Qui est Tarek Amer, l’influent Egyptien de la finance africaine qui va conseiller Al-Sissi ?

Par Ristel Tchounand  |   |  1305  mots
(Crédits : DR)
Figurant parmi les meilleurs gouverneurs de banques centrales au monde en 2022, Tarek Hassan Amer vient de quitter ces fonctions pour rejoindre la présidence égyptienne en tant que conseiller d’Abdel Fattah Al-Sissi. Il était jusqu’ici au cœur de la BAD et Afreximbank où il représentait son pays depuis six ans. Retour sur l’itinéraire de cet expert muté par le Chef de l'Etat en pleines négociations avec le Fonds monétaire international (FMI).

L'homme est courtois et fait preuve de modestie. D'une poignée de main enthousiaste, il se montre hospitalier : «  Bienvenue en Egypte ! J'espère que tout se passe bien ici. Agréable séjour ! » Tarek Hassan Amer est le nouveau conseiller du président Abdel Fattah Al-Sissi. Sa nomination a été annoncée mercredi 17 août, en même temps que sa démission du poste de gouverneur de la Banque centrale d'Egypte (CBE), soit 14 mois avant la fin de son second mandat. C'est en cette qualité que LTA l'a brièvement rencontré en juin dernier, alors que la CBE co-organisait la grande messe du financement du commerce de l'Afrique.

Un expert reconnu...

Derrière la modestie affichée par Tarek Amer se cache pourtant une grande influence. « Il est l'une des personnalités les plus influentes de notre pays. Ici, rien que son nom inspire le respect », confie un journaliste égyptien qui suit le désormais ex-gouverneur de la CBE depuis plusieurs années. Cette influence vient déjà de ce que la gouvernance de la banque centrale est l'une des fonctions les plus importantes du pays, mais elle est aussi tirée de la maîtrise qu'a Tarek Amer des questions économiques et financières. Cela lui vaut d'ailleurs de figurer dans le très sélectif palmarès des 21 meilleurs gouverneurs de banques centrales au monde en 2022 de Global Finance, aux côtés notamment du Marocain Abdellatif Jouahri, du Sud-africain Lesetja Kganyago et du Mauricien Harvesh Kumar Seegolam comme seuls africains.

Il en fait la preuve notamment en 2016 -un an après son arrivée à la tête de la CBE- lorsque l'Egypte est frappée d'une crise monétaire dont il réussit à sortir le pays. Cela lui vaudra notamment d'être reconduit dans ses fonctions en 2019, avec l'approbation unanime du parlement. Ce leader dans la banque -passé par Bank of America, Citibank, Arab International Bank, National Bank of Egypt en tant que président- réalisera un nouveau coup de maître pendant la crise pandémique. Sa stratégie évitera la récession à l'Egypte (une croissance de 3,6% en 2020) au moment où l'écrasante majorité des économies dans le monde enregistrait une croissance négative.

Dilemme suite au conflit russo-ukrainien

Cependant le plus grand importateur de blé au monde avec environ 80% de ses approvisionnements en provenance d'Ukraine et de Russie, l'Egypte se trouve lourdement impactée par la guerre russo-ukrainienne. La dégradation des équilibres a poussé Tarek Amer à adopter une batterie de mesures dont la dévaluation (12%) de la livre égyptienne en mars dernier -un dollar vaut actuellement 19,1 livres. Objectif : faire face à l'inflation qui atteint un sommet en juillet à 13,6%. Le banquier central s'est aussi attiré les foudres des hommes d'affaires en imposant en début d'année des contrôles sur les importations. Outre cela, la hausse du dollar, mais aussi la dégringolade des réserves de change en devises passées à 33 milliards de dollars en août contre 41 milliards de dollars en février, sont autant de contrecoups enregistrés.

Les Egyptiens ont pu obtenir des aides de pays amis dont l'Arabie Saoudite qui a décaissé 5 milliards de dollars en mars, après de précédents gestes. Mais face à une dette publique avoisinant les 90% du PIB, l'étau se resserre autour de l'économie nationale, d'autant que le pays poursuit plusieurs gros projets dont la construction de la Nouvelle capitale administrative partiellement financée par l'Etat.

