La santé numérique au secours des femmes en Afrique

Par Laure Beyala*  |   |  1018  mots
(Crédits : DR.)
Laure-Beyala, franco-camerounaise, Young Leader 2021 de la French African Foundation et experte en santé numérique plaide pour accélérer le déploiement des applications de santé numérique en Afrique subsaharienne afin de moderniser les stratégies thérapeutiques liées à la prise en charge de la femme en général, et cette coopération doit se faire avec la France.

Toutes les deux minutes, une femme meurt pendant la grossesse ou l'accouchement, selon les dernières estimations publiées dans un rapport des organismes des Nations Unies. En 2020, environ 70 % de l'ensemble des décès maternels ont été enregistrés en Afrique subsaharienne.

Les principales causes sont la naissance prématurée imminente, les hémorragies graves, l'hypertension artérielle, les infections liées à la grossesse, les complications des avortements à risque et les affections sous-jacentes susceptibles d'être aggravées par la grossesse (comme le VIH/sida et le paludisme).

Lorsque des complications de la grossesse surviennent, une intervention rapide est cruciale mais avec les méthodes actuelles, comme l'échographie, la mesure des contractions utérines est imprécise et non fiable en raison du temps et des actifs utilisés.

Dans nos localités africaines, il n'est pas possible d'effectuer une surveillance objective des schémas du mouvement fœtal de manière continue afin d'identifier les schémas de mouvement qui signaleraient mieux le risque de mortinaissance. La solution réside dans la santé numérique.

La santé numérique pour une détection anticipée des pathologies mortelles maternelles et périnatales

Considérant la pénétration de la téléphonie mobile et la croissance de la pénétration d'internet en Afrique, il est possible d'améliorer la surveillance de la santé et le bien-être des mères et de leurs bébés avant, tout au long et après la grossesse.

La solution est de développer des applications mobiles de santé intégrées dans des plateformes numériques multiparamétriques et multi-capteurs à distance, pour une meilleure acquisition des données grâce aux dispositifs numériques ayant la capacité de distinguer et de suivre un large éventail de signes vitaux maternels et fœtaux indiquant l'état de santé de la mère et ses antécédents. Ceci permettra de fournir des alertes précoces aux professionnels de santé qui pourront donc intervenir en cas d'urgence vitale.

Optimiser la surveillance des cas de transmission du VIH entre la mère et l'enfant (TME)

Selon les chiffres rapportés par l'Unicef, environ 2,8 millions d'enfants et d'adolescents vivent avec le VIH, dont près de 88 % en Afrique subsaharienne. En 2020, 300 000 enfants et adolescents auraient été infectés, soit un enfant infecté par le VIH toutes les deux minutes. La même année, 120 000 enfants et adolescents sont décédés de causes liées au sida, soit un enfant toutes les cinq minutes.

La mise en œuvre des programmes de télémédecine a la capacité d'offrir aux systèmes de santé africains de nouvelles opportunités en apportant une réponse à la pénurie de soins palliatifs, notamment par l'usage des plateformes numériques de télémédecine santé et par l'usage des dispositifs connectés tels que les appareils de surveillance des patients, les outils d'assistance à domicile et les téléphones mobiles.

Ces dispositifs pourraient créer des stratégies thérapeutiques où des fonctionnalités d'intelligence artificielle permettront de développer de nouvelles méthodes innovantes et non invasives pour collecter des données vitales et les analyser en temps réels.

Ces nouvelles sont portées sur l'observance médicamenteuse, l'exercice physique, les techniques de télésurveillance à domicile, les stratégies psychologiques, le maintien de l'autonomie, l'engagement social.

Le partenariat franco-africain offre des solutions

Le déploiement des applications de santé numérique demeure limité par des défis tels qu'une mauvaise coordination des projets pilotes, un manque de sensibilisation et de connaissances sur la santé numérique et un manque d'infrastructures réseau permettant de garantir l'interopérabilité des nombreux systèmes d'informations sanitaires ainsi que l'intégrité et la disponibilité des données-patients.

Plusieurs initiatives franco-africaines sont mises en place pour répondre à ces défis : le Fonds mondial pour la Santé, dynamisé par le Président Macron à Lyon en 2019 a permis le lancement d'un fonds catalytique de 50 millions de dollars en 2022 pour accélérer la transformation de la santé numérique en Afrique.

La France est le deuxième donateur du Fonds et l'un des principaux bailleurs des systèmes de gestion de l'information pour la santé en Afrique avec des investissements s'élevant à 244 millions de dollars US. Ce domaine figure parmi les chantiers prioritaires du nouveau partenariat souhaité avec le continent africain par le président français.

Le Collectif Santé Numérique Afrique France lancé en 2021, rassemble une dizaine de pays d'Afrique de l'Ouest dont le Maroc, le Mali, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, la République Démocratique du Congo, le Gabon, le Bénin et la France. En collaboration avec Catel, ce collectif aura pour mission de promouvoir le partage d'expériences et la coopération internationale en santé numérique.

L'Agence Française de Développement finance également des programmes permettant la conception et l'adoption des solutions de santé numérique en Afrique comme le programme Cellal e Kisal de AMREF Health Africa dans la région de Kolda au sud du Sénégal afin de pallier la pénurie de gynécologues. Ce programme a assuré le développement d'une valise de télémédecine équipée d'un échographe afin de permettre les consultations prénatales au plus près des femmes enceintes.

La Fondation Pierre Fabre a lancé l'Observatoire de la E-Santé dans les pays du Sud (ODESS), avec pour objectifs de repérer, documenter, promouvoir et aider au développement des projets innovants utilisant les TIC. La Fondation Mérieux est aussi particulièrement active en matière de santé Mères/Enfants dans de nombreux pays africains.

A travers la santé numérique l'Afrique a ainsi la possibilité de sauver des vies et de jouer un rôle crucial dans le transfert international d'un socle de connaissances et de compétences innovantes en matière de santé des femmes.

(*) CEO of Platform E-santé Expertise - European Union ; experte en Santé numérique et Young Leader de la French African Foundation, promotion 2021.