s'épanouir ».

Il convient de noter que comme pour les précédentes étapes de cette deuxième tournée africaine de l'année, la directrice du FMI s'est entretenue avec les principaux responsables du pays notamment le ministre de l'Economie et des Finances, Ilyas Moussa Dawaleh,  le gouverneur de la Banque centrale, Ahmed Osman, le premier ministre Abdoul Kader Kamil Mohamed ainsi que le président Ismail Omar Guelleh. « Nous avons évoqué ensemble les avancées de notre économie en matière de gouvernance, de diversification et de stabilité monétaire » a d'ailleurs fait savoir le chef du gouvernement à l'issue de son entretien avec la directrice du FMI