Face aux chocs mondiaux, l’Afrique doit s’affranchir de sa dépendance avec des investissements judicieux

Le secteur privé joue un rôle essentiel dans la diversification et la transformation des économies africaines. Les pays devraient valoriser davantage les PME africaines en tant que moteur de la diversification en facilitant leur accès à des fonds et à des services financiers abordables.
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La guerre en Ukraine entraine un bouleversement sans précèdent à l'échelle mondiale dans la mesure où les chaînes d'approvisionnement les plus essentielles comme celles des denrées et de l'énergie sont aujourd'hui sous très forte tension entrainant de nombreux pays à adopter des mesures de crise pour réduire leurs dépendances énergétiques et alimentaires. La guerre en cours dans le plus grand grenier au monde a considérablement augmenté l'insécurité alimentaire et énergétique sur le continent africain et retardé la reprise de la croissance, fortement attendue à la fin de la période de pandémie. L'insécurité alimentaire et énergétique risque de durer encore et provoquer des conséquences claires en Afrique subsaharienne : la croissance est ralentie passant de 4 % à 3,6 % (1) en 2022, avec des niveaux estimés pour 2023 et 2024 à, respectivement, 3,9 % et 4,2 %, l'inflation va augmenter de 7,5% (2) dans les pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et cela entrainera un risque d'instabilité sociale et une aggravation des inégalités.

Néanmoins, cette guerre ne constitue pas seulement une menace, mais aussi un facteur de dynamisation du commerce intra-africain et d'intensification de la coopération sud-sud. En effet, la guerre en Ukraine ne laisse plus le temps de la réflexion à l'Afrique, mais celui de l'action. Les pays africains sont face à une grande fenêtre d'opportunité : celle d'intensifier leurs politiques de diversification de l'économique en réorientant leurs politiques d'investissements. De cette manière, l'Afrique pourra mener des changements structurels à haute valeur stratégique dans différents secteurs pour réduire sa vulnérabilité et accroitre sa capacité de résilience et être le continent sur lequel l'avenir du XXIe siècle se jouera.

Diversification de l'économie et investissements dans les secteurs stratégiques

L'invasion russe au cœur de l'Europe met en forte difficulté les économies africaines et ajoute des défis et des sources de tensions à celles qui existent déjà en Afrique. Certaines tensions sont de nature économique, notamment la dette des pays à faible revenu, ou encore la dépendance excessive aux exportations de matières premières. Toutefois, cette crise met sur le devant de la scène l'obligation vitale d'intensifier la diversification des économies africaines afin de réduire toute nature de dépendance, notamment celles des importations alimentaires.

Selon le rapport (3) de la CNUCED sur le développement économique en Afrique, 45
des 54 pays du continent restent dépendants des exportations de produits primaires
dans les secteurs agricoles, miniers et extractifs. L'Afrique dispose d'un énorme
potentiel pour briser la dépendance aux produits de base et assurer une intégration
solide de ses économies dans les chaînes de valeur mondiale haut de gamme. Pour
cela, il faut que les pays africains prennent des décisions courageuses en s'attaquant aux obstacles au commerce des services, en renforçant les compétences pertinentes et en améliorant l'accès à des financements alternatifs et innovants. La productivité manufacturière du continent peut être améliorée, stimulant la croissance économique et la transformation structurelle de l'Afrique pour de nombreuses années.

Le récent Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) pourrait aider les pays africains à s'adapter. Cet accord pourrait sans doute être un facteur de dynamisation du commerce intra-africain dans les secteurs des biens agricoles, des denrées alimentaires, des biens industriels et des services. Mais pour en tirer le meilleur parti possible, les pays africains doivent mettre en œuvre des politiques de renforcement des capacités productives, d'industrialisation et d'incitation à l'investissement direct.

Soutenir le secteur privé pour améliorer le « doing business »

Le secteur privé joue un rôle essentiel dans la diversification et la transformation des économies africaines. Cela comprend les grands groupes, mais aussi les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent environ 90 %des entreprises du continent (4) et emploient environ 60 % de la main d'œuvre. Dans ce contexte, il faut que les pays valorisent davantage les PME africaines en tant que moteur de la diversification en facilitant leur accès à des fonds et à des services financiers abordables tels que des garanties de prêt gouvernementales, qui sont une meilleure réponse à long terme aux besoins financiers des PME. La croissance récente et formidable des entreprises de technologie financière (fintech) en Afrique stimule davantage d'opportunités pour l'innovation et l'investissement. La fintech peut améliorer les canaux de crédit traditionnels et aider à combler l'énorme déficit de financement auquel sont confrontées les PME africaines.

Pour réussir ce défi, et faire de l'Afrique un continent non seulement résilient, mais aussi leader dans de nombreux domaines, il faut arrêter la pensée à court terme et la confiance excessive dans les instruments de politique monétaire, notamment les hausses de taux d'intérêt. Il faut au contraire s'attaquer aux causes structurelles profondes pour renforcer la résilience à long terme. C'est en adoptant cette approche que l'on pourra « être les témoins de l'Afrique immortelle, et être les témoins du monde nouveau qui sera demain » (5).

(*) Consultant 35°Nord, ancien élève de l'ENA.

(1) Zeufack, Albert G.; Calderon, Cesar; Kabundi, Alain; Kubota, Megumi; Korman, Vijdan; Raju, Dhushyanth;Girma Abreha, Kaleb; Kassa, Woubet; Owusu, Solomon. 2022. Africa's Pulse, No. 25 (avril). Washington.

(2) BCEAO, Note de conjoncture dans les pays de l'UEMOA, juin 2022.

(3) UNCTAD, Economic Development in Africa Report 2022, Rethinking the Foundations of Export Diversification in Africa: The catalytic role of business and financial services. 2022, Geneva.

(4) LSEG Africa Advisory Group, "The challenges and opportunities of SME financing in Africa", 2018

(5) Léopold Sédar Senghor, « Tyaroye » in Œuvres poétique, Paris, Seuil, 1990 (1948), p. 90-91

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