Emmanuel Esmel Essis : «La Côte d’Ivoire vise le top 50 des meilleures économies et le top 10 des réformateurs mondiaux en 2020»

Par Maimouna Dia  |   |  1927  mots
Emmanuel Esmel Essis, secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé de la promotion de l'investissement privé en Côte d’Ivoire, et directeur général du Centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire (CEPICI). (Crédits : cepici)
La Côte d’Ivoire est l’économie la plus attractive pour les investissements directs étrangers (IDE), selon l'«Africa investment index» (AII) de 2018. Les bons points du pays, classé 5e sur les 54 pays africains, sont le résultat des réformes menées depuis 2013 pour l’amélioration du climat des affaires, dans le cadre d’une stratégie globale pilotée par le Centre de promotion des investissements (CEPICI). Dans cette interview, Emmanuel Esmel Essis, DG du CEPICI et secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé de la promotion de l'investissement privé en Côte d’Ivoire, détaille la stratégie ivoirienne et le rôle joué par le CEPICI.

La Tribune Afrique : Depuis sa restructuration en 2012, le CEPICI a contribué à l'engrangement d'importants IDE pour la Côte d'Ivoire qui, en 2018, a été classée dans le top 10 des destinations des IDE en Afrique. Quelle a été la stratégie adoptée par le CEPICI pour parvenir à ces résultats ?

Emmanuel Esmel Essis : La Côte d'Ivoire, optant pour le référentiel l'indice Doing Business de la Banque mondiale, s'est engagée depuis 2013 à améliorer significativement son climat des affaires, en vue d'accroître la compétitive de son économie et attirer les investissements nécessaires à une croissance durable et à son développement. Le pays s'est fixé comme objectifs de se hisser dans le top 50 des meilleures économies et figurer au top 10 des pays réformateurs dans le monde à l'horizon 2020. Globalement, la stratégie adoptée par le pays en matière d'amélioration du climat des affaires se résume en 2 axes à savoir la mise en œuvre de réformes à impact rapide à court terme 2013 à 2014 -quick wins- et le démarrage de projets structurels à long terme à partir de 2015 -long wins.

Pour améliorer le climat des affaires, nous avons mis l'accent sur la sécurisation des investissements, le renforcement de la rentabilisation des affaires avec l'octroi d'avantages fiscaux, la facilitation et la simplification des procédures ainsi que l'instauration d'un cadre institutionnel favorable. Ces efforts nous ont permis de passer de la 177e place en 2013 au 139e rang mondial au classement DB 2018, avec à ce jour, la première place des espaces UEMOA et OHADA, la 3e place de la CEDEAO et la 17e sur les 49 économies de l'Afrique subsaharienne. Dans le Doing Business 2019, la Côte d'Ivoire a encore amélioré son rang en passant de 139e à 122e sur les 190 économies concernées. La poursuite de ces efforts s'est traduite par l'adoption d'un nouvel Agenda de réformes 2018-2020 issu de l'atelier d'identification des réformes et de revue de l'Agenda des reformes 2017-2019. Elle comporte 54 mesures de réformes à prédominance informatique confortant ainsi l'option prise depuis 2015 d'aller à la dématérialisation des actes et services administratifs.

Quels sont les secteurs d'activités les plus attractifs pour les IDE en Côte d'Ivoire ?

Dans notre vision de faire de la Côte d'Ivoire un pays émergent à l'horizon 2020, cet objectif s'est traduit par l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan national de développement (PND) sur la période 2016-2020. Selon la BCEAO, les IDE entrants  s'inscrivent dans les secteurs attractifs de l'industrie manufacturière à 29% y compris l'agro-industrie et l'industrie chimique, des industries extractives à 24%, de l'intermédiation financière à 15%, des Télécommunications à 15%, de la production, distribution d'électricité à 6% et de la construction à 3%. La diversité des secteurs porteurs reflète les multiples opportunités d'investissement et de niches de croissance identifiées dans le PND 2016-2020.

D'où viennent ces principaux investisseurs en Côte d'Ivoire ?

