L’Afrique subsaharienne doit-elle accepter de sacrifier son industrialisation, ses 30 glorieuses et sa jeunesse au nom du climat  ?

L'Afrique subsaharienne pourrait, à l'instar de pays développés qui ont profité de 30 glorieuses, connaitre à son tour une longue et forte période de croissance. Mais alors que des conditions sont réunies, une pensée autoritaire du réchauffement climatique pourrait l'en priver.
(Crédits : Reuters)

Les Objectifs de développement durable (ODD) ont été définis par l'ONU en 2015. Leur influence sur les politiques d'investissement est déterminante. En effet, les industries, généralement génératrices d'émissions de Co₂, sont le plus souvent écartées au nom du climat. Concrètement, cela bloque l'industrialisation, empêchera la création de dizaines de millions d'emplois et le développement de l'Afrique subsaharienne, mais aussi, compte tenu de la démographie, pousse un peu plus vite la région vers un chaos humanitaire sans précédent. Pourtant, si l'on considère que les pays de la région émettent ensemble moins de 2 % du Co₂ mondial, il apparait alors que les injonctions climatiques d'ONG et d'institutions sont peu légitimes. L'Afrique mérite mieux qu'une subordination aux ODD et doit se doter d'un projet réaliste qui tienne compte des besoins de ses populations et de ses spécificités économiques.

Vertu climatique de rigueur pour l'Afrique et centrales à énergies fossiles à volonté pour les autres

Peut-on croire, au moment où la Chine, l'Inde, les USA et l'Europe continuent d'ouvrir des centaines de centrales à charbon et gaz, que l'Afrique va s'industrialiser avec quelques barrages hydrauliques, panneaux solaires et éoliennes estampillées durables, mais par ailleurs fortement meurtrières pour l'avifaune africaine. Le continent qui ne dispose pas actuellement d'énergie nucléaire, à l'exception de l'Afrique du Sud, ne pourra s'industrialiser, qu'en utilisant aussi des énergies fossiles, comme les autres régions du monde. Compte tenu de la probabilité d'une crise humanitaire qui pourrait tuer des centaines de millions d'Africains si le continent ne se développe pas, il est indispensable de trouver un compromis.

À défaut de développement et d'éradication de la faim, les leurres du durable et du numérique

Le discours d'Occidentaux ou d'Africains biens nourris, souvent militants du climat ou représentants d'institutions internationales, parfois africaines, qui explique à une population subsaharienne comptant parmi elle 350 millions de personnes souffrant de malnutrition et ne disposant guère d'accès à l'énergie, que la transition énergétique, une consommation durable ainsi qu'une transformation numérique sont les priorités au nom du climat, peut sembler indécent et déconnecté des réalités africaines.

Le postulat selon lequel les TIC propulseraient l'Afrique vers la prospérité est fallacieux.

Pour structurer son économie ainsi que tous les pays développés l'ont fait avant elle, la région ne pourra s'exonérer d'un passage par les cycles primaires et secondaires (agriculture et industrie). La digitalisation de services publics est certes indispensable. Il est néanmoins peu certain que les populations veuillent une société digitale et de services, tertiaire ou quaternaire, qui ne profiterait qu'à quelques-uns dont acteurs du durable et des TIC, startups ou entreprises robotisant les rares emplois de production, mais accaparant la plus grande part des financements et subventions au milieu d'un océan de misère et de chaos. L'Afrique subsaharienne a surtout besoin d'industrie manufacturière, d'agriculture et d'emplois.

Il faut respecter au mieux l'environnement, mais produire suffisamment pour financer le progrès

Construction d'infrastructures, logements, équipement des ménages et création de services publics, emploi et diminution de l'économie informelle qui sclérose le développement, lutte contre la faim et l'extrême pauvreté, innombrables sont les colossaux chantiers et défis auxquels l'Afrique subsaharienne doit répondre. Il faut avant tout, respecter au mieux l'environnement dont la faune et la flore, mais personne ne songe à faire de l'Afrique, la nouvelle usine du monde. Il est cependant indispensable qu'elle produise au moins une forte part de ses biens de consommation et exporte de la valeur ajoutée pour s'offrir davantage de croissance, financer son progrès et satisfaire aux besoins de ses populations.

