AFD : une croissance africaine conditionnée aux facteurs « X »

Par Marie-France Réveillard  |   |  1198  mots
Le port autonome d'Abidjan (Crédits : DR)
Malgré sa résilience affichée au plus fort du Covid-19 et le retour de la croissance, l'Afrique doit répondre aux impacts de ces crises successives, sur lesquelles l'Agence française de développement revient longuement dans son rapport annuel, « L'économie africaine en 2023 ». De quelle façon la résilience africaine résistera-t-elle à la volatilité de la conjoncture mondiale ?

« Comment apporter des réponses contracycliques aux crises que rencontre l'Afrique ? », s'interrogeait Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement (AFD), le 12 janvier au siège du groupe, à l'occasion d'un atelier-presse consacré aux perspectives économiques du continent.

Conséquences de la guerre en Ukraine et du Covid-19, mais aussi climat et santé - notamment au Sahel - sont les principaux thèmes abordés dans ce dernier rapport intitulé L'économie africaine en 2023, de l'AFD (éd. La Découverte), qui s'attarde également sur la méthode, dans une logique de réécriture du narratif franco-africain. « Un grand débat s'est ouvert autour de la relation entre la France et l'Afrique et de la relation entre la France et l'Europe. Nous voulons apporter des analyses et de la science au débat », déclarait Rémy Rioux le 12 janvier.

« En 2021, l'Afrique a renoué avec la croissance et le PIB réel a dépassé son rythme de progression d'avant crise ».

Sur le fond, la reprise économique est engagée et le choc de la pandémie se résorbe. « En 2021, l'Afrique a renoué avec la croissance et le PIB réel a dépassé son rythme de progression d'avant crise », se félicite Christian Yoka, directeur Afrique de l'AFD, sur le site du groupe (en 2021, le taux de croissance s'élevait à 4,7 % et devrait redescendre à 3,6 % en 2022, selon les perspectives du FMI).

La reprise de la croissance ne permet que très progressivement de rattraper les pertes enregistrées, en raison d'une croissance démographique qui est comparativement plus rapide (+2,5 % de croissance entre 2015 et 2020, contre 1,1 % au niveau mondial, selon l'AFD).

Galvanisée par la demande chinoise, la forte remontée des cours des matières premières a profité aux économies africaines extractives, mais ce sont les économies les plus diversifiées qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu.

«La croissance de l'Afrique n'est pas tirée par les minerais. C'est une idée fausse qui ne correspond pas à ce que l'on observe dans les chiffres».

« La croissance de l'Afrique n'est pas tirée par les minerais. C'est une idée fausse qui ne correspond pas à ce que l'on observe dans les chiffres. Les pays africains les plus diversifiés, sont les moins exposés aux chocs, car ils sont moins volatils et beaucoup plus attractifs », explique Thomas Melonio, directeur exécutif de l'Innovation, de la stratégie et de la recherche de l'AFD.

Le Sénégal, le Niger, le Rwanda, la Côte d'Ivoire, le Bénin et le Togo comptent parmi les économies les plus diversifiées du continent et représentent six des dix économies africaines les plus dynamiques

Le Sénégal, le Niger, le Rwanda, la Côte d'Ivoire, le Bénin et le Togo comptent parmi les économies les plus diversifiées du continent et représentent six des dix économies africaines les plus dynamiques. Avec l'Afrique de l'Est, la région du grand Sahel est celle qui enregistre le dynamisme économique le plus important.

Guerre en Ukraine et insécurité alimentaire, un facteur « X »

Depuis mars 2022, l'Afrique subit de plein fouet les répercussions de la guerre en Ukraine, sur fond de difficultés d'approvisionnement des denrées de base comme l'huile et les céréales. La Russie et l'Ukraine comptent aussi parmi les fournisseurs-clés de biens non agricoles (pétrole, engrais). Les incidences du conflit russo-ukrainien se sont notamment répercutées sur le secteur touristique. Alors que les vols charters des Russes vers l'Egypte avaient repris au lendemain de la pandémie de Covid-19, ce mouvement s'est inversé dès mars 2022, tandis que les vacanciers venus d'Ukraine ont brutalement déserté les rives de la Mer Rouge.