En pleine négociations avec le FMI

Pour sortir la tête de l'eau, Le Caire a fait appel à l'appui du Fonds monétaire international (FMI). Tarek Amer part ainsi alors que les négociations se poursuivent autour de l'assainissement budgétaire et les taux de change, avec des recommandations difficiles pour les Égyptiens comme la privatisation des actifs de l'Etat au sein des entreprises du secteur militaire, très important et influent dans l'économie. Son successeur annoncé, Hassan Abdullah, ex-vice-PDG de la Banque internationale arabe africaine, aura la lourde charge de poursuivre ces pourparlers.

Ali Awdeh, responsable de la recherche à l'Union des banques arabes, interrogé par GF, pense qu'en tant que conseiller du président de la République, l'ex-gouverneur ne sera pas oublié de sitôt. « Tarek Amer conservera son influence sur la prise de décision en Égypte et le nouveau gouverneur ne mettra pas en œuvre de changements radicaux. [...]  La stratégie et les politiques principales de la banque centrale seront similaires à celles adoptées auparavant ».

La démission de Tarek Amer a d'abord fait l'objet de spéculations démenties par la CBE trois jours avant le communiqué présidentiel. Les raisons de son retrait prématuré n'ont pas été tout à fait claires. La communication présentée à la télévision d'Etat affirme que c'est « pour permettre à d'autres de mener à bien le processus de développement sous la direction du président ». Mais selon nos sources, les négociations avec le FMI n'y seraient pas étrangères. « Le Fonds pose des conditions difficiles pour accorder un nouveau prêt à l'Egypte et Amer ne pouvait les supporter. Il a donc été écarté et sa nomination en tant que conseiller du président Sissi n'est rien d'autre qu'une manière de dissimuler son limogeage », explique un acteur de la vie publique.

« Ils prennent les Africains pour qui ? »

Tarek Amer est par ailleurs connu pour ses positions qui pourraient facilement rompre avec la logique souvent soutenue par les institutions internationales au sujet des économies africaines. Lorsque l'occasion lui est donnée, le financier égyptien ne manque pas d'assumer son regard critique, comme lors des assemblées annuelles de la Banque africaine d'Import-Export (Afreximbank) où il s'est insurgé contre les recommandations de certaines instances onusiennes pour la gestion des ressources naturelles africaines, document à l'appui. « Comment peut-on donner de tels conseils à des nations souveraines ? Ils prennent les Africains pour qui ? Ils nous prennent pour qui ? », décriait-il, brandissant un document devant un parterre de ministres, banquiers centraux et hommes d'affaires venus des quatre coins du globe.

Ailleurs dans les milieux d'affaires, on estime que même s'il s'avérait que les positions de Tarek Amer soient en porte-à-faux avec celles du FMI, sa nomination aux côtés du président Al-Sissi en dit long sur la confiance que lui voue le pouvoir. Le Caire aurait-il trouvé un compromis pour faire avancer ses négociations avec l'institution de Bretton Woods ? « Si le président Sissi avait un souci particulier avec son travail ou sa personne, je ne crois pas qu'il en ferait son conseiller », estime une source dans le secteur bancaire au Caire. « Après, un conseiller est ce qu'on en fait, poursuit-il. Monsieur Amer est un homme qui maîtrise son domaine. Un homme de son intelligence pour conseiller le président Sissi à un moment aussi particulier de l'économie nationale et mondiale, que demander de plus ? ».

Un facilitateur de l'expansion égyptienne au Sud du Sahara ?

En plus de son rôle en Egypte, Tarek Amer est au cœur de la finance africaine depuis quelques années. Outre Afreximbank où il représente son pays actionnaire, Amer est également le représentant égyptien au conseil des gouverneurs de la Banque africaine de développement (BAD) dont il a pris la présidence tournante en mai dernier lors des assemblées annuelles d'Accra. Il devait également être l'hôte des prochaines réunions annuelles de l'institution financière panafricaine basée à Abidjan. Akinwumi Adesina -président de la BAD- s'en était d'ailleurs félicité.

Alors qu'à la Nouvelle capitale administrative en juin, l'Egypte a démontré sa volonté de s'étendre sur le continent, Tarek Amer pourrait-il mettre à profit ses relations bâties notamment au sein de ces deux institutions financières panafricaines pour contribuer au déploiement intelligent du Caire dans la région ?