Ces billes qui vont décider de l'avenir de la Gambie

Par Ibrahima Bayo Jr.  |   |  639  mots
Les bureaux de vote ont ouvert ce jeudi matin en Gambie pour l'élection présidentielle, très attendue. Le président Yahya Jammeh, mis en difficulté pour la première fois depuis 22 ans au pouvoir, affronte un opposant unique désigné par sept partis d'opposition, Adama Barrow et un autre issu des rangs de son parti, Mamma Kandeh. Mais au-delà des enjeux, c'est au système par lequel le prochain président gambien sera désigné qu'il faut s'intéresser. En Gambie, on vote avec... des billes ! Un cas unique que La Tribune Afrique décortique pour vous.

A première vue le système peut prêter à sourire pour les habitués à la paperasse des bulletins de vote et autres enveloppe. Mais à y voir de plus près, le système de vote en Gambie est d'une ingéniosité inédite sur le continent et même dans le monde.

Ce jeudi 1er décembre 2016, quelques 885.000 électeurs gambiens se rendent aux urnes pour choisir leur président pour les 5 prochaines années. Mais le système par lequel ils vont choisir le prochain locataire du palais du « State House » est unique au monde.

Un système ingénieux 100% "made in Gambia"

A la différence des autres pays africains qui se sont inspirés du système de vote occidental, la Gambie utilise un système imaginé par des ingénieurs de la direction générale des travaux publics, depuis... 1965 ! Ici pas d'urnes de forme cubique. A la place, les ingénieurs ont imaginé des bidons cylindriques de 60 centimètres de haut avec tige percée d'un trou. Pas non plus d'enveloppe ou de bulletins de vote. Ils ont été remplacés par...des billes !

A l'entrée de chaque bureau de vote, l'électeur reçoit une bille avec laquelle il s'isole derrière un rideau. Dans cet isoloir, le votant se trouve face aux trois bidons cylindriques de couleur différente, une pour chaque candidat. Sur le bidon vert est apposé la photo du candidat-président Yahya Jammeh, le bidon jaune est flanqué de l'effigie de Mama Kandeh et sur le bidon bleu, celle d'Adama Barrow.

L'électeur introduit directement sa bille par le trou de la tige du bidon du candidat pour lequel il souhaite voter. Une cloche se déclenche pour indiquer que le votant a déjà accompli l'acte, ce qui exclut alors tout double vote. Petit point à souligner quand même : au fond de l'urne de la sciure de bois mélangé à du sable assourdit le bruit de l'arrivée de la bille au fond de l'urne.

Cette mesure est destinée à empêcher l'électeur de savoir si l'urne est vide ou non pour ensuite pousser le reste des électeurs à remplir un bidon plutôt qu'un autre. Certains observateurs y voient un moyen de frauder les élections par le bourrage d'urnes via le remplissage à l'avance d'un bidon avec d'autres billes.

Billes réutilisables

Mais l'ingéniosité du système se révèle encore plus perspicace au niveau du comptage des voix. Sur une grande tablette carré percée de 200 ou 500 petites crevasses, les billes sont disposées. Ce système permet un comptage des billes plus rapide dans un scrutin qui se déroule à un seul tour à la majorité simple. L'introduction de ce système de vote s'explique par un désir de vulgarisation du droit de vote. Dans un pays où le taux d'analphabétisme frise les 50%, le système de vote gambien garantit l'équité et l'accomplissement du vote à tous les citoyens qu'ils soient diplômés ou complètement illettrés.

Un électeur gambien face aux bidons qui servent d'urnes (2006)

Après l'élection, les billes sont recyclables et réutilisables ce qui permet de grosses économies à ce petit pays pauvre d'Afrique de l'ouest d'à peine 2 millions d'habitants, enclavé à l'intérieur du Sénégal. Les bidons cylindriques, fabriqués par des artisans locaux sur commande étatique, peuvent être réutilisés, il suffit de les repeindre pour les législatives de 2017 ou pour toute autre élection à venir, aux couleurs du candidat ou du parti.

Ironie du sort dans cette élection présidentielle de 2016, souligne un observateur à La Tribune Afrique, sous couvert d'anonymat, par la perpétuation de ce système de vote,« c'est un dictateur comme Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 22 ans, qui contribue à l'avancée de la démocratie dans son pays » !