Stéphanie Rivoal : « La smart city est devenue un buzzword qui ne représente pas la ville durable »

Par Marie-France Réveillard  |   |  1752  mots
Ambassadrice de France en Ouganda de 2016 à 2019, Stéphanie Rivoal a également été analyste financière de 1993 à 2003 chez Goldman Sachs et JPMorgan Chase, à Londres. (Crédits : La Tribune / Mikaël Lozano)
Stéphanie Rivoal, la diplomate au parcours iconoclaste, nommée secrétaire générale du Sommet Afrique-France 2020 qui se tiendra du 4 au 6 juin prochains à Bordeaux, revient pour La Tribune Afrique, sur les grands moments qui ponctueront cet événement construit autour du thème de la ville durable.

La Tribune Afrique - Comment s'organise le Sommet des chefs d'Etat Afrique-France 2020 ?

Stéphane Rivoal - Le point de départ a été le discours de Ouagadougou du président Emmanuel Macron, qui a donné une tonalité et une vision sur la relation entre la France et le continent, reposant sur un partenariat renouvelé et sur un changement de regards. Le Sommet sera la déclinaison économique de cette volonté présidentielle.

Depuis le discours de 2017, nous avons travaillé à notre positionnement dans cet univers très concurrentiel, car les Japonais ont organisé le TICAD, les Russes viennent d'organiser leur Sommet à Sotchi et les Chinois en organisent un autre, également très couru. Dès lors, comment faire pour que ce 28e Sommet sorte du lot ? Comment mobiliser tous les acteurs économiques ? Pour raconter quelle histoire ?

Depuis le discours de Ouagadougou, la place accordée au volet militaire relatif au Sahel menace-t-elle un renouvellement en profondeur de la relation entre la France et l'Afrique?

L'aspect militaire ne peut être déployé sans une parfaite entente et une cohérence avec le Chef de l'Etat et le ministère de la Défense du pays concerné. On ne vient qu'à leur demande. Du reste, si nous n'étions pas intervenus au Mali : que ce serait-il passé ? Ces interventions sont plus ou moins réussies et bien sûr que l'on peut critiquer ce qu'il s'est passé en Libye.

Il existe des marqueurs forts entre la France et le continent que ce sont effectivement, les questions politiques, militaires et le développement. Lorsque je rencontre des journalistes français ou ouest-africains, ils posent systématiquement des questions sur la politique de l'Afrique. Concernant le Sommet de juin 2020, il arrive souvent que l'on m'interroge sur la politique ivoirienne, dont les élections présidentielles se tiendront quelques mois plus tard... Je leur demande alors : quand vous allez au Sommet du Ticad au Japon, au Sommet Chine-Afrique ou encore à Sotchi, est-ce que vous demandez aux autorités locales leur avis sur les élections ivoiriennes ? La réponse est non. Pourquoi nous poser ce type de questions ?

On aura toujours une relation politique avec l'Afrique, mais on veut aujourd'hui avancer sur une nouvelle dynamique pour établir un nouveau partenariat équilibré.

Cet équilibre n'est-il pas ébranlé par la hausse des tarifs dans l'enseignement supérieur pour les étudiants non européens qui risque fort d'écarter un certain nombre de talents africains ?

L'équilibre signifie que les étudiants africains paieront davantage pour suivre leurs études en France. Un équilibre doit aller dans les deux sens et plus uniquement dans le sens d'une relation qui repose sur l'aide au développement. Il faut peut-être moins d'aide au développement et plus de business, plus de soutien en prêts, en prise de participation en capital, d'où les 2.5MD€ que la France investit dans les PME africaines. Ce type de mesures permettra peut-être d'atteindre un partenariat d'égal à égal. C'est peut-être aussi davantage en adéquation avec les attentes des Africains et de la jeunesse en particulier. J'entends souvent en Afrique que les populations ne veulent plus seulement être les récipiendaires de l'aide internationale, elles attendent autre chose.

Il existe des conseillers dédiés aux questions japonaises, russes, chinoises par exemple, mais l'Afrique semble toujours faire l'objet d'un traitement différencié. Nombre d'Africains s'interrogent sur les rencontres organisées entre l'Afrique qui représente 54 pays et la France, qui est devenue une « puissance moyenne »...

Je suis d'accord. Nous sommes un petit pays et c'est effectivement audacieux d'organiser un Sommet avec 54 pays africains. Néanmoins, nous avons l'Histoire de notre côté, car les tout premiers Sommets avec l'Afrique datent des années 1970 et ont été élaborés à la demande des pays africains francophones eux-mêmes. Puis, la tradition s'est installée. Ensuite, d'autres pays ont fait de même, que ce soit l'Allemagne, l'Inde, la Russie ou la Turquie... Nous avons cette opportunité d'organiser ce Sommet et nous continuerons tant que les Africains y participeront. Le jour où les autorités locales et les sociétés civiles africaines considéreront que cela n'est plus pertinent, on arrêtera.

Cela étant, nous voulons renouveler ce Sommet où l'économie sera au cœur de cette rencontre.

Précisément, pourquoi avoir choisi le thème des villes durables comme fil rouge ?

Le sujet des villes et notamment des villes durables est au cœur de toutes les conversations que j'ai pu avoir avec les autorités locales sur le continent. L'urbanisation est là, massive, parfois désordonnée et génère toute sorte de problèmes, notamment d'accès aux services essentiels, de chômage, de délinquance et d'insécurité. Le sujet est donc pertinent pour les Africains.

De quelle manière la France accompagne-t-elle le développement de cette urbanisation sur le continent ?

