Les défis de l’éducation post Covid-19 : implications et innovations au niveau des curricula

Les pays du monde, et particulièrement les états africains, sont confrontés au défi primordial de répondre efficacement aux effets immédiats et aux conséquences de la Covid-19, tout en réfléchissant au lendemain et en réinventant une normalité transformatrice de l’éducation. Dans ce contexte, le curriculum est probablement l'un des outils les plus efficaces.
Dr Yao Ydo est le directeur du Bureau International d'Éducation de l'UNESCO créé en 1925 et basé à Genève. Il est la deuxième personnalité africaine à occuper ce poste.
Dr Yao Ydo est le directeur du Bureau International d'Éducation de l'UNESCO créé en 1925 et basé à Genève. Il est la deuxième personnalité africaine à occuper ce poste. (Crédits : DR)

A l'heure de la fin des cours du premier semestre académique dans certaines universités et de la préparation des examens semestriels; la pandémie de la Covid-19 a apporté une nouvelle réalité, qui nécessite de repenser la manière dont une éducation de qualité peut être efficacement dispensée, de manière inclusive et équitable, ainsi que le rôle de la technologie comme l'un des principaux catalyseurs et accélérateurs. Il est de notoriété publique que les questions d'inégalité et d'exclusion sont des limites perpétuelles en matière d'éducation dans la plupart des pays du Sud, et particulièrement ceux du continent africain. Les réponses des autorités publiques et de leurs partenaires, pour assurer la continuité pédagogique durant la pandémie, n'ont malheureusement pas résolu les inégalités d'accès à l'éducation. Elles ont montré comment le statut socioéconomique dominant est une cible en constante évolution. Cependant, les gouvernements peuvent transformer cette « situation inédite » en une opportunité, grâce à des idées et des stratégies adaptées, comme le déploiement d'une approche à plusieurs volets pour « ne laisser aucun apprenant en dehors du système ».

L'arrivée de la Covid-19 en Afrique n'a pas laissé les écoles intactes et inactives. Les effets subis, les contre-offensives menées et les innovations suscitées, montrent l'école africaine sous un angle nouveau / un nouveau visage de l'école africaine, que la recherche doit étudier, comprendre, théoriser et mettre en perspective.

Comme l'indique l'UNESCO, l'Afrique a été le seul continent où tous les pays ont opté pour une fermeture nationale des écoles, mettant ainsi des millions d'élèves et étudiants dans une situation de « privation académique ». Pour la première fois dans l'histoire de l'Afrique indépendante, notamment dans l'Ouest du continent, élèves et enseignants ont subi la fermeture forcée des écoles, en pleine année scolaire ou académique, dont le rythme et le calendrier se sont trouvés, par la même occasion, dysfonctionnés. Les conférences, séminaires et examens, événements sportifs et culturels, qui sont pourtant au cœur de la vie scolaire et académique, ont été aussi suspendus voire annulés, à travers le continent. Les campus, autrefois bondés, ont donné l'air d'un désert humain, ce qui n'est imaginable en temps normal qu'au mois d'août.

La pandémie de la Covid-19 a gravement perturbé l'offre en matière d'enseignement primaire, secondaire et supérieur en Afrique : selon l'UNESCO, près de 297 millions d'apprenants y ont été impactés. Dans de nombreux pays, comme ceux de l'UEMOA, les mesures de confinement partiel et d'État d'urgence sanitaire, mises en œuvre pour freiner la propagation du virus, ont entrainé la fermeture de nombreuses écoles et l'incapacité d'accueillir les apprenants.

Relever le défi de la continuité pédagogique...

