Changement climatique et spirale de la soif : vers la paix et la sécurité  ?

Le changement climatique vient de passer de la marche à la petite foulée...et tout s'accélère. La COP26, cette fameuse conférence de Glasgow plutôt largement suivie, et dont on nous dit qu'elle n'a pas été à la hauteur des enjeux, nous l'a rappelé...quelques larmes en conclusion à l'appui.
(Crédits : DR.)

De la petite foulée à la course, quelques années seulement contemplent cet engrenage de catastrophes toujours plus médiatisées : violences météorologiques (inondations, tempêtes, sècheresses) se succèdent sur tous les continents, sur tous les océans ; incendies gigantesques en Californie, en Australie, en Europe, et récemment au Maghreb. Les effets en sont directs, immédiats, percutants : tous, nous sommes atteints.

L'ONU estime que 74% de toutes les catastrophes naturelles survenues entre 2001 et 2018 sont liées à l'eau. Les impacts sont directs et souvent sans retour sur le secteur de l'eau ... (Rapport 2021 sur l'eau et les changements climatiques de l'Organisation des Nations Unies)

Pourtant, on parle moins des conséquences plus progressives - mais pour autant quotidiennes et bien profondes, et malheureusement durables - que sont les effets du changement climatique sur l'accès à l'eau des populations.

L'impact de ce changement pour l'alimentation en eau est véritablement l'un des enjeux forts de cette évolution inéluctable : enjeux humains et écologiques, sociaux, économiques, technologiques ; enjeux stratégiques, géostratégiques et politiques. Mais aussi par les multiples conséquences sur l'homme, ses conditions de vie et sa dignité, son développement - jusqu'au questionnement même de sa place dans l'écosystème. Il remet en cause les techniques et les technologies « traditionnellement » utilisées et les arbitrages qui en sont issus deviennent aussi des armes dans les compétitions et les conflits du monde...Les pays du sud sont les premiers touchés, pays dans lesquels l'accès à l'eau est déjà depuis des décennies un enjeu du développement. Il faut en parler !

Dans les pays émergents, et en Afrique(s) en particulier, pour l'alimentation humaine, pour abreuver les villes et les villages et pour l'agriculture et certaines industries, l'eau est prélevée dans des ressources superficielles (rivières, fleuves, lacs), ou bien dans des ressources souterraines renouvelables ou fossiles, et même parfois issues du dessalement d'eau de mer.

Si les nappes souterraines représentent plus de 20% des réserves d'eau douce du globe, les rivières et les lacs n'en représentent guère plus de 3%, et sont très inégalement réparties sur la surface de la Terre. Ces chiffres montrent combien la sensibilité peut être forte, d'autant plus en zones vulnérables, face aux aléas climatiques...Pour exacerber encore cette sensibilité, et à titre illustratif, 4% seulement du potentiel de gisement d'eau renouvelable du continent africain est actuellement mobilisé pour les différents usages, eau potable, agriculture, industrie... Il y a tant à faire ! La ressource est là.

Le changement climatique en œuvre impacte chacune de ces sources, de façon différente, mais tout aussi irrémédiable.

Les ressources superficielles sont impactées par la violence et l'intensité des épisodes pluvieux qui se multiplient et par la baisse globale de la pluviométrie annuelle. A titre d'exemple, l'alimentation en eau de Niamey (capitale du Niger) et de celle d'une bonne partie des localités du sud-ouest du pays le long du fleuve Niger   - tout comme celle de nombreuses villes alimentées par le fleuve en amont (au Mali) et en aval (au Nigéria) - illustre dramatiquement cette situation : les fortes pluies, concentrées sur quelques jours pendant la saison des pluies en août dégradent la qualité de l'eau en augmentant subitement et très fortement sa turbidité. Les usines de traitement sont saturées et les installations sont mises à mal - elles-mêmes souvent noyées - générant des manquent d'eau ou des distributions d'eau non correctement traitée : entre 2001 et 2011, soit plus de 10 ans, seuls deux épisodes de cette nature de quelques jours chacun ont été reportés : manque d'eau justifiant une alimentation intermittente par quartier, et distribution d'eau non conforme (fortement turbide, et sujette à contamination bactériologique). Depuis 2016, cette crise est maintenant ouverte chaque année sans qu'une solution d'anticipation ne puisse être apportée, la ville dépendant complétement du fleuve pour son alimentation. Et le phénomène s'aggrave, comme sans retour...

