Enjeux des villes durables dans le débat public africain

Par Beaugrain Doumongue*  |   |  1066  mots
(Crédits : Reuters)
Les défis des villes africaines à l’heure des changements climatiques interrogent la gouvernance et la solidarité des parties prenantes actives dans le développement urbain. Parce que l’enjeu est à la fois local et global, l’action collective semble tomber sous le sens sans aller de soi. C’est souvent un acquis de faciès.

La finitude des ressources planétaires secoue la notion de développement durable, de plus en plus ressentie comme une nécessité vitale, parce qu'elle suppose une gestion équilibrée et raisonnée des ressources au profit du bien-être des générations futures. Cette question éminemment politique revêt un caractère majeur, attendu que les Etats opposent leurs intérêts, lesquels sont fonction de leurs statuts (riches ou pauvres), de leurs vulnérabilités (face à la menace climatique), de leurs niveaux d'engagement (actions mesurées) et de leurs alternatives (développement technologique). La coopération est dès lors complexifiée par le difficile équilibre entre l'intérêt étatique et la notion de bien commun. C'est ici que l'efficacité de la gouvernance mondiale est frappée de paralysie. On observe alors la montée en puissance des inégalités entre pays qui impactent le devenir de leurs communautés respectives, mutatis mutandis. L'Afrique en demeure le parent pauvre... Et ce n'est pas tout !

Plongée dans une configuration travaillée par de profondes mutations, la déferlante des bidonvilles, l'anarchique étalement urbain, la virulente ségrégation socio-résidentielle, la faible robustesse des administrations publiques territoriales, l'étroitesse de la participation citoyenne, la fragilité démocratique et l'accroissement des besoins sociaux ; l'Afrique a doublement intérêt à rompre le fer de la ville durable. Pourquoi ? A cause de l'urbanisation explosive dont « l'anti-économicité » convoquée par Jaques Veron explique peu ou prou, ce combo de facteurs négatifs qui étranglent à petit feu les villes africaines. Il y a donc lieu d'inverser la tendance en reconstituant le tissu social qui s'effrite sous le poids écrasant des défis actuels, lesquels sont rehaussés par les changements climatiques.

Pour une gouvernance fondée sur la concertation

C'est en ville que prennent forme les opinions et que s'homogénéisent les conduites. Les citadins, experts de leurs conditions - pour diverses qu'elles soient, en fonction des appartenances dont ils se réclament - méritent de mobiliser leur vécu pour alimenter la décision publique. D'où la nécessité d'une gouvernance claire et bâtie sur la concertation. Car la concertation est une double victoire. D'abord parce que la parole des citoyens matérialise leurs aspirations dans le débat public. Ensuite, parce qu'elle donne à ceux qui s'expriment le sentiment d'une réelle contribution au développement de la cité. Cela atténue ou neutralise l'attitude hostile qui pourrait animer certains individus noyés dans le tumulte des conjonctures. Aussi vrai qu'il importe de considérer que la faillite morale et le ressentiment qui en découlent ont ceci de particulier qu'ils sont nutritifs pour la violence. De fait, la concertation devient un outil utile et, sans conteste, une manière pacifique de secouer le cocotier du politique.

Au-delà de représenter un bénéfice pour les raisons évoquées, la concertation offre l'avantage de mettre en débat le sujet des villes (durables), en tordant le cou aux idées qui veulent qu'elles soient avant tout et seulement le fait des spécialistes de l'urbanisme. Ainsi, le point de départ que suggère cet élément fondamental de la démocratie participative est vital pour projeter une sorte de justesse dans la décision politique sur les questions d'aménagement et de développement urbain, dans le sillage de la durabilité. C'est la raison pour laquelle le débat politique sur le sujet des villes doit grandir dans la société. Parce que les villes sont et resteront les points de départ des défis qui talonnent le continent. Et c'est en ville que des solutions durables devront être trouvées. Quoi qu'il en coûte.

L'action attendue des  « sociétés civiles unies du monde »

La pression climatique va inéluctablement aggraver les tensions sociales, spatiales et environnementales car les ressources et l'espace seront mis à l'épreuve des migrations et convoitises diverses, dans une atmosphère d'insécurité. Il n'y a donc plus à considérer l'écologie comme un sujet entièrement à part. Il s'agit bien d'un sujet à part entière mais rentré d'une transversalité qui doit impulser un élan vigoureux en Afrique : celui de la transition. Parce que toutes les sphères de l'action étatique sont directement concernées par les questions environnementales. Avec les inégalités qui grandissent en toile de fond, la question de la justice environnementale se renforce d'une gravité plus éloquente. C'est le lieu d'en appeler à la mobilisation des sociétés civiles diverses pour enrichir le débat et travailler main dans la main. Main dans la main parce que l'action isolée restera isolée et sans effet. Main dans la main parce que les sociétés civiles africaines et celles du monde ont intérêt à collaborer étroitement. Car dans des situations de rapport de force entre Etats, les intérêts des plus forts ne pourraient coïncider avec ceux des plus faibles que si leurs sociétés civiles parlent d'une même et unique voix. Et encore...

Ainsi, et à la faveur des possibles de la masse, nous invoquons l'avènement des sociétés civiles unies du monde, lesquelles sont au défi de s'inscrire dans une dynamique engagée, pour ne pas simplement obliger le politique mais le conduire sur le terrain de l'action commune. Au final, en dépit des avancées qu'il nous appartient de costaudiser, c'est dans la vie de tous les jours que la différence doit se créer chez chacun par la volonté d'agir à l'effet de donner du sens à la participation. Il faut par ailleurs revenir a plus d'humanisme pour tuer ce que les économistes appellent la tragédie des biens communs, et impulser un élan riche et sérieux de l'action collective interafricaine et internationale en faveur des villes durables. Riche parce que solidaire. Riche parce que collective. Place au débat !

(*) Beaugrain Doumongue est ingénieur du bâtiment, docteur en génie civil et physicien du bâtiment. Il se définit davantage comme un « socioingénieur » du fait de son engagement au profit du développement des bâtiments et villes durables en Afrique. Président de Construire pour demain, association de promotion des bâtiments et villes durables en Afrique, il est aussi cofondateur de Starksolutions, cabinet de conseil en intelligence territoriale.