De manière générale, la réouverture progressive des établissements d'apprentissage a commencé en juin 2020, principalement pour les apprenants en période d'examens, tandis que certains pays ont préféré ouvrir les écoles en janvier, considérant ainsi 2020 comme une « année blanche ». Les dispositifs nationaux mis en place pour encourager l'apprentissage à distance ont généré des résultats mitigés. Certains pays ont déployé des stratégies uniques ou une combinaison de stratégies, comme l'utilisation de chaînes de radio et de télévision intégrant la langue des signes, couplée à la distribution de supports pédagogiques pour l'auto-apprentissage des apprenants des zones non urbaines et des communautés marginalisées, ne pouvant bénéficier de solutions technologiques. Au niveau pré-primaire, aucun apprentissage n'a eu lieu dans certains pays, tandis que dans d'autres, des méthodes différentes ont été utilisées, comme l'introduction d'activités de pré-lecture pour les parents -pour superviser les apprenants à la maison- le déploiement de leçons télévisées inspirées de dessins animés et la distribution de publications hebdomadaires sur les leçons de la Covid-19 aux parents. L'apprentissage dans les écoles primaires et secondaires s'était poursuivi par le biais de la radio, de la télévision et de plateformes en ligne, avec différents niveaux de réussite. Pour favoriser la continuité pédagogique dans les sous-secteurs de l'enseignement et de la formation techniques et professionnels (EFTP) et de l'enseignement supérieur, les pays ont opté pour différentes alternatives, allant des cours numériques à l'utilisation des émissions de radio et de télévision. Quel que soit la méthode choisie, l'écart continue de se creuser en matière d'exclusion et d'inégalité. De nombreux apprenants sont toujours exclus de ces initiatives louables et ingénieuses.

L'éducation non formelle continue d'être un défi dans la plupart des pays africains, aggravée par la situation actuelle. Par ailleurs, les risques liés à la protection des apprenants (tels que la violence domestique, l'exploitation sexuelle, le mariage précoce et les mutilations génitales féminines) sont une menace réelle et les mesures correctives pour y faire face sont limitées. La Covid-19 a créé un environnement propice à la recrudescence de ces pratiques sociales rétrogrades, entraînant des conséquences psychologiques et sanitaires importantes avec des risques sur l'éducation des apprenants. Il devient urgent que les gouvernements mettent en place des réponses appropriées, face aux défis éducatifs actuels et futurs. L'utilisation de nouveaux outils, plateformes et supports d'apprentissage en ligne et hors ligne est positive, mais profite toujours à un nombre relativement restreint de la population apprenante .Ceci s'explique car bon nombres de ménages, surtout ceux en milieu rural éloigné, ont un accès limité (ou pas du tout) à la connectivité et à l'énergie (électricité). La fourniture de matériel de lecture a aidé à atteindre une partie des groupes vulnérables et a contribué à sensibiliser davantage le public à l'importance de la continuité scolaire incluant l'EFTP.

Dans l'ensemble, les apprenants et les enseignants ont exprimé un certain degré de satisfaction, d'enthousiasme et d'engagement à s'adapter au nouveau modèle d'éducation, qui inclut le développement progressif de compétences de recherche en ligne. Cette dynamique peut être renforcée et généralisée grâce à une initiative techno-pédagogique comme HELA « Enseignement Hybride, Apprentissage et Évaluation », en s'appuyant aussi sur l'apport de l'intelligence artificielle (IA).

Se projeter et préparer l'avenir de l'éducation : l'initiative HELA

Les pays du monde, et particulièrement les états africains, sont confrontés au défi primordial de répondre efficacement aux effets immédiats et aux conséquences de la Covid-19, tout en réfléchissant au lendemain et en réinventant une normalité transformatrice et aspirante. Dans ce contexte, et dans la concrétisation des actions de la Coalition mondiale pour l'éducation de l'UNESCO, le curriculum est probablement l'un des outils les plus efficaces , permettant aux pays de repenser les objectifs en matière d'éducation , de hiérarchisation et de progression des contenus d'enseignement. Il est nécessaire de restructurer les modes d'enseignement, d'apprentissage et d'évaluation, soutenus par un schéma de complémentarité entre l'enseignement en présentiel et à distance.

L'initiative HELA ambitionne d'aider les pays africains à identifier, expérimenter, évaluer et étendre les modes d'enseignement les plus efficaces, fondés sur l'intégration et la combinaison de modules pédagogiques réalisés en présentiel et en distanciel, afin que tous les apprenants soient préparés à faire face aux défis et aux opportunités de la vie, en tant que personnes, citoyens, travailleurs, entrepreneurs et membres d'une communauté.

C'est dans cette optique que la prise en compte de l'intelligence artificielle (IA) dans l'élaboration des curricula et la transmission des connaissances aux apprenants occupera une place de choix. Comment tirer le meilleur de l'IA pour améliorer et optimiser les résultats du triangle pédagogique composé : de l'enseignant, de l'apprenant et du savoir ?