Simultanément, l'aversion au risque des investisseurs s'est renforcée, se traduisant par des spreads des économies présentes sur les marchés internationaux. Ce durcissement structurel des conditions de financement sur les marchés a généré un basculement des investissements vers des marchés plus « ancrés ». « Les taux obligataires sont montés partout et en Afrique, un peu plus qu'ailleurs », précise Thomas Melonio.

Par ailleurs, l'Afrique doit juguler son inflation liée à l'envolée des prix du pétrole et des engrais. L'inflation devrait se situer autour de 9 % cette année. Particulièrement élevée en Afrique australe (Zimbabwe, Angola et Zambie) et en Afrique de l'Est (Ethiopie et Soudan du Sud), elle reste relativement maîtrisée en Afrique du Nord.

« L'augmentation du prix des engrais pourrait avoir des conséquences sur la production agricole de 2023 »

Les différentes crises auxquelles l'Afrique est confrontée ont fait apparaître des capacités d'absorption aux chocs limitées, générant une contraction des indicateurs de développement humain. « L'augmentation du prix des engrais pourrait avoir des conséquences sur la production agricole de 2023. Nous ignorons l'impact réel à venir, c'est l'un des facteurs " X " de cette année », prévient Thomas Melonio.

« L'ONU a indiqué que sur les 45 pays nécessitant une aide alimentaire, 33 d'entre eux sont africains. Nous sommes dans une situation très sérieuse qui n'est par ailleurs pas forcément liée à la guerre en Ukraine », ajoute Rémy Rioux. Si la situation d'insécurité alimentaire est préoccupante, la dépendance alimentaire du continent apparaît toutefois moins alarmante que prévu, selon le rapport de l'AFD qui indique que la part de l'approvisionnement alimentaire national issu des importations serait de 16 % en moyenne sur le continent africain, contre 13 % au niveau mondial.

Quelles stratégies pour élargir l'assiette fiscale des pays africains ?

En moyenne, les recettes fiscales en Afrique ne représentaient que 16.6 % du PIB (2019) indique le rapport de l'AFD. Cette faiblesse s'explique notamment par la prédominance du secteur informel. Pour élargir l'assiette fiscale, l'AFD avance plusieurs pistes de réformes des administrations fiscales, plaidant pour l'introduction des « taxes innovantes » ainsi qu'une refonte du système de redistribution des richesses, en particulier dans les pays extracteurs de matières premières. « sept des dix pays les plus inégalitaires sont situés en Afrique (Afrique du Sud, Namibie, Zambie, RCA, Eswatini, Mozambique, Botswana) », indique le rapport.

« 7 des des 10 pays les plus inégalitaires sont situés en Afrique»

L'AFD plaide également pour un déploiement accéléré du numérique afin de mobiliser davantage de ressources fiscales. A ce jour, 33 % des Africains sont connectés à Internet. Véritable facteur d'inclusion financière, les technologies et les services mobiles pesaient près 8 % du PIB en Afrique et généraient quelque 300 000 emplois en 2020.
Renforcement des contributions de sécurité sociales, des taxes foncières et des impôts locaux, intégration progressive du secteur informel sur la voie de la régularisation fiscale, mais aussi décentralisation et renforcement de la coopération internationale, sont quelques-uns des axes avancés par l'AFD, pour augmenter la mobilisation des recettes fiscales sur le continent.

Sur le plan systémique, « la réflexion sur l'architecture financière internationale et les accords de Bretton Woods, est engagée », assure le directeur général de l'AFD. Un sommet international dédié au financement est programmé en juin 2023..