C'est là où nous souhaitons que le Sommet reflète les solutions françaises et africaines. Nous avons réfléchi à 7 pôles. Il existe plusieurs fleurons de l'économie française sur le continent qui sont des acteurs de l'eau, de l'énergie ou des déchets par exemple, d'autres sont des experts en mobilité comme Alstom ou la SNCF qui est présente à travers pratiquement toute l'Afrique grâce à ses filiales. On a de vraies solutions à proposer comme des bus à gaz fabriqués en France et vendus aux Ivoiriens. Nous aurons aussi un volet pour « nourrir la ville » qui concerne le développement agricole, l'agribusiness et la consommation durable avec les grands champions de la consommation et de la distribution présents en Afrique. Nous avons également un pôle « embellir et construire » avec de nombreux architectes. Le digital sera de tous les sujets avec les French Tech de Cape Town et de Côte d'Ivoire. Nous avons beaucoup de choses à apporter, mais les Africains ont également beaucoup de choses à nous apporter. Et, selon moi, les smart cities les plus évoluées naîtront en Afrique.

Les smart cities sont des « vitrines » qui ne peuvent pourtant pas répondre aux grands défis des villes africaines de demain. N'y a-t-il pas une surenchère d'information au niveau du « smart » ?

Je suis parfaitement d'accord. La smart city est devenue un « buzzword » qui ne représente pas la ville durable. Le « smart » nécessite beaucoup de technologies très énergivores et des terres rares non recyclables. Qui dit « smart » ne dit donc pas nécessairement durable. Nous sommes davantage sur le « durable » même si le « smart » peut être une solution pour rendre plus durable. Par exemple, le compteur intelligent sur l'eau ou l'électricité permet d'éviter la déperdition d'eau et améliore la gestion de l'électricité. Au niveau des transports verts, lorsqu'ils sont intelligents, ils permettent de réduire les temps de circulation et d'augmenter la productivité, donc le digital peut créer de la valeur et réduire l'empreinte écologique en net. En revanche, la connectivité partout, ce n'est pas du tout sûr que cela soit durable. Je favorise les solutions de « bon sens » avec l'innovation et le digital quand ça rend les choses plus durables et plus efficaces.

Quels seront les temps forts et les personnalités attendues lors du Sommet Afrique-France 2020 ?

Les 4, 5 et 6 juin 2020, un salon professionnel accueillera 500 entreprises françaises et africaines uniquement. Nous organisons d'ailleurs un road show en Afrique pour aller à la rencontre de ces sociétés afin de les faire mieux connaître. Le Sommet ne sera pas un showroom pour les entreprises françaises.

Les Chefs d'Etat arriveront le 4 juin dans la soirée où nous organiserons certainement un dîner de Gala et une réception. Le lendemain, ils se rendront avec leurs ministres sur la Cité des Solutions. Nous espérons recevoir au moins une quarantaine de chefs d'État sur les 54 que compte le continent.

Nous organiserons un match de football entre l'équipe de France et une équipe africaine qui n'est pas encore choisie, pour célébrer les valeurs du sport et l'excellence des talents, à une semaine du Championnat d'Europe de football. On parlera aussi tennis et judo, car le sport demeure un vecteur fort d'intégration sociale qui doit être développé dans la ville or, lorsqu'on n'a pas les infrastructures nécessaires, on ne parvient pas à développer les talents. Il y a beaucoup de talents en Afrique et pas assez d'infrastructures, c'est pour cela que beaucoup viennent s'entraîner en Europe. Plusieurs des meilleurs joueurs franco-africains pratiquent leur sport en Europe.

Le samedi matin se déroulera la plénière qui sera suivie d'un dîner à la mairie de Bordeaux et nous souhaitons terminer cet événement par un concert, qui est aussi une passion partagée par tous. On a cherché une tonalité urbaine, avec des chanteurs africains et français de hip-hop, de rap, d'afro-trap et de pop. On veut un événement très populaire. Ce sera peut-être la repmière fois qu'en prime-time, nous aurons un concert de chanteurs africains avec une telle visibilité. Tous les grands noms seront là !

Dernière question subsidiaire : comment passe-t-on de la banque à l'humanitaire, pour finir dans la diplomatie ?

C'est un parcours qui sera de plus en plus habituel. Par la force des choses, les jeunes changeront d'univers avec agilité. L'emploi à vie c'est fini déjà depuis les années 1950 ! J'ai poussé l'exercice un peu loin, car j'ai fait 10 ans de banque d'affaires, 10 ans d'humanitaire et je suis aujourd'hui dans la diplomatie. Je veux m'amuser et être utile dans la vie. Dans la banque d'affaires, j'étais moins utile au monde qu'à moi-même honnêtement et donc j'ai évolué. J'ai rejoint Action contre la faim (ACF) où je suis restée 11 ans puis, l'humanitaire et la diplomatie étant finalement assez proches, je me suis retrouvée dans la diplomatie à la fin de mon mandat de présidente d'ACF. La diplomatie, une fois n'étant pas coutume, a ouvert ses portes à un profil comme le mien, c'est assez rare pour être noté. Ma connaissance du monde économique et de la société civile m'a permis de devenir ambassadeur de France en Ouganda. La frontière entre la société civile et la diplomatie est de plus en plus mince, conformément au souhait du président Macron qui l'a souligné lors de son discours aux ambassadeurs, appelant les diplomates à sortir de leur bureau. Après juin 2020, on verra où je serai...

Propos recueillis par Marie-France Réveillard