Elisabeth Moreno : « La discrimination face à l’emploi est un enjeu capital »

Par Marie-France Réveillard  |   |  1306  mots
(Crédits : DR.)
La chef d'entreprise à succès devenue ministre en charge de l'Egalité hommes-femmes, de la diversité et de l'égalité des chances en juillet 2020 revient, pour La Tribune Afrique, sur les initiatives conduites par le gouvernement Castex pour réduire les discriminations en France, à l'heure où le débat public autour de l'identité s'enflamme, sur fond de crise migratoire et d'échéance présidentielle...

La Tribune Afrique - En février dernier, un sondage d'OpinionWay révélait le « malaise » de la diaspora africaine. Quels enseignements en tirez-vous ?

Elisabeth Moreno - Le sondage que vous évoquez a révélé que 73 % des personnes interrogées considèrent que l'intégration des personnes d'origines étrangères dans la société française fonctionne mal. Les trois quarts estiment que l'égalité des chances n'est pas respectée et c'est la question des inégalités qui arrive en tête des enjeux les plus importants, devant l'éducation, l'emploi et le logement. Ce constat rejoint celui du Président de la République qui affirmait que « l'égalité des chances n'est pas encore effective aujourd'hui dans notre République ». Pourtant, ce sujet représente le fil rouge de ce quinquennat et de nombreuses mesures ont été prises pour réduire les inégalités : scolarité obligatoire dès 3 ans, dédoublement des classes de CP-CE1 et de grande section de maternelle engagées par Jean-Michel Blanquer, mise en place d'internats et de campus d'excellence, dispositif des « cordées de la réussite », mais aussi l'initiative « Agir contre l'illettrisme » portée par Brigitte Klinkert ou le « Plan d'Investissement dans les compétences » doté de 15 milliards d'euros pour former les personnes peu ou pas qualifiées.

Suite aux résultats de ce sondage, vous lanciez une grande consultation pour lutter contre les discriminations. Quels en sont les premiers résultats ?

Le 8 avril, j'ai lancé cette consultation qui s'est achevée le 31 mai et qui a été un véritable succès. Ouverte à tous les citoyens ainsi qu'aux associations, aux entreprises et aux collectivités locales, elle visait à donner la parole à nos concitoyens afin qu'ils puissent évaluer les dispositifs existants, mais aussi proposer des solutions concrètes pour éradiquer les discriminations. C'est un exercice inédit et il n'y avait aucun sujet tabou. Toutes les situations de discrimination ont été mises sur la table, que ce soit dans l'emploi, la sécurité, l'accès aux soins, les transports, le logement, etc. Avec 135 000 visiteurs, je me réjouis que cette consultation ait rencontré un tel engouement ! Nous travaillons actuellement sur les propositions qui pourront être concrétisées prochainement et qui viendront compléter le travail mené par le Défenseur des droits à travers la plateforme de lutte contre les discriminations que le Gouvernement a lancée le 12 février 2021.

Dans quelle mesure la fonction publique intègre-t-elle ses talents issus de la diversité ?

Il est important que notre fonction publique soit la plus inclusive possible et redevienne un vecteur essentiel de notre ascenseur social républicain. C'est dans cette optique qu'Amélie de Montchalin a lancé le Plan « Talents du service public ». Notre jeunesse n'a pas été oubliée dans ce combat et c'est pourquoi Elisabeth Borne a déployé les programmes « 1 jeune, 1 solution » ou « 1 jeune, 1 mentor ». Je pense aussi à l'agenda rural de Joël Giraud pour n'oublier aucun territoire ou au plan pauvreté que nous avons lancé en 2018. Je pense enfin aux 12 milliards d'euros que nous avons investis pour rénover les 1 514 quartiers prioritaires de la ville afin d'améliorer la vie quotidienne de leurs habitants.

Seriez-vous prête à défendre des opérations d'affirmative-action comme en Afrique du Sud ou aux Etats-Unis, pour soutenir les diasporas africaines dans l'Hexagone ?

