L’Afrique peut elle sortir des griffes des GAFA ?

Par Abdelmalek Alaoui  |   |  534  mots
En moins de dix ans, ils ont préempté notre vie professionnelle via Gmail ou Linkedin, canalisé notre vie personnelle à travers Facebook ou Twitter, et confisqué la vie des idées à travers Google News ou Facebook Live. Les GAFA, acronyme à la mode pour désigner Google, Apple, Facebook et Amazon, auxquels l’on peut ajouter nombre de compagnies technologiques nées dans la Silicon Valley, posent la question de notre indépendance numérique, en Afrique plus qu’ailleurs.

Pourquoi l'Afrique serait elle plus exposée que d'autres continents à cette mainmise ? Il suffit pour répondre à cette question d'examiner les adresses emails utilisées par la plupart des gouvernants du continent pour obtenir un début de réponse.

Une multi-exposition des leaders du continent

Répugnant à utiliser leurs courriels officiels ou corporate, politiques comme acteurs économiques africains privilégient Google et son service Gmail, et dans une moindre mesure, Yahoo. Plus pratique, plus facile d'accès, la messagerie du géant américain s'est peu à peu imposée comme le moyen de communication incontournable des leaders du continent. Comment, dans ce contexte, ne pas imaginer que leurs communications, qui peuvent contenir des éléments stratégiques pour le devenir de leurs entreprises ou leurs pays, soient traitées dans la plus stricte confidentialité ? Comment empêcher que l'appareil de renseignement américain n'ait la tentation d'y accéder ?  Dans un monde où l'information est une arme, nul besoin de se cacher derrière les chartes de confidentialité brandies par les GAFA, ces dernières ne constituent qu'un voile qu'il est loisible de déchirer à souhait au nom des intérêts -supérieurs- économiques des USA.

Dans le même ordre d'esprit, la progression spectaculaire de Facebook en Afrique, là où la Chine, par exemple, a créé une barrière à l'entrée et favorisé son propre réseau social, Wechat (qui cumule en outre les fonctionnalités de Whatsapp, Twitter et Tinder) interroge quant à la constitution d'un méga fichier regroupant les habitudes des africains.

Ceci donne en effet de Facto un avantage compétitif économique aux entreprises américaines. Plus grave, cette connaissance intime de nos modes de vie, de nos localisations géographiques, voire de nos opinions, donne un avantage politique à l'Amérique, et lui permet, si elle le souhaitait de contribuer à cristalliser des opinions, de les orienter, voire, dans des cas extrêmes, de les désinformer.

Une servitude volontaire ?

En clair, cette servitude volontaire, adoptée au nom de la facilité d'usage, créée une asymétrie d'information entre l'Afrique et l'Amérique, qui engendre un déséquilibre de  puissance substantiel, enfermant l'Afrique et les africains dans une dynamique dangereuse.

Dans ce contexte, les initiatives prises par les GAFA pour intensifier l'accès à Internet en Afrique à travers le développement de la fibre optique ou de relais Wifi Autonomes ne doivent pas simplement être appréhendées comme de « bonnes œuvres » qui viseraient uniquement à développer le continent. Sans céder à la tentation de la théorie du complot, la réduction de la fracture numérique en Afrique, portée et financée par les GAFA, vise d'abord à accroitre un avantage concurrentiel et à servir une stratégie de puissance.

Face à cela, nous, africains, semblons bien démunis, trop heureux de continuer à jouir de la facilité d'usage offerte par l'ensemble de ces plateformes technologiques, sans nous soucier de la responsabilité qui est la nôtre vis à vis des générations futures. Faute de prise de conscience collective et de mise en place d'une stratégie globale visant à réduire notre dépendance, nous pourrions un matin nous réveiller avec une sérieuse gueule de bois.