L'impasse d'un développement endogène de l'Afrique subsaharienne

Chacun souhaite profiter du progrès et la plupart des plus pauvres ne veulent pas vivre dans le dénuement quand le reste du monde évolue. Mais la construction d'une industrie capable de fournir les biens de consommation modernes à une population qui atteindra plusieurs milliards d'habitants dans quelques décennies, répartis dans près d'une cinquantaine de pays, nécessiterait des milliers de milliards d'euros impossibles à trouver et des dizaines d'années de recherches réalisées par des centaines de milliers d'ingénieurs et le dépôt ou achat de millions de brevets. Lorsque cela serait fait, les prix des produits, compte tenu des investissements et de l'endettement, ne seraient pas toujours concurrentiels.

Aussi, le choix d'une forme d'isolement à l'heure de la mondialisation semble plus démagogique qu'efficient. Les institutions africaines pourraient faire le constat de l'échec de projets surtout endogènes dont le Plan d'action de Lagos (PAL) et l'Agenda 2063 à propos duquel IndustriALL Global Union qui regroupe 50 millions de travailleurs, déclare : « D'innombrables stratégies d'industrialisation de l'Afrique ont été adoptées, depuis l'Agenda 2063 de l'Union africaine, et ce, du niveau continental jusqu'aux politiques industrielles nationales, mais le décollage ne se produit pas ». Seul le pragmatisme permettra de faire décoller l'économie. La Chine a pu s'industrialiser en 3 décennies parce qu'elle s'est ouverte à la mondialisation et que l'Occident, dont la France, lui a procuré technologies et savoir-faire.

Après l'échec du modèle postcolonial d'aide au développement (APD), une voie plus pragmatique

La méthode du programme pour l'industrialisation de l'Afrique subsaharienne en moins de 20 ans est opérationnelle. Afin d'économiser des centaines de milliards d'euros et des dizaines d'années de recherches, nous voulons aller convaincre, schémas de process de production et projections à l'appui, des grandes entreprises occidentales qui produisent actuellement en Chine, d'inclure l'Afrique subsaharienne dans leurs étapes de chaînes de valeur mondiales (CVM). Ainsi, les entreprises locales bénéficieront de transferts technologiques et développeront des écosystèmes. Notre vision à 360° permettra d'engager simultanément toutes les actions nécessaires. Recherche d'investisseurs et constitution de fonds financiers, organisation d'infrastructures et de complexes industriels, formation, mais surtout aussi une communication qui génèrera une dynamique mondiale. Les perspectives d'un immense marché en devenir achèveront de persuader des potentiels partenaires également désireux de réduire leur dépendance à la Chine.

Certes, les organisations internationales et partenaires de l'Afrique dont la France, l'UE et les États-Unis, englués dans leur dogme climatique, mais bailleurs de fonds influents, ne seront pas toujours immédiatement séduits, mais ne pourront que se résoudre à accepter finalement une politique industrielle plébiscitée par les populations afin de n'être guère exclus, au profit d'autres pays, de l'enjeu africain sur l'échiquier mondial géopolitique et géostratégique. Les institutions africaines doivent aussi comprendre que la jeunesse ne veut pas être sacrifiée sur l'autel du climat.

L'Afrique subsaharienne est à la croisée des chemins. Si les institutions africaines persistent à suivre une même politique dictée par un dogme climatique plutôt occidental, la région concentrera 90 % de l'extrême pauvreté mondiale en 2030 (source Banque mondiale). Avec 2 milliards d'habitants en 2050 et 4 en 2100, la plus grande catastrophe humanitaire sera inévitable. Mais ainsi que proposé, une autre voie est possible. Des institutions comme l'Union africaine et la Banque africaine de développement ont le destin de l'Afrique entre leurs mains.

(*) Consultant et entrepreneur, Francis Journot dirige le programme pour l'industrialisation de l'Afrique subsaharienne en moins de vingt ans ou Plan de régionalisation de production Europe Afrique et Africa Atlantic Axis. Il effectue également des travaux de recherche dans le cadre de l'International Convention for a Global Minimum Wage.

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