En s'appuyant sur les travaux de recherche du Groupe IGS, nous pouvons apporter un début de réponses concluantes. Ainsi, pour le premier élément du triangle pédagogique, à savoir « l'enseignant », il s'agira de contribuer à des curricula de formation hybride (distanciels et présentiels) qui, grâce à l'IA, permettent aux enseignants d'améliorer leurs performances, - par exemple, les corrections d'examens - , afin de se libérer des tâches répétitives pour se consacrer davantage à la recherche, à la production de contenu digital et à la créativité pédagogique.

En ce qui concerne le deuxième élément du triangle pédagogique, en l'occurrence « l'apprenant », nous remarquons que les MOOC (Massive Open Online Course) connaissent un grand succès auprès des étudiants. Ils peuvent apprendre ce qu'ils veulent, quand ils veulent et, surtout, au rythme qui leur convient. Pour autant, la liberté de choix, l'abondance et la diversité des opportunités de formations, peuvent créer une certaine confusion auprès des apprenants et engendrer parfois une certaine démotivation. Dans ce contexte, le défi est de proposer des curricula hybrides pertinents, qui permettent de produire, par l'IA, des tuteurs intelligents capables de prédire le moment où l'apprenant commencerait à se « déconnecter » et d'avertir leurs enseignants ou encadreurs, en prévention d'une éventuelle démotivation. Enfin, pour le troisième élément du triangle pédagogique relatif au « savoir », le challenge réside en la conception de curricula permettant aux apprenants de comprendre et d'utiliser l'IA. Cette innovation doit stimuler la pensée critique, la créativité, et favoriser l'acquisition de connaissances adaptées, dans un monde de plus en plus digitalisé, où l'IA est désormais omniprésente.

Le continent africain, fort de ses 60% de jeunes de moins de 24 ans de sa population totale, devrait transformer la crise de la Covid-19 en une opportunité pour accélérer sa transformation numérique, ce qui aura un impact sur des secteurs clés, tels que l'éducation. Cette nouvelle feuille de route pourrait comprendre de nombreux aspects, notamment de disposer d'un instrument comparatif ou d'un cadre de référence pour guider les préparatifs de l'enseignement à distance. Certains pays jouissent déjà d'une telle politique, tandis que d'autres sont en phase de réformer leurs politiques existantes ou envisagent d'en formuler une.

Des partenariats stratégiques à travers la vision HELA, restent essentiels au lancement de projets d'apprentissage à distance efficaces. Des schémas pour intégrer les aspects critiques de l'expérience Covid-19, liés à l'enseignement à distance dans le système d'information de gestion de l'éducation (SIGE), sont nécessaires pour éclairer la réforme du secteur de l'éducation. Il est essentiel de promouvoir une compréhension du SIGE qui soit holistique et sectorielle, et qui aille au-delà de l'infrastructure utilisée pour la collecte, la gestion, l'analyse et l'utilisation des données. Un tel SIGE devrait englober l'ensemble de l'écosystème des données à tous les niveaux du système éducatif national. Les gouvernements devraient s'inspirer des enseignements tirés des partenariats et des collaborations réussis, comme les synergies développées au cours de la Covid-19, pour améliorer leurs engagements futurs avec les parties prenantes en temps de crise.

Les principales recommandations comprennent un examen de la politique générale et des directives réglementaires pour intégrer la technologie numérique, une plus grande implication des parents, en particulier pour les jeunes élèves, et le renforcement du développement professionnel et de capacité des enseignants. Cela nécessitera également l'adaptation de nouveaux programmes et modèles d'évaluation. Il est important d'explorer d'autres options de financement tout en favorisant un meilleur apprentissage par les pairs et un échange de connaissances entre les pays.

(*) Directeur du BIE-UNESCO

Le Bureau International d'Éducation de l'UNESCO est l'institut de référence dans le monde en matière de curriculum et de questions connexes. L'engagement de l'UNESCO-BIE implique la consolidation et la synergie du travail de l'UNESCO dans le domaine du curriculum, en favorisant une vision prospective pour contribuer à une éducation équitable, inclusive et à la lumière du développement durable pour tous, en réponse aux défis mondiaux et sociétaux).

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