Ce n'est pas la tradition française. Nous sommes attachés à notre vision universaliste qui considère chaque citoyen par-delà les couleurs de peau ou les origines ethniques. C'est un principe intangible dont le creuset est le principe d'égalité si cher à notre histoire et à nos valeurs républicaines et auquel je suis personnellement très attachée.

La France est par ailleurs l'un des pays au monde qui disposent de l'un des arsenaux juridiques les plus complets pour lutter contre les discriminations. L'enjeu réside aujourd'hui davantage dans l'application rigoureuse de cet arsenal. Il ne peut pas y avoir la moindre impunité lorsqu'il s'agit de la dignité humaine. Il en va de notre cohésion nationale. L'Etat doit impérativement accompagner celles et ceux qui en ont le plus besoin. Cet enjeu prend une dimension redoublée à un moment où le débat public s'électrise.

Que recouvre précisément l'Index sur la diversité ?

La discrimination face à l'emploi est un enjeu capital. C'est pourquoi, j'ai rencontré de nombreuses entreprises conscientes que l'enjeu de la promotion de la diversité a d'autres finalités que de simplement cocher une case dans un rapport RSE à la fin de l'année, mais qui, après avoir dépassé le stade du « pourquoi ? », étaient démunies face au « comment ? ». Cela vaut aussi pour nos administrations et pour les organisations qui sont en charge des services publics L'Index de la diversité que je souhaite mettre en place, vient répondre à cette question en sondant le niveau d'inclusion et de diversité d'une organisation publique ou privée, via une enquête collaborateurs. Cet outil aidera les dirigeants et les DRH à engager des mesures correctives pour que leur organisation soit un meilleur reflet de notre société. Cet Index se fera à droit constant et sera basé sur le volontariat à la fois des entreprises et des organisations publiques ainsi que des salariés. Par ailleurs, il sera sécurisé juridiquement en respectant les conditions d'anonymat et de confidentialité posées par la CNIL. L'objectif final est de donner à chacun la possibilité de se réaliser professionnellement indépendamment de ses origines.

Comment endiguer le sentiment anti-français en Afrique francophone en particulier et renforcer le « soft power » français sur le continent ?

J'ai vécu au Maroc et en Afrique du Sud ; j'ai beaucoup voyagé sur le continent et je peux vous assurer que ce sentiment anti-français n'existe pas sur l'ensemble du continent et que la France reste attractive auprès des Africains, comme en témoigne notamment le nombre d'étudiants, d'entrepreneurs ou de touristes africains qui se rendent en France chaque année. Le succès, non démenti à l'épreuve du temps, de nos collèges et lycées français en Afrique en est une autre illustration [...] Le changement de paradigme que le président de la République appelle de ses vœux, ce sont aussi des actes. Je pense par exemple à l'important travail de mémoire qu'il a engagé sur le Rwanda et l'Algérie ainsi qu'à la restitution des biens culturels africains engagés sous ce quinquennat au Bénin et au Sénégal. Dans le contexte actuel de pandémie, Emmanuel Macron défend également l'accès équitable de l'Afrique aux vaccins et s'est aussi investi sur la question des dettes des pays africains. Enfin, c'est bien la première fois qu'un chef d'Etat décide de réunir plus de 3 000 Africains de la société civile à Montpellier le 8 octobre pour avoir des échanges sans filtre et sans tabou. Tout cela participe, je le crois, à écrire une page nouvelle de nos relations...

Que vous a appris cette première année au gouvernement ?

Je résumerais cette première année au gouvernement en trois mots : « engagement », « humilité » et « espoir ». « Engagement », car je peux témoigner du fait que l'ensemble des membres du gouvernement est déterminé à transformer notre société, à faire bouger les lignes, et ce dans un triple contexte de crise sanitaire, économique et sociale qui s'est abattu sur le monde sans prévenir. « Humilité », car la tâche est immense et qu'il nous faut agir avec autant de volontarisme que de modestie. J'ajouterai « espoir », parce que l'état de notre monde appelle à bâtir une société plus juste et plus égalitaire. Cette opportunité nous est offerte aujourd'hui. Comme l'écrivit Frantz Fanon : « Chaque génération doit affronter sa mission : la remplir ou la trahir ». A nous de la remplir !

Propos recueillis par Marie-France Réveillard