Notre politique d'ouverture générale nous permet d'enregistrer une diversité de partenaires internationaux. Les principaux pourvoyeurs des investissements étrangers entrants en Côte d'Ivoire sont l'Europe à 47,5% et l'Afrique à 33,2%. Ces continents détiennent plus de 80% du montant global des investissements étrangers. La France est le premier pays d'Europe avec contribution de 49.9% sur leur continent. Elle est suivie par la Belgique à 21% et les Pays-Bas à 17%.

Par ailleurs, en Afrique, les principaux pays investisseurs en Côte d'Ivoire viennent de la zone UEMOA soit 6% du montant des investissements globaux enregistrés sur la période 2012-2015. Elle est marquée par une forte présence des pays tels que le Togo à 74% et le Burkina Faso à 25%. Les flux des investissements directs étrangers en provenance des pays de l'UEMOA ont connu une progression régulière depuis 2012. Les investissements provenant des autres pays africains, sur la période 2012-2015, se répartissent globalement de la manière suivante : l'Afrique du Sud avec 30%, le Nigeria avec 20%, la Libye avec 19% et le Maroc avec 15%. Au sein de l'Asie, les principaux pays bénéficiaires des flux des investissements directs étrangers entrants en Côte d'Ivoire sont l'Inde avec 83% et Singapour avec 20% qui totalisent plus de 80% des investissements du Continent.

Quels sont le poids et la place accordés aux IDE en provenance de la diaspora ivoirienne?

Les chiffres communiqués dans la réponse précédente intègrent les IDE en provenance de la diaspora ivoirienne. Par ailleurs, le gouvernement accordant du prix à cette thématique a créé un portefeuille ministériel en charge des Ivoiriens de l'extérieur, ainsi qu'une direction des Ivoiriens de l'étranger au ministère des Affaires étrangères. Le CEPICI tient compte de cette réalité en attribuant à une de ses ressources humaines la gestion de cette cible. Deux forums dédiés à la diaspora sont initiés respectivement par le CEPICI et le ministère des Affaires étrangères pour étudier les apports de la diaspora dans la croissance économique et les accompagnements du gouvernement à leur endroit.

Quelles sont les réformes majeures initiées par la Côte d'Ivoire pour améliorer le climat des affaires ?

La Côte d'Ivoire a initié des réformes majeures. Dans la création d'entreprises, nous avons la création du Guichet unique de création d'entreprises et la réduction du délai de création d'une entreprise à 24h, la réduction progressive du coût de création d'entreprises jusqu'à la défiscalisation totale pour les SARL de 10 millions maximum de capital -un coût passé de 661 613 à 15 000 Fcfa- la publication de l'avis de constitution d'entreprise en ligne sur le site Internet du CEPICI. Nous avons également instauré la levée de l'exigence du capital minimum pour les sociétés de type SARL, l'adoption des procédés électroniques pour la réalisation des formalités de création d'entreprises et l'introduction des actes sous seing privé dans le processus de création d'entreprises de type SARL, SNC, SCS. Des efforts majeurs ont également été consentis dans l'octroi du permis de construire. Cela s'est traduit par le renforcement du cadre réglementaire de la délivrance du permis de construire, la mise en place du Guichet unique du permis de construire, le regroupement sur un même site de tous les acteurs impliqués dans la délivrance du permis de construire : CIE, SODECI, DAM, DAD, DDU, DU, ONPC, DAA, mairies, INHP, cadastre, Conservation foncière, architecte,... De ses initiatives s'ajoutent la réception de la demande au front office et traitement par le back office et l'accroissement de la transparence sur la délivrance du permis de construire.

La Côte d'Ivoire a amélioré la procédure de transfert de propriété. Cela à travers la mise en ligne du Livre foncier avec la possibilité de consultation par les notaires de l'état foncier à distance, l'Institution de la formalité fusionnée d'enregistrement et de publication de l'acte de vente et réduction des délais de transfert de propriété, la réduction progressive du taux des droits d'enregistrement en matière immobilière de 10% à 4%. Pour féliciter l'obtention de crédit, nous avons mis en place le Bureau d'Information sur le Crédit - zone UEMOA. Dans le commerce transfrontalier, nous avons mis en place un Guichet unique du Commerce extérieur, une plateforme web de réalisation des formalités du commerce extérieur.

