Afrique : les leçons oubliées de Singapour

Par Abdelmalek Alaoui  |   |  620  mots
En matière de développement économique, il est courant de comparer la trajectoire de l’Afrique avec celle de Singapour. Au fil du temps, c’est devenu une sorte de « serpent de mer », rabâché au cours de conférences dédiées à l’Afrique, au même titre qu’un certain nombre de clichés qui ont fait la fortune des commerçants de certitudes.

Généralement, l'on évoque Singapour pour souligner que le continent était à peu près au même niveau au début des années 60, mais qu'il aurait ensuite « raté un virage », alors même que les singapouriens accédaient au club très fermé des pays les plus prospères au Monde.

Un certain nombre d'analystes ont même fait remarquer la spécificité de ce pays en matière de gouvernance, ayant conjugué leadership autoritaire avec grande ouverture sur le monde et une marche à pas forcé vers le développement. Dans ce cadre, pourquoi donc l'Afrique, se demandent-t-ils - qui n'a pas manqué d'autoritarisme depuis les indépendances - n'a-t-elle pas réussi à suivre le même chemin spectaculaire que ce petit état asiatique aux grands voisins ombrageux ?

Les réponses classiques à cette question répondent souvent à la même logique empreinte d'idées reçues. Si Singapour s'est développé, ce serait grâce à la discipline de fer que Lee Kuan Yew a imposé aux populations, multipliant les interdictions - dont celles de fumer ou de mâcher du Chewing-Gum- , sa lutte sans merci contre la corruption, ou encore son utilisation de la position géostratégique du pays afin d'attirer les investissements directs étrangers qui ne pouvaient aller en Chine, mais souhaitaient toutefois pénétrer les marchés asiatiques.

Certes, ces trois facteurs ont été essentiels, mais ils n'étaient cependant pas suffisants pour expliquer cette trajectoire hors du commun.

Deux éléments fondamentaux au cœur du développement de Singapour sont généralement occultés, alors même qu'ils ont probablement autant contribué à la montée en puissance du pays.

Les hommes avant les structures

Le premier est la qualité de fonction publique Singapourienne. Lee Kuan Yew croyait plus aux hommes qu'aux systèmes, et estimait à ce titre que la technostructure publique se devait d'attirer des talents exceptionnels. Pour cela, il n'a pas hésité à amender les rémunérations des membres du gouvernement et des hauts fonctionnaires pour les indexer sur ceux du secteur privé, tout en fixant aux serviteurs de l'Etat des objectifs clairs et chiffrés sur lesquels ils sont évalués annuellement. Pour un ministre, cela veut dire une rémunération égale à celle d'un CEO d'une grande entreprise. Après tout, ce dernier n'a-t-il pas parfois en charge des budgets colossaux ?

Le second facteur réside dans la formidable capacité intégratrice de Singapour, qui a réussi à faire d'un pays multi-ethnique et divisé une communauté nationale homogène qui se retrouve dans l'idéal promu par l'Etat. Sans avoir recours à la discrimination positive, Singapour a réussi à créer un sentiment national commun, qui ne se fonde ni sur des critères ethniques, ni religieux.

C'est probablement sur ces deux points que des défis restent à relever pour les leaders africains.

Le temps est en effet venu de poser la question de la rémunération des dirigeants publics du continent, et de sortir des débats populistes qui empêchent l'Etat de gagner en attractivité en matière de talents.

Concernant le second point, le fait que la Côte d'Ivoire aie rendu en partie caduque la notion controversée d' « Ivoirité » pour se présenter à l'élection présidentielle ou que le Maroc aie décidé de régulariser des milliers de migrants sub-sahariens constituent deux symboles importants de la prise de conscience africaine que la diversité est une richesse.

A ceux qui prôneraient encore l'isolement et le rejet de l'autre, il est utile de rappeler un chiffre. 80% de la population de la Silicon Valley est constituée de migrants, et cette petite région californienne est la plus prospère au monde.