La ville durable, un objet politique négligé en Afrique

Depuis la Déclaration de Rio de 1992, la conceptualisation de ville (durable) africaine n'a pas fait long feu dans les débats et est demeurée absente dans les agendas politiques des gouvernements africains. Alors que le brûlant sujet des villes durables consume progressivement le continent africain, l'heure est venue pour le politique de se pencher sur la question, d'anticiper les changements structurels et institutionnels à l'œuvre en matière de modernisation et d'urbanisation de la ville et de projeter pour le plus grand nombre une vision commune et partagée.
(Crédits : Flickr)

Il ne fait aucun doute que la ville africaine est un ensemble extrêmement complexe, qui souffre de ses limites et de ses lassitudes, devant une urbanisation massive qui fait main basse sur les ressources pour maintenir « le style de vie » urbain. Il vient donc un moment où la planète ne résistera plus au poids de la frénésie conjoncturelle qui l'écrase. Cela ne fait aucun doute, et les faits scientifiques le démontrent. Ce constat impose l'évidence que nous suggérait opportunément Cheikh Anta Diop : « il nous est impossible d'échapper aux nécessités du moment auquel on appartient ».

Le texte adopté au Sommet de la Terre, censé incarner un véritable équilibrage en matière de gestion des ressources de la planète et ancrer davantage le développement durable au sein des pays industrialisés et de ceux dits en voie de développement, ne produit toujours pas de résultats à la hauteur de l'effervescence qu'il a suscité. Ainsi, la politique de la ville est restée balbutiante dans les projets de sociétés. L'histoire invite donc le continent africain à opérer un changement paradigmatique pour réorienter son développement dans le sens des villes telles que conçues par le onzième Objectif du développement durable (ODD) de l'Agenda 2030. Pour rappel, cet Agenda, planifié en septembre 2015, définit l'horizon de 2030 pour l'ONU, comme une projection optimiste dans laquelle la planète, de Lomé à Tunis, de Cotonou à Bordeaux, de New York à New Delhi, gagnerait plus de prospérité, plus de stabilité, plus de >paix et davantage de coopérations et de partenariats. Assurément, il en va, pour le continent africain et les nations du Sud, de la création de territoires sûrs, viables et résilients.

Marquer l'arrivée ou le retour de l'Etat sur le sujet du développement urbain

Mais cette transition ne saurait être opérationnelle que si les pays africains anticipent la question de la ville durable comme le nœud des premiers changements à assimiler. L'enjeu politique des villes durables est de marquer l'arrivée ou - dans de nombreux cas - le retour de l'Etat sur le sujet du développement urbain en Afrique. Car si depuis les indépendances, les politiques urbaines en construction, sur des bases inadaptées à nos réalités sont tombées en épuisement avec les ajustements structurels, il faut avouer que nous sommes arrivés au terminus du laisser-aller. Nous ne pouvons plus nous permettre de faire preuve de tant de laxisme et d'ignorance sur les urgences posées par la construction institutionnelle, politique, sociale de la ville durable. Les impératifs actuels de développement du continent, dans un monde frappé par la menace climatique imposent une stratégie nouvelle de la ville africaine.

En effet, l'urbanisation ne laissera aucun répit à nos milieux urbains déjà bouleversés par l'arrivée en masse de nombreuses populations à loger et subvertis par l'anarchie du déploiement de l'habitat. Dans un contexte où l'Etat a perdu le contrôle du phénomène urbain, il paraît difficile d'assurer la disponibilité et la qualité du logement et de maintenir l'ordre. Pourquoi ? Parce que le désordre sous-entendu plus haut se manifeste par la ségrégation socio-résidentielle et la violence urbaine. L'enjeu actuel des politiques des villes durables que nous appelons de tous nos vœux, ne se cache pas tant dans l'adjectif « durable » que dans le besoin de lutter contre la pauvreté et la précarité, le chômage des jeunes, l'habitat informel, l'étalement urbain et l'indisponibilité relative du service public, en vue de prévenir la délinquance et garantir la sécurité collective.

Pour aller plus loin, cette exigence ne peut se résoudre sans prévenir les risques déjà observés des exodes ruraux non maîtrisés ou des migrations internationales suppléées par les mers cannibales qui ont déjà englouti plusieurs milliers de citoyens subsahariens et méditerranéens. Et que dire des risques encourus par la faillite de l'Etat et de l'absence d'administrations coordonnées au service de la ville ou même du moindre hameau, qui génèrent désespérance, dissidence et émergence de l'extrémisme violent et du terrorisme ?

Coordination - vision - moyens, ces impératifs !

Sur le plan politique, le développement durable, et par conséquent la ville durable, doit être l'émanation d'un trait d'union vital entre toutes les institutions qui constituent l'appareil d'Etat. Les acteurs et les institutions qui interviennent aux diverses échelles de la gouvernance d'Etat doivent en faire un leitmotiv et intégrer cette réalité dans leurs process, d'où la nécessité d'un secrétariat d'Etat ou d'un ministère spécifiquement dédié à la conception, au pilotage et au déploiement des tenants de cette politique furieusement nécessaire. Mais gouverner, c'est également établir des liens étroits entre les institutions, les gouvernants et les populations, pour décider de choix collectifs et de leur réalisation en vue d'une orientation judicieuse de l'espace commun : la ville. Il faut donc réussir la concertation permanente pour faire de la gouvernance urbaine, notamment à l'échelle locale, la manifestation de ce que la ville est un projet collectif, suffisamment inclusif et définitivement au service de tous.

S'il est vrai que les villes africaines vont devoir résoudre des défis sociaux et environnementaux qu'aucun autre territoire urbain n'a eu à affronter, il faut encore que des politiques adéquates soient mises en branle pour définir des exigences et stimuler un élan commun dans une ambition partagée. Oui. Car il est question de réaliser la ville durable en Afrique. Il faut alors une véritable coordination, une vision et des moyens pour que la politique de la ville devienne un juste équilibre entre la politique urbaine et du bâti, la politique sociale, la politique environnementale, la politique économique et la politique éducative. Voilà pourquoi il incombe à l'Etat d'asseoir une logique d'anticipation, pour mesurer ses efforts en fonction des défis, à l'effet d'éviter des surprises inattendues.

Il n'y a pas non plus d'excuse qui tienne, l'expertise est à portée de main

Les besoins actuels sont d'une urgence sulfureuse. Il n'y a plus de répit à avoir. Il n'y a pas non plus d'excuse qui tienne, d'autant que l'expertise est à portée de main pour accéder à la ville durable. Tout est question de volonté.

Outre la nécessité que ces urgences impliquent pour l'Etat d'arrimer le temps de la politique à celui de l'action administrative, le véritable choix des responsables politiques africains sur le sujet des villes repose sur une question simple : agir de façon exigeante, massive et stratégique ou faire de la ville africaine la roulette russe du développement urbain ? En commençant par interroger l'opinion, des réponses devraient apparaître. Celles-ci sauront répondre aux défis non pas exclusivement urbains, climatiques, environnementaux, mais également sociaux, économiques, politiques et sécuritaires. Aussi vrai que l'opinion soit vitale aux suffrages.

(*) Ingénieur du bâtiment. Il se définit davantage comme un « socioingénieur » du fait de son engagement au profit du développement des bâtiments et villes durables en Afrique.

(**) Analyste géopolitique et communicant, dirige InterGlobe Conseils, intervient régulièrement et écrit sur les dynamiques géopolitiques du continent africain.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.