Qu'en est-il de la sécurisation des investissements ?

La Côte d'Ivoire a amélioré son système de paiement des impôts et taxes. Ce qui passe par la facilitation de la déclaration fiscale, l'Institution du formulaire unique de déclaration et de paiement des impôts, la réduction du fardeau administratif lié au contrôle fiscal, la dématérialisation de la déclaration et du paiement des impôts et taxes. Il y a également une meilleure exécution des contrats avec la mise en place du Tribunal de commerce d'Abidjan informatisé avec l'instauration de juges consulaires (professionnels des affaires), la compétence du Tribunal sur l'exécution de ses décisions, mais aussi la réduction significative des délais de traitement et de jugement, passés de 210 jours à 56 jours, et la publication en ligne des décisions de justice. A jouter aussi une mise en place de procédures spéciales pour le règlement des petits litiges -3 500 000 Fcfa, la disponibilité des modes alternatifs de règlement des litiges et l'institution du règlement amiable obligatoire avant toute saisine des juridictions.

Pour la protection des investisseurs minoritaires, nous avons procédé à l'amélioration de la protection de l'investisseur minoritaire par la loi du 30 décembre 2015 relative à la protection de la société et des actionnaires minoritaires dans la société anonyme. Des mesures ont également été prises pour le règlement de l'insolvabilité, la réforme OHADA, l'innovation dans les procédures de redressement judiciaire, l'apport en financement et son privilège en cas de liquidation, mais aussi en faveur des créanciers, une voie de recours en cas de contestation de leurs créances par la juridiction compétente.

Quels sont les défis que le CEPICI doit maintenant relever pour rendre la destination Côte d'Ivoire encore plus attractive ?

Les défis que le CEPICI doit relever pour rendre la destination Côte d'Ivoire encore plus attractive concernent surtout la mise à disposition de sites industriels et ruraux aux hommes d'affaires. Il est aussi question d'améliorer le cadre général de l'investissement en poursuivant l'implémentation des projets de réformes en cours.

Certains analystes estiment que les agences de promotion des investissements directs étrangers en Afrique devraient agir dans un cadre plus concerté pour mieux capter les IDE. Une meilleure coopération/coordination est-elle possible ?Ou alors la concurrence entre pays pour attirer les IDE la rendrait-elle impossible ?

Sur ce point, le Réseau international des agences francophones de promotion des investissements (RIAFPI) est une initiative du CEPICI ayant pour objet de créer un cadre de concertation, d'échanges d'informations et d'expertise en vue de renforcer les capacités de ses membres. D'une institution à vocation originellement culturelle, la Francophonie est aujourd'hui rattrapée par les enjeux de la mondialisation des affaires. L'espace économique francophone devra sérieusement envisager dès à présent de capitaliser ses acquis, en renforçant ses initiatives d'intégration économique dans une logique de durabilité. C'est ainsi que des échanges d'expériences ont lieu en vue d'accroître des capacités d'attraction des IDE en faveur d'une plus forte implication des pays francophones dans l'économie. Le Centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire (CEPICI) qui est le Guichet unique de l'investissement privé en Côte d'Ivoire, contribue significativement au rayonnement de la notoriété internationale de la Côte d'Ivoire à travers son adhésion aussi bien au RIAFPI dont il assure la présidence, ainsi qu'à l'Association mondiale des agences de promotion des investissements (World Association of Investment Promotion Agencies, NDLR). Ces mandats permettent de développer un réseautage et un ensemble d'outils d'attraction des IDE pour les pays membres.

Quelles sont les principales ambitions du CEPICI dans les prochaines années?

Parmi les projets phares dans les prochaines années, il y a l'opérationnalisation du suivi des projets afin de s'inscrire dans une dynamique d'accompagnement et de plaidoirie au bénéfice des investisseurs, le lancement du portail unique de création d'entreprises, la décentralisation des services du CEPICI permettant d'accroître les IDE, l'adoption d'un identifiant unique qui accompagne l'entreprise durant toute sa vie et la dématérialisation des services du Guichet des formalités d'entreprises.