L’incroyable histoire des Huguenots français et l’apartheid en Afrique du Sud (2/2)

Par Roger Koudé  |   |  884  mots
Professeur de droit international, Roger Koudé est titulaire de la chaire Unesco « Mémoire, Cultures et Interculturalité » de l'Université catholique de Lyon (UcLy). (Crédits : R.K.)
Contre la volonté d'une composante importante de son propre camp politique, Frederik de Klerk a été avec Nelson Mandela les deux principaux architectes de la fin de l'apartheid...

Frederik de Klerk : un homme de vision supérieure, d'origines françaises et khoïsan

Homme de grande vision et avocat de formation comme Nelson Mandela, Frederik de Klerk était pourtant un fidèle serviteur du système d'apartheid à l'intérieur duquel il a fait toute sa longue et riche carrière politique : huit fois ministre, président par intérim et finalement Chef de l'Etat ! En effet, Frederik de Klerk appartient à une grande famille qui a marqué de son empreinte la vie politique de l'Afrique du Sud, en particulier au cours du XXe Siècle. Son père Jan de Klerk fut plusieurs fois ministre entre 1954 et 1969 et président du Sénat de 1969 à 1976, son oncle Johannes G. Strijdom futchef du gouvernement de 1954 à 1958, etc.

Par contre, ce que l'on sait beaucoup moins, c'est que Frederik de Klerk tout comme ses illustres prédécesseurs et parents lointains que sont Paul Kruger et Jan Smuts (un avocat de formation également, comme Frederik de Klerk) sont tous des descendants d'une autochtone khoï du nom de Krotoa (Eva), une interprète pour les colons néerlandais installés dans la Province du Cap dès 1652. Cette Africaine appartenant au peuple autochtone khoï, les premiers habitants connus de la région (environ 44 000 av. J.-C.,avant l'expansion des Bantou vers 500 de notre ère), va se convertir au christianisme et se marier le 26 avril 1664 avec un chirurgien d'origine danoise du nom de Peter Havgard, avec qui elle aura trois enfants.

Selon le généalogiste Keith Meintjies, c'est de la lignée de ce couple mixte que sont issus plusieurs hommes d'Etat sud-africains, entre autres Paul Kruger, Jan Smuts et Frederik de Klerk, l'homme que la Providence semble avoir désigné pour mettre fin à l'une des pires idéologies politiques racistes du XXe Siècle ! Les origines khoïde Frederik de Klerk, révélées par le généalogiste Keith Meintjies puis confirmées par le principal concerné, ne peuvent pas ne pas faire penser également aux origines san de son partenaire politique Nelson Mandela. En effet, les Khoï et les San sont en réalité deux composantes d'un même peuple autochtone, à savoir les Khoïsan. Il est à noter que les Khoïsan se distinguent des populations bantou qui sont majoritaires dans toute la région d'Afrique australe.

Quand les temps furent accomplis...

Dans son ouvrage intitulé Il n'y a pas d'avenir sans pardon (Ed. Albin Michel, Paris, 2000), le Prix Nobel de la paix sud-africain Desmond Tutu rappelle que la fin de l'apartheid était arrivée juste au bon moment : « Tout était en place, tout ce qui avait précédé s'était parfaitement déroulé, et tout était arrivé en temps voulu. Un peu avant aurait été prématuré ; un peu après, trop tard ».

Cette fin heureuse ne serait peut-être pas advenue si Frederik de Klerk n'avait pas pris la direction du Parti national, le 2février1989, à l'issue du troisième tour d'un scrutin serré (69 voix contre 61 à Barend du Plessis, un autre descendant des Huguenots !). Cette fin de l'apartheid n'aurait certainement pas été la même si l'intransigeant Pieter W. Botha n'avait pas été contraint à la démission de la présidence de la République le 14 août 1989.Elle ne serait peut-être pas advenue non plus si le Parti national de Frederik de Klerk, qui s'était présenté à l'élection anticipée du 6 septembre 1989 avec un programme clairement réformiste, ne l'avait pas gagné sur le fil devant le parti conservateur afrikaner d'Andries Treurnicht, etc.

Cependant, et pour reprendre Desmond Tutu, les temps furent accomplis et le plan de la Providence devait se réaliser !Devenu président légitimement élu, Frederik de Klerk va prendre ses distances avec l'aile dure du régime d'apartheid et choisir ouvertement la voie de la négociation et du dialogue, notamment avec les principales formations politiques jusque-là interdites, dont l'African National Congress (Anc) de Nelson Mandela et Oliver R. Tambo.

Le chemin fut long, tortueux et parsemé d'embûches... Il n'empêche que Frederik de Klerk et Nelson Mandela ont toujours su trouver des moyens idoines pour surmonter chaque fois toutes ces difficultés, en particulier celles créées systématiquement par deux partis politiques farouchement opposés aux négociations d'alors : d'une part, l'Inkatha Freedom Party du Chief Mangosuthu G. Buthelezi qui aura compliqué la tâche des négociateurs jusqu'à dix jours à peine des premières élections multiraciales de l'histoire de ce pays et, d'autre part, l'Afrikaner Weerstandsbewegingd'Eugène Terre'Blanche et ses militants incontrôlables.

Il convient de relever qu'au-delà de l'histoire de l'émergence et de la fin de l'apartheid, des liens de famille ou lignage, il y a manifestement un lien mystérieux entre la France et la Nation arc-en-ciel. En effet, c'est en France que le pays de Nelson Mandela et de Frederick de Klerk va remporter la deuxième coupe du monde de rugby de son histoire, après celle à domicile de 1995. Tout un symbole et c'était le 20octobre2007 au Stade de France de Saint-Denis ! Sur cette terre française d'où sont partis une partie de leurs ancêtres, les Springboks ont remporté avec une rare élégance la Coupe du monde de rugby de 2007, en restant invaincus tout le long de la compétition.