Formation, un business en effervescence

Par Ristel Tchounand  |   |  1155  mots
(Crédits : I&P)
Economie du savoir ou capitalisme cognitif, le business de la formation est devenu un puissant secteur générateur de valeur à travers le monde. Bien qu'il soit encore difficile d'en déterminer la part dans le PIB en Afrique pour diverses raisons, ce marché prend une ampleur insoupçonnée, au gré des besoins de performance des entreprises, et donc de la nécessaire montée en compétences des RH.

Dans l'entreprise africaine du XXIe siècle, l'appropriation de la théorie du capital humain de Gary Becker -prix Nobel d'économie en 1992- n'a jamais été aussi manifeste. Au fil des ans, le centrage des stratégies de gestion sur la performance des ressources humaines (RH) ouvre large la porte sur un nouveau facteur, désormais atout des entreprises qui visent haut en matière d'obligation de résultat : la formation continue. Ainsi émerge tout un secteur d'activité fourni d'opportunités pour les personnes morales -et mêmes physiques- qui se proposent d'être de l'autre côté de la chaîne : celles qui délivrent ces formations.

Il y a encore une décennie, la majorité des grandes structures souhaitant outiller leurs RH de high skills devaient se référer directement aux grandes capitales occidentales (Paris, Londres, Montréal,...) ou aux grands cabinets internationaux. Aujourd'hui, cette ère est quasi révolue.

L'offre au service de la demande

«En Côte d'Ivoire actuellement, on ne laisse plus les gens sortir aussi facilement. Les formations sont très souvent assurées localement», fait remarquer Gilles Choula, fondateur et PDG de Growth Continue, basé au Sénégal et actif en Côte d'Ivoire, au Bénin, au Togo et au Niger. Cet entrepreneur se réjouit de l'empressement des entreprises de la sous-région à renforcer les compétences de leurs collaborateurs. Marie-Agnès Tano en sait bien quelque chose. Elle dirige le CIFIP, le tout premier cabinet de formation créé en Côte d'Ivoire en 1978 et qui intervient depuis dans toute l'Afrique de l'Ouest francophone, en Afrique centrale, en Afrique du Nord et en Europe de l'Ouest. «Il est clair que l'offre de formation des cabinets locaux est plus mature actuellement et beaucoup plus évoluée au point d'être à même de challenger à la fois les cabinets européens ou maghrébins», affirme-t-elle.

En effet, le nord du Continent a également été pendant longtemps un vivier -et l'est encore, certes à moindre mesure- pour les entreprises d'Afrique francophone désireuses de former leurs cadres. Et pour cause, le marché y est bien développé depuis longtemps. En Tunisie, plus de 500 cabinets privés y seraient actifs, selon la profession, et interviennent dans presque tous les domaines : management, finance, comptabilité, commerce, communication, leadership ou même l'industrie. «Les entreprises manifestent un vif intérêt pour les formations et nous en avons de tout type dans notre portefeuille, les multinationales comme les PME», explique à Mansour M'barek qui dirige CPFMI, spécialiste de la formation industrielle depuis 35 ans (mécanique, automobile, textile, plasturgie) et qui, depuis peu, intervient au Bénin et au Mali. S'il n'a pas eu de difficultés à rester sur un filon toutes ces années, la majorité des structures de formation doivent s'adapter à une évolution du monde de l'entreprise en Afrique.

Au Maroc, Amine Adlouni qui a fondé et dirigé depuis une dizaine d'années CFG Conseil, a anticipé le revirement. «Pendant de nombreuses années, nous étions spécialisés dans la formation financière -comptabilité, banque, trésorerie, ..., explique-t-il à La Tribune Afrique. Et tout allait très bien, surtout que la finance aujourd'hui est devenue comme une langue vivante. Les notions de base sont importantes, peu importe notre domaine d'intervention dans l'entreprise. Mais avec le temps et surtout en raison d'une montée de la demande, nous avons été contraints à nous diversifier en introduisant notamment le développement personnel».

Quand la concurrence s'en mêle

La métamorphose des besoins des entreprises et leur entrain à la formation intensifient la concurrence. Et les entrepreneurs ne manquent pas d'ingéniosité pour se démarquer. Sur les formations intra-entreprises, la pratique est relativement simple, car les marchés se gèrent par entité. En revanche, l'opération est beaucoup plus complexe quand il s'agit de formations inter-entreprises. «C'est le meilleur commercial qui gagne», estime Mathieu Coulibaly, fondateur et PDG d'Afrique Compétences.

Du temps où le Maghreb était ultra-tendance pour former les cadres, quelques entrepreneurs subsahariens ont saisi cette opportunité pour établir leur business à Casablanca, au Maroc, en y développant une formule «3 en 1» : formation, tourisme et rencontre avec des compétences marocaines de divers domaines en vue de partenariats. «Et ça marche bien !», avoue Mathieu Coulibaly dont le cabinet est l'un des plus en vue évoluant sur ce créneau. Mais le développement du secteur de la formation, au sud du Sahara, l'a poussé automatiquement à s'implanter au Mali, au Sénégal, en Guinée et au Burkina Faso. Sur ce créneau « nous traitons généralement avec les institutions publiques et les formations dont elles sont demandeuses, souvent liées à la pétrochimie, les mines, la gestion urbaine, ou encore l'environnement, la cybercriminalité,...», explique-t-il.

Des défis à foison

En termes de chiffres d'affaires, les cabinets africains se veulent très discrets. Selon notre enquête, certains business en Tunisie ou au Maroc généreraient plus d'un million de dollars par an. A ce niveau, la discrétion est encore plus de mise au sud du Continent.

Et l'absence d'organes qui rassemblent ces acteurs rend encore plus difficile l'accessibilité à ce type d'informations. Généralement, les statistiques des agences nationales concernent beaucoup plus l'activité gouvernementale de la formation professionnelle -même si dans un pays comme le Sénégal, l'autorité nationale de l'assurance qualité (ANACSUP) évalue le secteur à pas moins de 27 milliards de Fcfa annuellement pour tous les acteurs publics et privés.

Ce qui dégage donc un réel défi, car si le business de la formation est un secteur d'activité à part entière, il reste encore peu quantifiable dans le PIB des économies. L'autre défi majeur est celui des formateurs, non seulement en termes de qualité, mais aussi d'honoraires. «Les honoraires sont encore très bas. Même si les entreprises essaient de faire un effort, elles n'ont pas, non plus, des mines à dépenser dans la formation. Pourtant, quand on veut faire quelque chose qui a du sens et qui porte dans la durée en matière de formation, il faut faire appel à des profils très calés. Et cela peut assez rapidement coincer en termes d'honoraires», explique Marie Agnès Tano.

Vraisemblablement, la tendance à affiner et à préciser les formations devrait s'intensifier dans les années à venir. La promotion de l'entrepreneuriat qui pousse naturellement à l'exploration de nouveaux champs économiques, la transformation digitale à laquelle sont poussées les organisations par le développement de la technologie, l'innovation, tous jumelés au potentiel démographique et de croissance économique du Continent qui font de lui la convoitise des investisseurs et entreprises du monde entier, sont autant de facteurs qui contribueront davantage à l'intensification de la formation continue. Et la prise de conscience des enjeux d'une montée en compétences des Africains pousse sensiblement, un peu partout sur le Continent, à professionnaliser les formations initiales, désormais empreintes d'une bonne dose de leadership !