C'est un constat amer : la pluviométrie diminue année après année et Niamey même doit affronter tous les ans des épisodes de manque d'eau dans le fleuve, toujours plus intenses, plus profonds et plus longs en saison sèche. La pluviométrie, qui était de l'ordre de 700mm par an dans la capitale du Niger dans les années 1990 (722 mm en 2000), se trouve à un niveau moyen de l'ordre de 475 mm ces trois dernières années. L'impact en termes de disponibilité de la ressource est évidemment très fort, en particulier avec la difficulté de projeter l'évolution de l'adéquation de la disponibilité de la ressource face à l'accroissement de la demande, elle-même tirée par l'accroissement des usages domestiques (en lien avec le développement de la ville), mais aussi par les besoins agricoles (par exemple le maraîchage développé sur les berges du fleuve), et les besoins industriels en croissance.

Remédier à cette situation -pourtant devenue de fait prévisible et inéluctable- nécessite de repenser globalement et en profondeur le système de prélèvement et de traitement des eaux du fleuve, y compris l'aménagement, la gestion des usages et la gouvernance tant cette ressource est indispensable -et sans alternative- à l'échelle du bassin du Niger.

Niamey doit déjà faire face à l'enjeu du développement du service dans une ville en très forte croissance. La capitale est passée de 700 000 habitants environ en 2000 à plus de 1 300 000 en 2021. La croissance de la demande en eau des quartiers déjà alimentés de la ville est de plus de 10% par an en moyenne sur la période 2001-2021...

A cet enjeu immédiat, s'ajoute maintenant la nécessité de repenser le système global pour l'adapter au changement climatique.

Cette situation, si elle est illustrée sans surprise dans une zone sahélienne, se rencontre aussi en zone forestière. En côte d'Ivoire, les systèmes d'alimentations en eau de nombreuses localités doivent être complétement repensés car ils subissent des chocs violents d'épisodes pluvieux intenses et se révèlent hors d'eau à l'étiage. Tankessé par exemple, petite ville au centre-est du pays, voit son système d'alimentation en eau potable issu de la rivière rendu inexploitable durant 5 à 7 jours par ans, et ce invariablement depuis plus de 5 ans durant la saison des pluies. Et le constat est sans appel : le nombre de jours d'indisponibilité s'accroit d'année en année.

Les conséquences du changement climatique sur les régimes des cours d'eau nécessitent une lourde adaptation des systèmes qui s'appuient sur leur ressource. Qui vraiment s'en occupe ?

L'excellent film-documentaire « Marcher sur l'eau » de la réalisatrice Aïssa Maïga, sorti très récemment durant la COP26 illustre avec pragmatisme ces impacts sur la vie quotidienne des populations du nord du Niger, dans une zone ou celles-ci comptent sur des forages ou des puits pour s'alimenter en eau, abreuver leur bétail, voire irriguer des cultures. On y comprend combien les évolutions climatiques en cours se manifestent également sur la réalimentation des nappes devenue plus irrégulière et incertaine, entrainant un besoin simultané plus intense d'eau pour les cultures et le bétail. Une spirale de la soif ! Avec ses conséquences immédiates : un puits ou un forage qui ne peut plus fournir d'eau en quantité suffisante durant une période -même brève- entraine le déplacement de la communauté vers un autre point d'eau venant ainsi accroître la pression et donc fragiliser celui-ci avec des conséquences humaines et sanitaires d'une part...mais aussi économiques et politiques d'autre part : les déplacements de population s'accélèrent en Afrique(s) et sont aujourd'hui de plus en plus difficiles à gérer.

