En Afrique, la course aux hubs arrivera-t-elle à bon port ?

Les ports africains font l'objet d'une forte concurrence en tant que portes d'entrée du continent. Ils sont vitaux pour l'économie africaine et essentiels à la sécurisation des approvisionnements en matières premières des pays développés. Analyse.
Le complexe portuaire Tanger Med au Maroc.
Le complexe portuaire Tanger Med au Maroc. (Crédits : LTA)

L'appel d'offres actuel pour la gestion du port de Dar es-Salaam en Tanzanie illustre la compétition entre les grands opérateurs maritimes pour les ports africains. De l'Afrique de l'Est à la façade atlantique, en passant par le golfe de Guinée, quelques acteurs originaires d'Europe, d'Asie et du golfe rivalisent pour la gestion, la construction ou la modernisation des plates-formes portuaires qui voient passer 80 % des échanges du continent.

Pourquoi un tel intérêt pour un continent qui ne représente que 3 % du commerce mondial et 4 % du trafic de conteneurs ? Parce que l'Afrique rescote un enjeu stratégique pour l'approvisionnement en matières premières minérales, hydrocarbures, agricoles et halieutiques. Les ports africains, souvent obsolètes et peu performants, nécessitent d'importants investissements et constituent des objectifs stratégiques pour les grandes puissances. Le golfe de Guinée, la côte tanzanienne et l'Afrique de l'Est sont les régions les plus ciblées en raison de leur potentiel de développement. Sans oublier le Maroc et l'Égypte, pivots géostratégiques, qui abritent les deux ports les plus puissants du continent : Tanger-Med et Port-Saïd.

Les enjeux pour les États africains sont doubles. D'une part, il s'agit de faciliter les exportations et les approvisionnements, non seulement pour les pays côtiers, mais aussi pour les 33 pays de l'hinterland, qui ne sont pas directement accès à la mer. D'autre part, l'économie bleue et ses revenus représentent un enjeu de développement, car les ports sont un prérequis essentiel à la croissance et à la diversification des économies africaines. Consciente de son potentiel, l'Union africaine a d'ailleurs publié en 2019 une Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans (AIM 2050). Certaines estimations évaluent le potentiel maritime africain à 400 milliards de dollars d'ici 2030.

Puissances maritimes

C'est pourquoi, depuis les années 2000, les pays africains développent leurs capacités portuaires. Cet effort se poursuit dans la décennie suivante, avec des dizaines de milliards d'euros investis dans les systèmes portuaires, en particulier les terminaux de conteneurs. Les capitaux investis proviennent d'un nombre limité d'acteurs du monde de la logistique portuaire et du transport, parmi lesquels on peut citer CMA CGM (France), MSC (italo-suisse), APM Terminals (Danemark), DP World (Émirats arabes unis) ou China Merchant Port (CMP).

Ces dernières années, la dynamique s'est poursuivie avec une augmentation des travaux de modernisation et de construction de ports. L'objectif est de créer de grands « hubs » portuaires à vocation régionale, qui catalysent les échanges non seulement depuis l'extérieur, mais aussi en faisant converger les flux logistiques depuis l'hinterland vers leurs installations.

Cette situation entraîne une augmentation de la concurrence entre les différents ports africains et les groupes qui les gèrent. Par exemple, la construction des ports de Banana en République démocratique du Congo et de Ndayane au Sénégal, opérée par DP World, pourrait concurrencer directement les terminaux de Pointe-Noire ou d'Abidjan. De même, la modernisation du port de Lekki, dont CMA CGM exploite le terminal de conteneurs, menace directement les ports de Lomé (Togo) et de Cotonou (Bénin), gérés par MSC. On peut également citer le succès du hub marocain de Tanger-Med, le plus grand terminal portuaire d'Afrique et de Méditerranée, qui fait pression sur les ports algériens. De facto, la compétition est intense entre les opérateurs, qui représentent parfois explicitement les intérêts géopolitiques de leur pays d'origine.

Chine et Émirats arabes unis : la primauté géopolitique

Dans cette optique, la Chine joue un rôle majeur en incluant l'Afrique à sa stratégie du « collier de perles », visant notamment à garantir ses approvisionnements en matières premières minérales et agricoles. La Chine compte plusieurs opérateurs tels que CMP ou Hutchison Ports. Elle combine ses investissements portuaires avec la construction d'infrastructures de transport (ferroviaires, routières, etc.) afin de garantir la chaîne d'approvisionnement jusqu'aux ports. Cette stratégie de  « la mer vers la terre », pour reprendre l'expression de Xavier Guilhou, est appliquée systématiquement en Afrique, particulièrement en Angola, en RDC, en Tanzanie, en Zambie, au Zimbabwe, etc. Par exemple, la rénovation du port de Mombasa au Kenya a été accompagnée de la construction d'une ligne de chemin de fer intérieure.

