Francophonie : le français a-t-il encore de l’influence en Afrique ?

Par Ibrahima Bayo Jr.  |   |  1196  mots
Des écolières qui font l'apprentissage du français à Abidjan.
Avec l'ouverture du XVIè sommet de la francophonie à Madagascar, les 80 délégations des pays de l'espace francophone se rencontrent à Antananarivo pour leur sommet bisannuel. Le gotha des pays qui ont en partage la langue française aborderont des questions impoortantes qui risqueront peut-être d'escamoter une question centrale: la langue française est-elle encore influente en Afrique? Voici quelques pistes pour un début de réponse.

Antananarivo sur l'île de Madagascar accueille ce samedi 26 et ce dimanche 27 novembre, le XVIe sommet de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Deux ans après le sommet de Dakar, la Grande Ile (surnom donné à Madagascar) devrait accueillir une trentaine de chefs d'Etat et de gouvernement attendus dont le président français François Hollande, le premier ministre canadien, Justin Trudeau qui devraient croiser le roi Mohammed VI du Maroc, le Sénégalais Macky Sall, le Camerounais Paul Biya, le Gabonais Ali Bongo, le Guinéen Alpha Condé, le Togolais Faure Gnassingbé.... L'absence quasi-certaine du Congolais Joseph Kabila et la venue moins sure de son homologue de Brazzaville, Denis Sassou Nguesso devraient restreindre la taille de la photo de famille.

Un menu politique pour le sommet

Au menu des discussions, l'examen des cinq demandes d'adhésion de nouveaux pays. L'Argentine, la Corée du Sud veulent avoir le statut de pays membre observateur de l'OIF. C'est la candidature au même titre d'observateur de l'Arabie Saoudite, pays qui ne remplit pas bon nombre de critères essentiels qui fait grincer des dents. Moins de grimace par contre pour la requête de la Nouvelle-Calédonie pour devenir membre associé. La rencontre au sommet d'Antananarivo est placée sous le thème « Croissance partagée et développement responsable : les conditions de la stabilité du monde et de l'espace francophone ». Elle devrait également permettre d'évoquer la diplomatie et l'intégration économique dans le monde francophone. Petit bémol cependant, comme pour le sommet de Dakar intervenu après le renversement de Blaise Compaoré, le sommet d'Antananarivo pourrait être le lieu de « commentaires » sur les crises, politique en RDC ou post-électorale au Gabon et plus largement de la lutte contre le terrorisme au Niger ou encore la crise en Centrafrique.

Au-delà des poignées de main et de la stature des chefs d'Etat présents, la langue française, le ciment des pays membres de l'OIF, est-il encore influent en Afrique ? La réponse se trouve d'abord dans les chiffres de l'OIF qui regroupe les pays qui ont le français en partage.

Concurrencée, la langue française en Afrique voit son influence reculer

L'OIF regroupe 80 Etats membres répartis en 54 Etats membres, 23 pays observateurs et 3 membres associés. La répartition géographique fait apparaître que l'Afrique se taille la part du lion avec 28 pays membres dont un membre associé (le Ghana) et un membre observateur (le Mozambique). Par ailleurs, il faut noter qu'avec cette africanisation de la francophonie, 11 pays africains seulement ont adopté le français comme unique langue officielle. Dans le reste du continent, la langue française y côtoie des langues locales ou étrangères qui relèguent la langue de Molière au rang de langue d'apprentissage dans l'enseignement ou de complément linguistique. Au Tchad et à Djibouti, le français coudoie l'arabe en tant que langue officielle, au Rwanda l'anglais et le kinyarwanda, au Burundi, le kirundi, aux Comores l'arabe et le comorien, au Cameroun, l'anglais, aux Seychelles, l'anglais et le créole...

Par ailleurs, même la population totale des pays ayant le français pour langue officielle ou couramment utilisée mais pas officielle (98 millions) est estimée à 542 millions d'habitants en 2016, ces données ne présagent pas du nombre de locuteurs. Ceux -ci ne représentent de 274 millions de personnes dont près de 55% se trouvent en Afrique. Là aussi, il faut relativiser les choses car le français en Afrique reste une langue qui constitue l'apanage d'une certaine élite quand il n'est pas noyé dans une sorte de néo-dialecte avec les langues nationales pour au final ne plus être parlé comme ses règles l'exigeraient.

Autre point à prendre en compte, le français n'est que la 5è langue la plus parlée dans le monde derrière le mandarin, l'anglais, l'espagnol, l'arabe. L'attrait pour la langue de Shakespeare est porté sur le continent par l'influente culture américaine : les clips, films, séries n'étant pas disponibles tout de suite en français poussent les personnes à se mettre au bilinguisme obligé. Le mandarin réalise, quant à lui, une percée formidable à la faveur des investissements chinois sur le continent souvent accompagnés de l'implantation de projets de promotion de la culture et de la langue chinoise.

Résultat, la langue française est concurrencée jusque dans les programmes scolaires où d'autres langues étrangères ou nationales côtoient le français en tant que LV2 (deuxième langue vivante enseignée). Un pays francophone comme le Sénégal a par exemple introduit dans ses écoles, l'enseignement de langues nationales de même que l'apprentissage de l'anglais dès le bas âge. Plus récent mais également illustratif, le Rwanda a jugé que l'anglais permettait à ses ressources humaines d'être plus performantes. Il s'est donc tourné vers la langue de Shakespeare et a relégué le français au second rang.

Un repositionnement stratégique de l'OIF pour revivifier le français

La langue française, introduite par le système colonial est très bien implantée en Afrique même si son usage effectif ne cesse de reculer. Selon les projections de l'ONU, l'espace francophone devrait représenter 1,1 milliard d'habitants et devenir le 4e espace linguistique en 2050. L'augmentation du nombre de personnes vivant dans des pays francophones serait alors portée par le boom de la croissance démographique en Afrique. Mais là aussi va se poser le problème des personnes qui vont effectivement et couramment parler le français sur le continent. Il faudra alors aider les pays francophones à faire reculer l'analphabétisme et les appuyer pour renforcer les efforts dans l'éducation, la formation mais aussi et surtout la promotion et la vulgarisation de la langue française.

L'OIF l'a compris, elle œuvre d'ores et déjà pour accroître son rôle. Elle posera sur la table du sommet d'Antananarivo, la question de son rôle dans les questions mondiales notamment la lutte contre le terrorisme, la crise migratoire, le développement économique et social ou encore les transitions politiques, « là où on ne l'attendait pas », selon sa secrétaire générale, la Canadienne Michaëlle Jean. Cette dernière veut opérer un repositionnement de l'espace francophone comme un espace d'influence par la multiplication des prises de positions devant les organismes internationaux notamment devant le Conseil de sécurité de l'ONU.

Outre ce repositionnement stratégique de l'organisme qui regroupe les pays francophones, le français devrait continuer à influer sur le continent. Des pays qui l'ont adopté comme langue officielle unique ou d'autres où il est devenu la langue quotidienne de communication pourront difficilement s'en départir ou prendront de longues années à le faire. De plus, consciente de la menace du recul de la langue donc de son influence, la France ambitionne de rendre plus vigoureuse la promotion de sa langue et multiplie les initiatives pour renforcer ses liens avec les pays francophones surtout en Afrique. Une tendance qui confirme peut-être une évidence : la langue française, en décadence en Afrique a plus que jamais besoin d'une revivification !