La technologie du dessalement d'eau de mer est également impactée. Le réchauffement climatique qui entraine une élévation de la température de l'eau des mers a pour conséquence l'apparition des blooms algaux, ces explosions de prolifération d'algues rouges le long des côtes qui viennent perturber le fonctionnement des usines de dessalement d'eau de mer, les mettre à l'arrêt dans le cas des épisodes les plus intenses, faire exploser les coûts d'exploitation et leurs impacts écologiques (surconsommation d'énergie, et de réactifs chimiques, surproduction de déchets).

Si la technique du dessalement d'eau de mer a été vu un temps comme l'une des grandes solutions pour l'alimentation en eau des zones arides côtières, et développée depuis longtemps au Moyen-Orient, le coût de cette technologie (déjà rédhibitoire pour de nombreux pays) se voit de plus en plus majoré pour tenir compte des traitements complémentaires liés aux proliférations d'algues rouges que le changement climatique impose. Dans certaines régions, les couts repartent à la hausse.

Du strict point de vue sanitaire, les crises Ebola en Afrique de l'Ouest en 2015-2016, les flambées récurrentes de choléra dans certaines zones, la pandémie de Covid aujourd'hui nous rappellent à quel point il est fondamental qu'un accès à une eau saine et disponible pour la population revienne en toute première priorité des politiques publiques, des financements associés et des agendas locaux et nationaux. Les confinements de population imposés pour enrayer la propagation de ces virus tout comme la mise en œuvre des gestes barrières et des mesures d'hygiène minimale ne peuvent exister sans cet accès à une eau de qualité. Pour lutter contre le virus Ebola, la Sierra Leone a décrété un confinement de la population pendant 3 jours en 2015 ; le confinement décrété en 2020 pour faire face au Coronavirus a été également de 3 jours dans ce pays...loin des 2 semaines minimales, voire 3 ou 4 imposées ailleurs. Nul doute qu'un tel confinement sans mesures d'hygiène appropriées, sans accès -au moins sanitaire- à l'eau potable, apporte plus de dégâts qu'il ne favorise une quelconque lutte contre la propagation de l'épidémie. Et ne nous y trompons pas : les 6.400 cas de Covid recensés à ce jour dans ce pays, et les 121 décès annoncés ne reflètent pas la réalité, même si globalement il semble que le continent (hors Afrique du Sud et du Nord) soit jusqu'à mi-2021 relativement épargné par cette pandémie mondiale.

De fait, au-delà du « spectaculaire » que les médias relaient régulièrement : hausse des températures, inondations de zones côtières, disparition d'archipels et tornades en cascades, le changement climatique impose une multitude d'impacts au quotidien immédiat et sans retour sur la vie des populations de nombreuses villes des zones arides -pour aujourd'hui- et universel, pour un demain rapproché.

L'un des grands enseignements de l'analyse de cette situation repose sur l'obsolescence des schémas structurels traditionnels d'alimentation en eau, notamment dans les géographies où le développement de l'accès à l'eau est un enjeu du quotidien. Deux questions majeures se posent au moment d'imaginer les nouveaux systèmes d'alimentation en eau. La première : quelle durabilité (disponibilité long terme) de la ressource à mobiliser face aux changements induits par le réchauffement climatique, et comment faire face aux indisponibilités, quelles alternatives mettre en œuvre dans ces cas ? La seconde, tout aussi importante, tient dans la gouvernance optimisée pour la gestion des ressources, à la fois géographique au niveau d'un bassin (plusieurs pays pour les grands fleuves ou lacs), mais aussi des multi-usages (alimentation en eau potable, agriculture, industrie).

Sans imaginer et organiser dès aujourd'hui les solutions pour Tous, c'est bien de Paix et de Sécurité qu'il s'agit. Nous en vivons les signes vivants dès maintenant, alors engageons-nous à préparer le futur. Les solutions existent.

(*) Président (Re)sources, ancien président Afrique du Medef et  ancien président Afrique/Moyen Orient Veolia.

(**) Président de Services for Environment et membre de (Re)sources.

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