Les Émirats arabes unis, plus récents sur le marché, investissent dans les ports africains depuis les années 2000. Leur principal opérateur, DP World, est aujourd'hui un acteur majeur, bien que le pays encourage de nouveaux entrants sur le continent, comme Abu Dhabi Ports. Ils sont très présents en Afrique de l'Est, leur zone d'influence naturelle, et rivalisent avec la Chine. Leurs activités s'étendent également en Afrique de l'Ouest et centrale (Sénégal, Angola, RDC), où ils construisent deux futurs hubs majeurs pour le continent. Comme la Chine, la stratégie des Émirats arabes unis vise à sécuriser leurs approvisionnements en profondeur dans le continent. À cette fin, le pays finance des infrastructures, comme en RDC ou bien au Rwanda, où DP World a fait construire un port sec. Il convient de noter que les Émirats poursuivent de plus des objectifs de développement local afin de s'ouvrir des marchés à long terme.

La France en ordre dispersé

La France connaît un déclin dans le domaine portuaire et logistique en Afrique. La cession des actifs africains du groupe Bolloré au groupe italo-suisse MSC en 2022 en est un exemple. Étant donné les enjeux, il est étonnant que la perte du premier réseau portuaire d'Afrique, qui compte une quarantaine de ports, dont une quinzaine de concessions de terminaux de conteneurs ainsi que des activités logistiques et ferroviaires, n'ait pas suscité de réaction de la part de l'État français. Même s'il est vrai que le faible soutien de l'État à ses groupes multinationaux est une problématique majeure aujourd'hui. Cette vente a aussi laissé isoler le danois APM Terminal, partenaire historique du groupe Bolloré dans ses concessions portuaires.

Paris conserve néanmoins des atouts. Le géant mondial du transport maritime, CMA-CGM, reste un acteur prépondérant. Il est très actif au Nigéria ainsi qu'au Cameroun, où il contrôle le port en eau profonde de Kribbi. On peut également citer le groupe Meridiam qui a inauguré en 2022, aux côtés du groupe Arise (Singapour), le nouveau terminal de conteneurs de Nouakchott. Ce terminal se positionne comme la porte d'entrée de la Mauritanie, mais aussi du Mali.

In fine, la France est peu lisible sur le continent. Paris semble avoir du mal à adapter sa stratégie en fonction des réalités africaines et à concentrer ses moyens en conséquence. Cela se traduit par un recul de sa présence dans les domaines maritimes, miniers et des infrastructures : en 20 ans, son poids économique a été divisé par deux sur le continent. La définition d'une nouvelle « grande stratégie » et la remobilisation de l'État aux côtés de ses acteurs apparaissent inévitables au risque de devenir une actrice secondaire sur le continent à moyen et long terme.

Opportunités et défis pour l'Afrique

L'Égypte et surtout le Maroc se montrent très actifs dans le développement des échanges maritimes et de l'économie bleue, l'exemple de Tanger-Med est édifiant à ce titre. Le royaume chérifien pousse d'ailleurs son avantage avec son nouveau projet de port, Dakhla Atlantique. Certains pays subsahariens se montrent aussi très ambitieux. Le Sénégal a ainsi négocié son accord d'investissement avec DP World à hauteur d'un milliard de dollars. Le but est de faire du port de Nadayane, et les chaines logistiques associées au projet, le hub de référence d'Afrique de l'Ouest. La compétition sera forte avec les autres candidats à ce statut. Le président Macky Sall a aussi obtenu une participation accrue de l'État, de l'ordre de 30 % des parts, à la gouvernance future du port : un enjeu en terme revenu et de montée en compétence publique.

En fin de compte, la course aux investissements des pays développés est une bonne nouvelle pour l'Afrique, car ces capitaux contribuent au développement des infrastructures du continent. Cependant, ces infrastructures ne seront qu'une courroie de transmission des ressources du continent sans une politique d'industrialisation volontariste. L'Afrique, peu productive, affiche un déficit commercial : elle vend donc ses matières premières à perte. Les réseaux logistiques ferroviaires qui relient l'hinterland aux pays côtiers montrent bien l'économie de comptoir qui caractérise le continent. De facto, les échanges intra-africains sont presque atones. C'est pourquoi les revenus liés à l'économie bleue et à l'exportation de matières premières doivent contribuer à financer l'industrialisation du continent et la stimulation de ses échanges.

Des pays montrent la voie. Ainsi, la Côte d'Ivoire se montre active dans l'industrialisation de sa filière cacao, ou encore le Bénin, gros producteur de Coton, qui développe son industrie textile. En Afrique de l'Est, on peut également citer l'Éthiopie ou le Kenya dont la politique industrielle est vigoureuse.

(*) Consultant en intelligence économique (Herbès Conseil).

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