Du Bitcoin en Afrique Centrale ou plutôt en Centrafrique, a-t-on mis la « charrue avant les bœufs » ?

Par Théophane Mokoko*  |   |  785  mots
(Crédits : Reuters)
L’adoption du Bitcoin comme monnaie nationale en République centrafricaine la semaine dernière soulève de nombreuses interrogations en matière de politique monétaire et économique, non seulement au niveau national, mais aussi sous-régional.

C'est officiel. La Centrafrique reconnaît l'utilisation des cryptomonnaies. De façon générale l'économie classique reconnaît essentiellement quatre types de monnaies à savoir la monnaie métallique, la monnaie fiduciaire, la monnaie scripturale et la monnaie électronique. Ces différentes formes sont inéluctablement l'expression d'une révolution et évolution monétaire latente depuis des siècles. La dématérialisation des transactions financières s'impose davantage à nos sociétés ; l'économie se numérise.

Le débat sur la politique monétaire est plus que millénaire. Il met en contradiction différentes écoles de pensées. David Ricardo, éminent économiste de son époque, a certainement traversé les âges grâce à des réflexions que l'on pourrait qualifier de prémonitoires à quelques exceptions près. Il sépare théorie monétaire et théorie bancaire, estimant d'ailleurs que les banques sont « inutiles ». Cela suppose qu'il est possible, d'après son raisonnement, d'emprunter ailleurs que dans les banques classiques tout en présentant de bonnes garanties¹.

Les crises économiques et financières de ces deux dernières décennies ont mis à rude épreuve le capital-confiance entre les acteurs financiers. Celle de 2008, a contribué au développement soutenu des outils de paiement dématérialisés. Ces technologies prônent une relation plus directe entre deux ou plusieurs acteurs. Les cryptomonnaies ont alors fait leur apparition dans le jargon financier. Leur évolution dopée par une crise de confiance grandissante entre la banque et la clientèle a permis aux millennials, principaux acteurs de l'économie mondiale, d'appartenir à un système qui prône la désintermédiation sur la base d'une confiance mutuelle entre les parties, assise sur la fiabilité de l'instrument de paiement. Cependant, cet écosystème est le résultat d'un processus de maturité technologique et financière du marché dans lequel il s'inscrit. En effet, l'Afrique présente encore des défis en termes d'accès à l'eau potable, d'énergie, de production animale et végétale, et de santé. Les défis technologiques mondiaux intéressent notre continent, mais suggèrent comme préalable une réduction du niveau des besoins primaires dûment cités.

Poser le débat au niveau communautaire

La République Centrafricaine a assumé sa prise de position, à savoir celle qui consiste à reconnaître l'utilisation des cryptomonnaies. Si cette position est jugée courageuse, elle laisse néanmoins perplexe quant au fond et à la forme. En effet, c'est un pays encore jugé peu stable sur les plans politique et sécuritaire. À cela s'ajoute un niveau de développement des plus faibles en zone CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale). Une circulaire de la COBAC (Commission bancaire de l'Afrique centrale), qui est le régulateur, datant de 2020 ne reconnaît pas l'utilisation des cryptomonnaies en Afrique Centrale, et mets en garde contre les différents organes de placement qui promettent des rendements à 2 chiffres. En réalité, cette posture de garde décrit un aveu : nos institutions n'ont pas encore acquis l'expérience et le savoir nécessaire au sujet de ce nouvel instrument potentiel. Il se pose un réel problème d'éducation financière des populations également, ainsi que le renouvellement des institutions financières sous-régionales.

Au niveau Macroéconomique, l'Afrique centrale se relève à peine d'une «  poly crise » entre 2015 et 2021. La crise des commodities, couplée à la crise de la COVID-19 a laissé des séquelles encore très palpable. À cela s'ajoute la crise politique en Ukraine qui cause une flambée des prix de certains produits de consommation.. Enfin la question de « l'interopérabilité monétaire » va se poser avec davantage d'acuité.

Le débat étant peu mûr d'avance pousse plusieurs observateurs avertis, à interroger la problématique du Francs CFA face au Bitcoin. Peut-on à ce moment allier monnaie classique et monnaie virtuelle ? Quels outils la République Centrafricaine entend mettre en place afin d'encadrer les fluctuations autour de cette monnaie ? Cela va-t-il affecter la présence de la République Centrafricaine au sein de l'UMAC, au regard des règles qui s'imposent ? Comment entend elle organiser ses échanges commerciaux avec les autres Etats Africains ? Va-t-on assister à une « vague crypto » sur l'ensemble du continent ?

Le débat est lancé à présent, mais il faudrait à mon sens mettre en place des laboratoires de réflexion au sein de nos institutions (banque centrale et la COBAC) afin d'aborder cette évolution avec plus d'aisance. S'il est vrai que chaque état est souverain, il est néanmoins important de poser la question de manière franche et concertée.

1.(Ricardo, 1817, p. 363).

(*) Managing Partner D'INFINITE CAPITAL, et Senior Advisor Chez Averi Capital (fonds d'investissement basé à Dubaï). Economiste-financier de profession.